- Interviewé par Mongabay, Ayman Cherkaoui, facilitateur régional pour les ONG du groupe Afrique au Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) souligne la nécessité d’agir urgemment face au phénomène de désertification qui affecte déjà, entre le tiers et la moitié de la superficie de l’Afrique.
- Selon lui, les financements qui concernent la diversité biologique et la nature de manière générale ne sont pas du tout à la hauteur des besoins surtout pour le continent.
- La COP16 de Riyad, en Arabie Saoudite, s'attache à mobiliser les Etats, les entreprises et les communautés du monde entier afin d'accélérer les actions de restauration des terres et de résilience à la sécheresse.
Dans l’entretien accordé à Mongabay, Ayman Cherkaoui, juriste international en droit du changement climatique et Directeur exécutif du Pacte mondial des Nations unies au Maroc revient sur l’impératif de trouver une réponse adéquate aux changements climatiques en soutenant les initiatives de lutte contre la dégradation des terres et la biodiversité.
Mongabay : La seizième session de la Conférence des Parties (COP16) de la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD) se tiendra à Riyad, en Arabie saoudite, du 2 au 13 décembre 2024 sous le thème « Notre terre. Notre avenir ». Selon vous quels sont les enjeux de ce sommet pour l’Afrique?
Ayman Cherkaoui : L’enjeu, c’est la mise en œuvre des mécanismes qui exigent que l’action passe à un degré que nous n’avions jamais connu jusqu’à présent. Il y a un changement qui s’est opéré lors de la dernière COP 15 à Abidjan en Côte d’Ivoire, et il est grand temps de mobiliser la société civile africaine de manière générale pour passer à une vitesse supérieure dans la mise en exécution. Nous avons obtenu lors de la COP15 le cadre sur la biodiversité Kunming-Montréal, qui est un cadre stratégique fondamental. Ce cadre définit un cap clair pour la période 2020-2030, pour mettre fin à la perte de la biodiversité et la restaurer en fixant des objectifs précis.
Mongabay : Dans cette lutte pour relever les défis liés aux changements climatiques, la société civile africaine est justement appelée à engager une réflexion profonde sur les moyens à mettre en œuvre pour développer des solutions appropriées. Quelle est votre analyse de cette approche ?
Ayman Cherkaoui : Il y a un sentiment d’urgence qui est ressenti par les populations vulnérables notamment en Afrique. Beaucoup d’entre elles sont avec nous. Leurs représentants ici comparent le degré d’attention qui est portée à leur sujet. Il y a une frustration. Il y a en quelque sorte, de grandes espérances que la COP16 soit une COP qui change la donne pour que ça bénéficie en priorité aux populations les plus vulnérables, notamment en Afrique. Il y a une grande variété de peuples autochtones dans les régions sahéliennes, au nord de l’Afrique, au sud, partout en Afrique, qui ont pendant des siècles su préserver leur environnement et vivre d’une manière qui était, selon certains, plus respectueuse de l’environnement. Et notamment en Afrique, il y a beaucoup de pays qui ont pris le leadership plus qu’ailleurs dans le monde par rapport à la pollution plastique.
Mongabay : Mais selon vous qu’est ce qui coince pour une bonne exécution de l’approche ?
Ayman Cherkaoui : Je ne prétends pas avoir toutes les réponses. On peut aussi imaginer qu’il y a moins de liens directs avec certains intérêts économiques influents, qui du coup feraient qu’on bénéficie de moins d’intérêt. Et puis aussi peut-être que ça a été des problématiques de stratégie de communication. Donc je pense qu’on peut toujours apprendre et améliorer la manière de faire certaines choses.
Mongabay : Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les financements mondiaux en faveur de la biodiversité sont évalués à près de 143 milliards de dollars par an, dont 6 milliards environ sont issus de l’aide internationale. Est-ce suffisant selon vous ?
Ayman Cherkaoui : Il manque des choses. Il manque beaucoup de choses surtout en termes de financements pour appuyer les efforts de lutte contre la perte de biodiversité et la nature de manière générale, car les ressources disponibles ne sont pas du tout à la hauteur des besoins. Au-delà des financements, il y a également une autre problématique liée au manque de renforcement des capacités pour s’assurer que tout le monde bénéficie des opportunités d’un côté, et d’autre part que tout le monde puisse avoir les capacités de saisir les opportunités en place pour mieux participer à la mise en exécution de différents projets. Un autre aspect important concerne le développement et le déploiement de nouvelles technologies vertes pour atténuer le changement climatique et s’adapter à ses effets. En Afrique plus particulièrement, nous avons besoin d’associer ces pratiques innovantes aux savoirs écologiques traditionnels et autochtones en misant sur des innovations à forte valeur ajoutée qui proposent des solutions durables et résilientes. En ce qui concerne la COP16 sur la désertification, la convention sur la désertification est celle qui, de manière générale, a reçu le moins d’attention. Et c’est injuste par rapport à l’importance de la problématique qui est traitée. L’Afrique avait joué un rôle fondamental dans l’établissement de cette convention, dans son leadership aussi. La COP15 sur la désertification avait eu lieu ici, à Abidjan, et il y a une continuité dans ce leadership-là qui est importante à mettre en avant. Et cela étant, même au niveau des médias, il y a un besoin d’attention à ces thématiques-là. Et je pense d’ailleurs que de la même manière que la COP15 sur le leadership de la Côte d’Ivoire avait fait un travail excellent, on sent un leadership très marqué de la part du Royaume d’Arabie Saoudite, en ce qui concerne la COP 16. On a le sentiment d’une montée en puissance par rapport à la COP16 cette année, et c’est très salutaire par rapport à l’importance de ces enjeux-là. Ensuite, par rapport aux thématiques qui vont être traitées, dont les problèmes de l’eau avec sa raréfaction qui impacte de manière très forte les économies dans beaucoup des pays en Afrique, la COP16 offre une plateforme pour proposer les meilleures pratiques en vue d’atteindre des résultats concrets.
Mongabay : Il y a-t-il des initiatives à encourager qui sembleraient être alignées avec vos ambitions pour la COP 16 ?
Ayman Cherkaoui : Pour vous donner rapidement quelques exemples, en Afrique, il y a une initiative de la Grande Muraille Verte (GMV) qui est très ambitieuse et qui a permis d’avoir des actions concrètes qui permettent d’avancer. Il y a aussi d’autres initiatives, sécurité et stabilité dans le Sahel. Des initiatives ont donc été aussi lancées par rapport aux OASIS qui sont un espace très intéressant, aussi bien de lutte contre des désertifications que de préservation de certains patrimoine culturels et de diversités biologiques. Donc des initiatives ont été envisagées dans ce cas, notamment à la COP22 à Marrakech avec des alliances qui ont été lancées à la COP 28 aussi à Dubaï. Et il y a des solutions alternatives traditionnelles très durables, qui permettent notamment de mettre en avant et de créer de la valeur ajoutée locale dans le respect de l’environnement et des populations locales.
Image de bannière : Ayman Cherkaoui, facilitateur régional pour les ONG du groupe Afrique au Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE). Image de Thomas-Diego Badia pour Mongabay.
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