- La tortue articulée des forêts est un animal curieux ; sa carapace peut s’incliner jusqu’à 90 degrés à l’arrière pour lui servir de bouclier contre ses prédateurs.
- Très présente en Afrique subsaharienne, l’espèce est néanmoins actuellement répertoriée dans la catégorie « données insuffisantes » de la liste rouge de l’UICN et est provisoirement considérée comme menacée d’extinction, selon les experts.
- La déforestation et la chasse, à des fins de subsistance, pour la pratique de la médecine traditionnelle ou du fétichisme, sont autant de menaces qui pèsent sur l’espèce.
- Les chercheurs soulignent que davantage d’investissements seraient nécessaires pour assurer une meilleure protection à l’animal, mais reconnaissent aussi que les espèces moins « charismatiques », comme les tortues, bénéficient rarement d’un niveau de protection et d’attention satisfaisant.
L’évolution au sein des espèces semble avoir pensé à tout. Prenons l’exemple de la tortue articulée des forêts (Kinixys erosa), que l’on trouve dans le bassin du Congo, ainsi que dans certaines régions d’Afrique de l’Ouest et jusqu’au lac Victoria à l’est du continent. Cette tortue et les autres tortues du genre Kinixys présentent la même particularité : la partie supérieure de leur carapace est articulée, tel un hayon de voiture, et peut s’incliner jusqu’à 90 degrés.
Grâce à cette articulation ou « charnière », « la tortue peut refermer la partie arrière ouverte de sa carapace pour se protéger du danger », explique Pearson McGovern, chercheur spécialisé dans l’étude et la protection des tortues, qui en s’est particulièrement intéressé à la tortue articulée des forêts.
Cette « charnière » n’est pas la seule particularité de l’espèce. Elle est aussi la plus grande de toutes les tortues de la famille des testudinidés et est incroyablement douée pour le camouflage.
Edem Eniang, directeur général du Centre de préservation de la biodiversité au Nigéria, explique que la tortue a une « capacité inouïe à se fondre dans son environnement… ce qui lui permet de disparaître comme par magie et de passer inaperçue aux yeux de ses prédateurs, y compris des chasseurs ».
Edem Eniang souligne qu’elle pourrait être confondue avec une grosse pierre jusqu’à ce que vous l’étudiiez de plus près. Il ajoute qu’elle est « extrêmement calme » et, bien qu’étant un animal essentiellement terrestre, elle est également à l’aise dans l’eau.
« Elle nage incroyablement bien, flotte parfaitement à la surface et arrive à plonger en profondeur pour aller chasser les poissons », indique Edem Eniang.
La tortue articulée des forêts mange également un peu de tout. Luca Luiselli, écologiste de terrain et spécialiste des tortues africaines, précise que l’espèce se nourrit de champignons, de fruits, d’invertébrés et même de charogne.
Malheureusement, sa « charnière » ne la protège pas de son prédateur le plus dangereux, à savoir l’homme. L’espèce est en effet chassée par les populations locales depuis des générations.
« Les tortues sont vénérées culturellement et largement prisées pour la consommation de viande de brousse, mais aussi pour les pratiques fétichistes et la médecine traditionnelle », fait observer Edem Eniang.
Il indique que, dans certaines régions, les habitants brûlent la carapace de la tortue et la réduisent en poudre avant de l’utiliser comme supplément alimentaire pour les enfants souffrant de carences en calcium. Le cerveau et les œufs de la tortue sont, quant à eux, censés soigner les enfants qui tardent à apprendre à marcher, tandis que la viande est ajoutée aux préparations des philtres d’amour destinés aux hommes. Par ailleurs, « les animaux vivants sont utilisés dans certains rituels indigènes pour jeter des sorts ».
Un commerce risqué
Depuis une étude menée en 1996, l’espèce est classée dans la catégorie « données insuffisantes » de la liste rouge de l’UICN, ce qui signifie qu’il n’y avait tout simplement pas assez d’informations à l’époque pour déterminer l’état de conservation de l’espèce.
« L’une des raisons qui expliquent que l’UICN a classé l’espèce dans la catégorie [données insuffisantes] est le manque de données disponibles dans de nombreux pays de son aire de répartition. Nous sommes même confrontés à un manque de données de base sur la distribution et l’abondance de l’espèce dans des pays entiers où elle est présente », fait remarquer Pearson McGovern.
Luca Luiselli souligne que l’espèce est « provisoirement classée » en danger d’extinction par le groupe de spécialistes des tortues et des tortues d’eau douce de l’UICN. (Luca Luiselli et Pearson McGovern sont tous deux membres de ce groupe.) Il précise qu’en plus du phénomène de surconsommation, la déforestation et la destruction de l’habitat représentent également des menaces pour l’espèce.
Pearson McGovern ajoute que, si elle fait l’objet d’une « collecte massive » dans le bassin du Congo, il n’existe « pratiquement aucune donnée concernant l’abondance locale de l’espèce dans l’ensemble de la région ».
Ce manque de données laisse les chercheurs dans l’ignorance, quant à la situation générale de l’espèce.
Un héros de l’écologie méconnu
Bien que son poids n’excède généralement pas 1,4 kilogrammes (soit 3 livres), la tortue articulée des forêts joue un rôle fondamental au sein de son écosystème.
Edem Eniang explique que l’espèce, encline à creuser et à construire des terriers, crée un habitat pour toutes sortes d’autres espèces, telles que les insectes et les invertébrés.
« Les tortues jouent le rôle de défenseurs des espèces vivant dans le sous-sol des forêts », déclare-t-il. « Dans les terriers, les crevasses et les cavités creusés par les tortues, les animaux trouvent des cachettes et des refuges pour se protéger en cas d’incendie de forêt ».
La tortue aide également à propager et à disperser les graines des plantes et les champignons dans la nature.
« Au fur et à mesure de ses déplacements, elle disperse d’innombrables graines sur le sol de la forêt, et contribue ainsi à créer la prochaine génération d’arbres fruitiers, pour le bien de tous », explique Pearson McGovern, qui ajoute que le rôle de la tortue dans la forêt est « sous-estimé ».
Bien que les menaces soient nombreuses, le principal obstacle à une meilleure protection de la tortue articulée des forêts et d’autres espèces peu connues reste le manque de financement, selon Pearson McGovern.
« [Les tortues] en général, et l’Afrique en particulier, manquent de fonds pour soutenir la recherche écologique sur le terrain, et il s’agit du principal obstacle à la mise en œuvre de mesures de conservation efficaces pour de nombreuses espèces de microfaune négligées en Afrique », fait-il remarquer. Il souligne que, s’il existe un certain intérêt pour l’animal au niveau local, l’enseignement et le financement demeurent nécessaires pour garantir une collecte des données adéquate sur le terrain.
« Dans un monde où la plupart des personnes sont attirées par les espèces sauvages de grande taille, colorées, agressives et parfois charismatiques, un animal lent, timide, calme, mystérieux et inoffensif peut facilement rester insaisissable et passer inaperçu », conclut-il.
Image de bannière : Vue de face d’une tortue articulée des forêts montrant une lésion au niveau de la nuque et ayant fait l’objet d’une saisie en Côte d’Ivoire. Image de Pearson McGovern.
Cet article a été publié initialement ici par l’équipe de Mongabay Global le 26 août 2024.