- Au départ, des photos postées sur les réseaux sociaux par des touristes ont capté l’attention des chercheurs, qui se sont rendus sur le terrain plus tard.
- La nouvelle espèce nommée Brookesia nofy sp. nov., dont la taille ne fait même pas la longueur des deux phalanges, mesure moins de 33 mm de long.
- Sa découverte ramène à quatorze le nombre de caméléons de son genre, sans pour autant qu’elle soit la plus petite espèce de caméléon au monde.
- Son unique habitat sur la côte orientale de Madagascar subit de fortes pressions et a grandement besoin de mesures de protection renforcées.
ANTANANARIVO, Madagascar — Un miracle de la nature. « Le petit [caméléon] se montre ostensiblement après les pluies et à la tombée de la nuit. Il semble détester la forte chaleur du jour. On le trouve aisément par chance, car il se confond avec les feuilles d’arbres mortes tombées par terre ou les tiges », a dit Fidelis Silvio, un jeune père de famille de 28 ans du village d’Andranokoditra, bercé en permanence par des bruits de grosses vagues de l’océan Indien, dont le rivage est à moins de 200 mètres de sa maison.
Dans l’après-midi du 24 septembre, jusque tard dans la soirée, et toute la matinée du lendemain, il a guidé Mongabay sur le terrain, à la recherche de la « nouvelle star » de la forêt classée de Vohibola. Ce sanctuaire de la nature sur le littoral Est malgache dans la commune rurale d’Ambinaninony, district de Brickaville, abrite de petites espèces animales dont la Calumma vohibola, la plus petite grenouille au monde.
La nouvelle espèce de caméléon miniature élit domicile dans cette zone. Les chercheurs affirment l’avoir découverte à Ankanin’ny Nofy, un endroit qui borde un lac profond, avec une plage idyllique, sur la lisière sud de la forêt tropicale humide de Vohibola. Ankanin’ny Nofy signifie « Nid de rêves ». Le tout premier Président de la République de Madagascar, Philibert Tsiranana (1958-1972), adorait y passer des vacances, pour soi-disant « rêver ».
En septembre, des chercheurs ont publié dans la revue scientifique Zootaxa, une étude sur la découverte. Le minuscule reptile ravit la vedette aux autres espèces animales et végétales de petite taille répertoriées dans le bloc forestier. « Beaucoup de visiteurs, surtout les étrangers, demandent à le voir », a affirmé Silvio. Presque chaque année, des dizaines de chercheurs affluent à Vohibola pour contempler sa richesse biologique et le guide local a, depuis 2022, l’habitude d’accompagner certains amoureux de la nature dans la forêt.
Nommée Brookesia nofy, la nouvelle espèce appartenant au sous-genre Evoluticauda mesure moins de 33 mm de long, du museau à la pointe de la queue. Placé sur un doigt, le spécimen mâle ne fait même pas la longueur des deux phalanges. Les analyses conjointes réalisées par l’actuelle mention “zoologie et biodiversité animale” à l’université d’Antananarivo et la Technical University Braunschweig en Allemagne ont établi la liste des traits distinctifs du nouveau caméléon.

Le petit reptile se distingue par une série de caractères morphologiques. Par exemple, outre la taille réduite (32,8 mm pour le mâle), l’absence d’épines latérales ou dorsales sur la queue de la B. nofy sp. nov. est remarquable. Les scientifiques notent l’absence de bouclier pelvien dorsal dans la zone du sacrum et la présence d’une épine pelvienne distincte. Le caméléon a aussi un hémipénis – un des deux organes copulatoires reproducteurs des squamates mâles (une catégorie de reptiles) – sous forme globulaire sans ornementation évidente, ce qui est différent de celui des autres petits caméléons.
La découverte est parti d’une rencontre fortuite des visiteurs curieux avec le petit animal. En raison de la richesse faunistique et floristique de Vohibola, mais aussi de la difficulté d’accès de la zone, les espèces qui y vivent ne sont pas encore toutes identifiées. Elle attire quand même en moyenne annuellement 200 visiteurs internationaux, en dehors des nationaux tombés sous le charme de sa beauté.
Les visiteurs s’y rendent principalement par bateaux en empruntant le Canal des Pangalanes (485 km), parallèle à l’océan Indien et encore plus long que le canal du Suez ou celui de Panama. En 2021, des touristes ont posté sur les réseaux sociaux des photos du caméléon sans savoir qu’ils ont été en présence d’un animal jamais décrit par la science.
Ceci a poussé les chercheurs intéressés à se rendre sur le site indiqué à la rencontre du petit animal, afin de procéder à la collecte de données et à des prélèvements sur l’animal, avec l’autorisation gouvernementale. Leur descente sur le terrain a eu lieu en septembre 2023.

Le pêcheur traditionnel de 30 ans appelé Franklin, habitant d’Andranokoditra, l’un des quatre villages riverains de la forêt de Vohibola, corrobore la présence du petit reptile à quelques kilomètres au nord d’Ankanin’ny Nofy, sur la rive gauche du Canal des Pangalanes. « J’en trouve parfois jusqu’à huit spécimens à un même endroit. Mais j’ai une peur bleue d’eux. J’évite de les croiser sur mon chemin », a-t-il dit.
A ses yeux, ils ressemblent à des créatures mystérieuses. Paradoxalement, la plupart des villageois d’Andranokoditra, majoritairement des pêcheurs traditionnels, qui ont, jour après jour, la jolie forêt de Vohibola sous leurs yeux, ne sont pas au courant de la présence du minuscule reptile. La forêt est seulement séparée du village par le Canal des Pangalanes.
Pas le plus petit des caméléons
L’identification de la B. nofy ramène à quatorze le nombre de caméléons miniatures du sous-genre Evoluticauda connus jusqu’ici. En revanche, elle n’est pas le plus petit des caméléons. Par exemples, la Brookesia micra (22,5-23,6 mm de long pour le mâle) et la Brookesia nana (21,6 mm de long) sont encore plus petites que le nouveau caméléon vivant dans le fragment de forêt littorale malgache, dont l’altitude est à peine supérieure au niveau de la mer.

Plus à l’intérieur de la terre, à une altitude comprise entre 800 et 1 300 mètres, vit une autre petite espèce de caméléon. Baptisée Brookesia ramanantsoai (34,5-44,8 mm), celle-ci est considérée comme la sœur de B. nofy en raison de leur similitude physiologique. Seulement, la nouvelle espèce est dotée d’un museau sensiblement réduit, par rapport à celui de sa sœur et d’une tête plus grosse que celle de l’autre. La B. nofy reste en tout cas la seule de sa catégorie présente sur la côte orientale de basse altitude de l’île.
Le site d’Ankanin’ny Nofy et la forêt de Vohibola constituent l’unique habitat désigné de la nouvelle espèce animale. Les fortes pressions sur ces milieux naturels, à cause de la coupe sélective d’arbres, du défrichement, de la carbonisation et des conflits sociaux autour de la gestion de la forêt, amènent les chercheurs à déduire qu’elle est en danger critique au regard de la Liste Rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
En observateurs profanes, Franklin et un de ses amis du nom de Jeremy Rakotozafy, 26 ans, affirment avoir vu de leurs propres yeux le petit caméléon à un autre endroit non loin d’Ankanin’ny Nofy en 2022. Le feu a dévasté complètement la zone plus tard. Sur le terrain, Mongabay a pu constater de visu l’état avancé de destruction de la forêt de Vohibola, où le déboisement sporadique et les traces des incendies récents laissent pantois plus d’un.
L’association Razan’ny Vohibola, qui protège la forêt, depuis 2016, paraît impuissante face aux adversités auxquelles ses membres sont confrontés. « Il est essentiel d’éduquer les populations locales à la protection de l’environnement et à l’importance de Vohibola. Le renforcement de la coopération avec des organismes comme Conservation Allies ou Univet Nature et l’établissement des brigades mixtes permanentes, pourraient également aider à contrôler les activités illégales et à renforcer les actions de conservation », dit Angélique Annie Razafindrazoary, présidente de l’association.
« On ne lâche rien, on garde le cap et on tient bon. Bien évidemment, le classement de cette forêt en aire protégée est primordial », a ajouté l’activiste. Interrogé, le ministère de l’Environnement et du Développement durable (MEDD), représenté par la Direction des aires protégées, des ressources naturelles renouvelables et des écosystèmes (DAPRNE) qui a réalisé une étude d’évaluation sur le terrain à Vohibola l’an passé, dit être bien au courant de la situation de cette forêt et des problématiques autour d’elle. D’une superficie originelle de 2 300 ha dans les années 1980, la forêt serait aujourd’hui réduite à un millier d’hectares.
Pour Dr Andolalao Rakotoarison de l’université d’Itasy (Madagascar), la principale auteure de l’étude publiée chez Zootaxa, il est plus qu’urgent de mettre en œuvre des mesures de conservation pragmatiques. « C’est le seul garant de la préservation de notre biodiversité », dit-elle. La conservation est un vrai casse-tête chinois dans tout le pays et encore plus à Vohibola où la promotion de l’écotourisme par la mise en valeur de ses micro-espèces comme la B. nofy profite à coup sûr au développement local.
Image de bannière : La nouvelle espèce de caméléon appelée Brookesia nofy sp. nov. Image de Angélique R.
Citation :
Rakotoarison et al. (2024). A new miniaturized species of leaf chameleon, genus Brookesia, from a littoral forest fragment in eastern Madagascar. Zootaxa 5506 (4): 533–547. https://doi.org/10.11646/zootaxa.5506.4.3.
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