- Les propriétés biologiques du niébé favorisent la refertilisation des sols appauvris.
- Le niébé fixe l’azote atmosphérique à travers ses racines avec l’aide des bactéries dans le sol.
- Le niébé permet d’assurer aux femmes l’accès à la terre dans la production agricole.
- Cependant, des préalables sont nécessaires pour assurer la fonction de refertilisation des sols par le niébé.
A Ouèdo dans la commune d’Abomey-Calavi au sud du Bénin, ce matin de septembre 2024, Bienvenu Bonou, scrute le ciel assombri. Dans cette localité, du fait de la poussée démographique et de l’urbanisation de la périphérie de Cotonou, la capitale économique du pays, des habitations jouxtent des champs. A l’ombre d’un arbre de son champ, Bonou, attend impatiemment les premières gouttes de pluies afin de faire le semis de niébé (haricot). « Actuellement, je suis en train de réfléchir. Je voudrais à nouveau faire du niébé. Si ce n’est pas que la pluie est un peu en retard, je l’aurais déjà fait. A votre arrivée, vous auriez vu des pousses de niébé, de là-bas jusqu’ici», indique-t-il en langue locale fon à Mongabay, montrant l’étendue du domaine.
A sa précédente récolte de niébé d’environ 1 hectare, Bonou a alterné du maïs, dont les jeunes pousses sortent déjà de terre, toutes verdoyantes et alignées. Pour cet agriculteur de la quarantaine révolue et père de famille, la production du niébé se justifie.
« Quand la terre commence par perdre sa fertilité, comme celle que nous avons ici, cela demande qu’on y cultive du niébé ou de l’arachide. Une fois la récolte finie, leurs racines et leurs feuilles qui tombent font que la terre retrouve sa fertilité. Lorsqu’on les laisse pourrir dans le sol et qu’on vient faire du maïs, cela fait que le maïs se développe bien, la terre retrouve sa fertilité. Ces deux cultures, on les fait sur les terres qui sont en train de perdre leur fertilité », dit-il.
A Tori-Gare, dans la Commune de Tori-Bossito, à environ une heure de route à moto de Ouèdo, ce matin-là, Célestine Hounkanrin et sa belle-fille défrichent un champ. Elles apprêtent une parcelle située en bordure de voie pour de nouveaux semis. Dans cette localité agropastorale du sud Bénin, sur les portions de terres majoritairement cédées à des acquéreurs, sont fixées des plaques d’identification.
Le cœur à l’ouvrage, elle trouve un bout de temps pour se confier à Mongabay. « Ce sol n’est plus fertile, mais on l’aménage. Ce qui fait que quand on y fait des productions comme le maïs sans fertilisants, ce sont les vers qui l’infestent », dit-elle.
Hounkanrin fait du niébé pour la consommation, du maïs et aussi des tomates ; parfois aussi des légumes. « Tel que ce sol est appauvri nous devons mettre de fertilisant », dit-elle. Elle indique un bio-fertilisant à asperger au sol pour les semis ; un produit d’origine américaine.
« Si le sol n’est plus fertile, comme ici, d’autres mettent des engrais chimiques. Mais cela a des inconvénients. Ce que nous, nous utilisons, c’est du bio », soutient-elle. Toutefois, elle reconnait qu’après avoir fait du niébé, quand on fait le labour et l’alterne avec du maïs, la production est bonne. « On trouve des variétés de niébé qui donnent sans grands efforts. Mais ici ce n’est plus la brousse, sans apports ni traitements, ça ne va pas donner et il y aura des ravageurs », précise-t-elle.
Caractéristiques refertilisantes du sol par le niébé
Selon Louis Kokou Imorou, Assistant de recherche au département de phyto-technique et amélioration génétique des plantes, de la Faculté d’agronomie de l’université de Parakou (Bénin), le niébé (Vigna unguiculata), une légumineuse à graines, est une alternative de ré-fertilisation des sols. « Quand on fait la même culture sur plusieurs années sur la même parcelle, à un moment donné, on n’a rien. Mais avec les systèmes de rotation et les systèmes d’association, ces parcelles arrivent à répondre mieux que par le passé. C’est pourquoi, moi je suis beaucoup plus pour des pratiques agro-écologiques, qui sont aujourd’hui une solution alternative », dit Imorou à Mongabay.
Dr Bao-Lam Huynh, a aussi indiqué que le niébé est utilisé, non seulement comme culture de rotation, et de consommation, mais pour l’enrichissement du sol, dans des champs diversifiés. Le chercheur de l’université de Californie, Riverside (Etats-Unis), qui s’intéresse à la résistance des plantes hôtes, à la sélection assistée par marqueurs et à la biofortification, avait présenté ses travaux à la 7ème Conférence mondiale de recherche sur le niébé (WCRC sigle en anglais), à Cotonou, en septembre 2024.
« Le niébé est une légumineuse de la famille des fabacées, qui contribue beaucoup plus à la fertilisation du sol, à travers la fixation d’azote atmosphérique, avec la symbiose, avec les bactéries du sol et les nodulations. Nos parents savaient déjà que le niébé améliore le sol, c’est pour cela qu’ils l’associaient avec des céréales comme le maïs, le sorgho, le mil avant qu’on ne commence à parler du changement climatique. Même sans l’utilisation de l’engrais sur certains sols ici au Bénin, des producteurs de niébé ont la possibilité d’avoir un certain niveau de rendement », renchérit Symphorien Agbahoungba, chercheur en amélioration génétique des plantes et biotechnologie, au Michigan State University, à Accra (Ghana) et sélectionneur du niébé.
« C’est vrai que je ne suis pas pédologue ni agronome, mais pour ce que je connais, je sais que le niébé est une plante, qui, au niveau de ses racines, peut améliorer la fertilité du sol en apportant de l’azote. Cela fait que beaucoup de producteurs cultivent le niébé sans apporter quoi que ce soit, parce qu’on dit que la plante peut elle-même se produire son engrais. On a même constaté qu’effectivement, lorsqu’on cultive le niébé et que, prochainement, on ramène une céréale par exemple elle se comporte mieux. Effectivement, le niébé contribue à la fertilité du sol », dit Elisabeth Pawindé Zida, Maitre de recherche en phytopathologie à l’Institut de recherche environnementale et agricole du Burkina Faso à Mongabay.
Selon Dr Lydia Ndineleao Horn, Coordinatrice de Initiative de recherche sur les émissions zéro (ZERI), à l’université de Namibie, la capacité de fixation de l’azote par le niébé joue un rôle important pour la réduction de l’utilisation.
Pour fertiliser les sols grâce au niébé, deux mécanismes sont préconisés : la rotation ou l’association de cultures.
La rotation consiste à faire se succéder sur une même parcelle plusieurs cultures ou deux et l’association des cultures ou polyculture quant à elle, à installer plusieurs cultures ou deux différentes en même temps sur la même surface. Les dates de semis ou de récoltes peuvent être décalées.
Le niébé, palliatif à l’usage d’engrais chimiques ?
Le niébé fait partie des cultures vivrières de plusieurs pays. Une culture assez nutritive complémentaire de céréales dans plusieurs régions. Au Burkina Faso, il est catégorisé dans le lot des cultures qu’on appelle les cultures ‘’catch crop’’.
Grâce à ses propriétés, le niébé est considéré comme ré-fertilisant des sols appauvris. Toutefois, il ne saurait être un palliatif exclusif à l’usage d’engrais pour certaines plantes ou l’apport d’engrais au sol. « Pour des sols très dégradés, je pense que le niébé ne saurait vraiment remplacer systématiquement les engrais. Ce qu’il nous faut aussi, c’est mettre peut être l’accent sur la fumure organique, parce que l’engrais minéral systématiquement, ne contribue non plus à résoudre le problème. Il n’y a pas que la pauvreté du sol, il y a son état même. Il faut améliorer l’état du sol et c’est surtout la fumure organique qui peut contribuer à cela », dit Zida.
Dans un pays comme le Burkina Faso, dit-elle, ce qui dégrade surtout les sols est la monoculture et la culture intensive sans jachère, notamment, dans la plupart des exploitations familiales où, du père aux fils, se fait la production agricole. « Il y a également toutes ces chaleurs, ces variations assez importantes, les vents, l’érosion, et les fortes pluies. C’est vrai qu’on n’a pas assez de pluies, mais souvent, ça tombe d’une certaine façon et emporte tout. Tout cela mis ensemble contribue à dégrader les sols », dit-elle.
Approche genre face à la rareté des terres cultivables
« Il est démontré qu’au plan alimentaire, les légumineuses sont très importantes, et au plan agro-écologique, elles jouent le rôle de maintien de la fertilité du sol surtout pour les petits producteurs, en l’occurrence les femmes, qui ont souvent de petites parcelles. La plupart du temps, ce sont les parcelles abandonnées, fatiguées que le mari laisse et délègue à la femme. On connait l’apport financier de nos mamans dans les ménages. Malheureusement, elles n’ont pas toujours droit à des terres bien fertiles malgré leur proportion au sein de la population nationale », dit Imorou.
De ses explications, le plus souvent, les hommes font une culture intensive et font une utilisation abusive des engrais chimiques. Ce qui fait que ces terres perdent leur fertilité. Lorsqu’elles ne sont plus productives, et ne donne plus de meilleurs rendements, ils les abandonnent à la recherche de terres fertiles. Et ce sont ces parcelles qui reviennent aux femmes.
« Avec les légumineuses, les femmes arrivent d’une manière ou d’une autre à récupérer ces terres, qui maintiennent une fertilité au moins. Parce que les légumineuses sont moins exigeantes en certains éléments nutritifs. Et de par leurs capacités à fixer l’azote atmosphérique, le rendement n’est pas mal », conclut Imorou.
Image de bannière : Le niébé, une solution pour les sols appauvris et une alternative pour l’accès des femmes à la terre dans la production agricole en Afrique. Image de Ange Banouwin pour Mongabay.
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