- Une étude publiée dans Global Ecology and Conservation révèle, que l'expansion des monocultures, comme les vergers d'anacardiers, affectent négativement la diversité des mammifères.
- Les résultats soulignent l'importance des forêts naturelles pour préserver des assemblages de mammifères sains et maintenir la biodiversité dans les paysages agricoles de l’Afrique de l'Ouest.
- Les variations saisonnières influencent la disponibilité des ressources et la répartition des mammifères.
- Les auteurs de l’étude appellent à faire face aux impacts négatifs des monocultures, en renforçant la conservation des forêts indigènes, en promouvant l'agroforesterie et en adoptant des stratégies de gestion durable des terres.
Depuis des millénaires, les mammifères cohabitent avec les humains dans les mosaïques de forêts et de savanes, qui caractérisent une partie de l’Afrique de l’Ouest. Aujourd’hui, ces paysages subissent une pression croissante en raison de l’expansion rapide des monocultures, notamment des vergers d’anacardiers en Guinée-Bissau. Une récente étude montre l’impact significatif de ces monocultures sur les mammifères, soulignant l’importance cruciale des forêts pour la conservation de la biodiversité.
Publiée en juillet 2024, dans la revue Global Ecology and Conservation, l’étude met en avant la nécessité de maintenir l’hétérogénéité des habitats pour préserver la diversité des espèces dans les paysages agricoles en Afrique de l’Ouest.
D’après les chercheurs de l’université de Porto au Portugal, l’étude a été motivée par la nécessité de comprendre l’impact des pratiques agricoles modernes sur la biodiversité locale, particulièrement dans les régions où les paysages naturels sont rapidement remplacés par des monocultures d’anacardiers.
Pour parvenir aux résultats, ils ont utilisé des pièges photographiques, afin de surveiller la diversité des mammifères et l’activité des guildes trophiques dans sept paysages distincts (forêts indigènes, vergers d’anacardiers et rizières), chacun comprenant trois sites d’échantillonnages situés dans chacun des types d’habitats du nord de la Guinée-Bissau.
Au total, 937 enregistrements couvrant 21 espèces de mammifères ont été collectés, offrant un aperçu détaillé des changements dans l’activité des mammifères au fil des saisons.
Les résultats de l’étude ont révélé que, bien que la richesse et l’activité des espèces soient similaires dans tous les types d’habitats, elles étaient généralement plus élevées à la fin de la saison des pluies.
Interrogé par courriel, l’auteur principal de l’étude, Dr Ana Filipa Palmeirim, chercheuse au Centre de Recherche sur la Biodiversité et les Ressources Génétiques de l’université de Porto au Portugal, indique que cette étude visait à comprendre comment les mammifères s’adaptent aux changements d’utilisation des terres.
« Nous avons voulu examiner comment les mammifères utilisent différents types d’habitats tels que les parcelles forestières, les vergers d’anacardiers et les rizières sur deux périodes contrastées : au début et à la fin de la saison des pluies », explique-t-elle.
« La composition des espèces différait toutefois entre les habitats forestiers et les rizières, surtout à la fin de la saison des pluies », dit Filipa.
« Ces différences dans la composition des espèces suggèrent, que les vergers d’anacardiers, malgré leur richesse apparente, pourraient ne pas soutenir des assemblages de mammifères fonctionnellement sains à long terme », précise-t-elle.
Le rôle des variations saisonnières sur la répartition des mammifères
Professeur Victor Mamonekene, Chef de département environnement et océanographie à l’Institut national de recherche en science exacte et naturelle en République Démocratique du Congo (RDC), apporte un éclairage complémentaire sur l’influence des variations saisonnières sur la répartition des mammifères.
Il indique à Mongabay, dans un échange téléphonique, que toutes les espèces, qu’elles soient animales ou végétales, ne se multiplient pas toute l’année. « En règle générale, une espèce va avoir, du point de vue du climat, un préférendum, c’est-à-dire qu’elle va apparaître dans une saison spécifique, que ce soit pendant une période de pluies abondantes ou au contraire, en saison sèche ».
Il poursuit en expliquant, que ces fluctuations saisonnières, influent directement sur la disponibilité des ressources, dont dépendent les mammifères. « Les espèces dont les mammifères se nourrissent se développent en tenant compte de la saisonnalité. Par exemple, dans la zone sahélienne, les pâturages prolifèrent pendant la saison des pluies, mais disparaissent pendant la saison sèche, rendant l’environnement moins favorable pour certaines espèces. Cette dynamique, montre que les variations climatiques et saisonnières influencent, non seulement la végétation, mais aussi les chaînes alimentaires et les écosystèmes dans leur ensemble ».
Les impacts de la monoculture sur la biodiversité dans le bassin du Congo
Josué Aruna Sefu, Assistant de recherche à l’Institut Supérieur de Développement Rural de Kivu et Directeur Exécutif de l’ONG Congo Basin Conservation Society (CBCS-Network), met en lumière la situation spécifique du bassin du Congo.
Selon lui, bien que la région abrite peu de carnivores, elle est riche en herbivores, qui dépendent de la diversité végétale pour leur alimentation. « La mutation actuelle des paysages, caractérisée par une conversion en monocultures telles que les cultures de cacao et de café, impacte gravement les herbivores », explique-t-il lors d’un échange téléphonique.
Il précise que cette conversion entraîne la disparition d’espèces végétales comestibles pour les herbivores, qu’ils soient sauvages ou domestiques. « La transformation des habitats vers des monocultures prive ces animaux des plantes essentielles à leur alimentation, entraînant une mutation des espèces végétales et une altération des régimes alimentaires des herbivores », ajoute Sefu.
Cette dynamique pourrait refléter des tendances similaires dans les paysages de Guinée-Bissau, où la transformation des forêts en monocultures d’anacardiers pourrait également nuire aux mammifères en modifiant leur accès aux ressources alimentaires essentielles.
Les effets du changement climatique sur la conservation des mammifères
Dr Koffi Valentin Mawougnigan, chercheur en conservation de la biodiversité à l’université de Lomé au Togo, souligne que le changement climatique exacerbe ces problèmes en modifiant les habitats des mammifères. « Il s’agit d’une question d’écologie et de biologie de chaque espèce. De façon générale, la conversion des savanes et des forêts en monocultures d’anacardiers et en rizières, modifie profondément les écosystèmes, affectant la disponibilité de nourriture, l’habitat et les interactions écologiques », dit-il.
Pour les herbivores, cette conversion entraîne une perte d’habitat et de nourriture, réduisant l’espace disponible et privant ces animaux de la végétation diversifiée nécessaire à leur survie.
Les carnivores, quant à eux, souffrent de la réduction de la diversité des proies, car les habitats naturels, riches en biodiversité et en ressources alimentaires, sont remplacés par des monocultures. « Moins d’herbivores signifie moins de nourriture pour les carnivores et moins de variété d’espèces pour leur alimentation », ajoute-t-il.
Dr Mawougnigan met également en avant la fragmentation des habitats causée par les monocultures et les rizières. « Pour les carnivores, cette fragmentation complique davantage la trouvaille des proies et leur déplacement, entraînant une plus grande compétition pour les ressources et une augmentation des conflits avec les humains, si les carnivores se rapprochent des zones agricoles », précise-t-il. À long terme, ces changements peuvent modifier les comportements des animaux, entraîner des migrations vers d’autres zones, des changements dans leurs habitudes alimentaires, et affecter leur survie et leur reproduction.
De la nécessité de préserver la biodiversité
Les auteurs de l’étude recommandent de préserver la diversité des types d’habitats, notamment en maintenant des parcelles de forêts indigènes au sein des paysages agricoles.
Cette diversité des habitats est essentielle pour soutenir des assemblages de mammifères fonctionnellement sains et préserver la biodiversité.
Abondant dans le même sens, Sefu recommande plusieurs stratégies clés. Il suggère de promouvoir l’agroforesterie, qui intègre des arbres dans les pratiques agricoles, offrant ainsi des habitats diversifiés et préservant les corridors écologiques essentiels pour les mammifères. Il préconise également la restauration des forêts dégradées pour reconstituer les écosystèmes naturels et fournir un habitat sûr aux espèces locales.
« Il est crucial de mettre en œuvre des pratiques de gestion durable des terres, qui favorisent une coexistence équilibrée entre les besoins agricoles et la conservation de la biodiversité », dit Sefu.
Il appelle à un renforcement des politiques de conservation, notamment par la création de zones protégées et des initiatives communautaires, qui encouragent la gestion participative des ressources naturelles.
Il faut noter que la combinaison des monocultures, de la déforestation et des changements climatiques souligne l’urgence à adopter des stratégies de conservation adaptées pour préserver la biodiversité des mammifères en Afrique centrale et de l’Ouest.
Image de bannière: Les chercheurs pensent que la conversion des savanes et des forêts en monocultures d’anacardiers et en rizières est préjudiciable pour la survie des animaux. Image par Mongabay.
Citation:
Rossinyol-Fernàndez, A., Dabo, D., dos Reis Silva, F., Oliveira,R., Seck, S., Rainho, A., Cabeza, M., & Palmeirim, F. A. (2024). Use of native and human-modified habitats by different mammal guilds in West Africa, Global Ecology and Conservation, Volume 54, e03099. https://doi.org/10.1016/j.gecco.2024.e03099.
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