- La 10ème session spéciale de l'AMCEN s'ouvre, aujourd'hui, à Abidjan pour aborder les défis environnementaux urgents de l'Afrique, notamment la dégradation des terres et le changement climatique.
- Les discussions se concentreront sur la lutte contre la désertification, la préservation de la biodiversité, la mobilisation des ressources et la préparation aux négociations internationales.
- Cette conférence vise à renforcer la coopération régionale et à définir des positions communes pour l'Afrique en vue des prochaines COP sur le climat et la biodiversité.
- Les résultats de cette session, incluant une déclaration ministérielle et des décisions concrètes, seront cruciaux pour l'avenir environnemental de l'Afrique et sa capacité à concilier développement économique et préservation de l'environnement.
La 10ème session spéciale de la Conférence Ministérielle Africaine sur l’Environnement (AMCEN) s’ouvre, aujourd’hui, à Abidjan, en Côte d’Ivoire, réunissant les ministres de l’environnement et experts du continent pour aborder les défis environnementaux urgents auxquels l’Afrique est confrontée. Cette importante rencontre, qui se tiendra jusqu’au 6 septembre 2024, vise à renforcer l’ambition et l’action du continent face à la dégradation des terres, la désertification et le changement climatique.
Sous le thème “Renforcer l’ambition pour accélérer la résilience à la sécheresse et lutter contre la dégradation des terres et la désertification”, cette session spéciale intervient dans un contexte alarmant. Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’Agriculture (FAO), environ 65 % des terres en Afrique sont actuellement dégradées, affectant plus de 400 millions de personnes.
Le bassin du Congo et le Sahel au cœur des préoccupations
La situation est particulièrement préoccupante dans des régions clés comme le bassin du Congo, la dernière grande forêt tropicale et le Sahel. Selon des données récentes de la Banque mondiale, le bassin du Congo, qui s’étend sur environ 530 millions d’hectares, dont 300 millions sont couverts de forêts, représente 70 % de la couverture forestière de l’Afrique. Ces forêts jouent un rôle crucial dans le stockage du carbone. Elles conservent environ 29 milliards de tonnes de carbone dans les sols tourbeux qui jalonnent ses forêts, soit un quart du stock mondial terrestre. Les projections font état de 27 % de disparition des forêts non perturbées d’ici à 2050 si la déforestation continue à ce rythme dans le bassin du Congo.
Selon une étude cartographique réalisée par Global Forest Watch du World Resource Institute (WRI), 3,7 millions d’hectares de forêt primaire ont été perdus en 2023 à l’échelle des tropiques, soit presque la superficie du Bhoutan. Autrement dit, en 2023, 10 terrains de football ont été perdus par minute sous les tropiques.
En 2023, la République démocratique du Congo (RDC), un des pays du bassin du Congo, a perdu plus d’un demi-million d’hectares de forêt tropicale primaire. Ceci en raison de la grande dépendance des populations vis-à-vis des ressources des forêts pour leur alimentation et leur énergie (agriculture de subsistance et fabrication de charbon de bois etc.).
Dans le Sahel, la situation n’est pas moins critique. La Banque mondiale rapporte que plus de 46 millions de personnes dans la Corne de l’Afrique et le Sahel souffrent d’insécurité alimentaire sévère, exacerbée par la sécheresse et la dégradation des terres. Chaque année, le continent perd environ 4,4 millions d’hectares de terres productives à cause de la désertification, entraînant une réduction de la productivité agricole et la sous-alimentation de près de 68,1 millions d’Africains.
À l’ouverture de la Réunion Consultative Régionale précédant cette session de l’AMCEN, Rose Mwebaza, Directrice du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) et Représentante régionale pour l’Afrique, a souligné l’urgence de la situation : « Dans plusieurs régions d’Afrique, nous constatons l’avancée de la sécheresse et de la désertification. Nous devons travailler avec les gouvernements pour trouver des solutions à ces problèmes. De même, sans les organisations (société civile, ONG), nous aurions du mal à faire bouger les choses ».
Examen des progrès réalisés et attentes
La conférence se déroulera en deux phases : une réunion des experts les 3 et 4 septembre, suivie d’un segment ministériel, les 5 et 6 septembre. Plusieurs points clés seront au cœur des discussions.
Les experts examineront les progrès réalisés au niveau des objectifs de neutralité en matière de dégradation des terres. Ils évalueront l’efficacité des stratégies actuelles et exploreront de nouvelles approches pour restaurer les terres dégradées et prévenir leur détérioration supplémentaire. Un accent particulier sera mis sur le renforcement de la résilience face à la sécheresse, un phénomène, qui touche durement plusieurs régions du continent, notamment la Corne de l’Afrique et le Sahel.
La conférence jouera un rôle crucial dans la préparation de la position africaine pour les prochaines Conférences des Parties (COP) sur le climat et la biodiversité. Les ministres discuteront des stratégies d’adaptation au changement climatique et des moyens de préserver la biodiversité unique du continent. Ils aborderont également la question de la mise en œuvre des accords internationaux, notamment ceux issus de la COP15 sur la biodiversité.
Un focus sera également mis sur le renforcement des partenariats et des synergies pour mobiliser des ressources. Les participants exploreront des mécanismes de financement innovants pour soutenir les efforts de restauration des écosystèmes et de lutte contre la désertification. Il sera question notamment de l’utilisation stratégique des fonds climat et des partenariats public-privé.
L’AMCEN servira de plateforme pour consolider la position africaine en vue de plusieurs rendez-vous internationaux majeurs. Parmi ceux-ci, on compte la COP16 de la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD), la COP29 de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), et la cinquième session du Comité intergouvernemental de négociation sur la pollution plastique.
L’importance de cette session de l’AMCEN ne saurait être sous-estimée. Elle intervient à un moment critique où l’Afrique fait face à des défis environnementaux sans précédent, exacerbés par le changement climatique, selon plusieurs experts. Les décisions prises à Abidjan auront un impact significatif sur la manière dont le continent abordera ces défis dans les années à venir.
La session spéciale vise donc à renforcer la coopération régionale, à définir des positions communes pour les négociations internationales, et à accélérer l’action sur le terrain. Elle offre également une opportunité unique de mettre en lumière les initiatives africaines innovantes en matière de gestion durable des terres et de restauration des écosystèmes.
Un aspect notable de cette session est l’implication des acteurs non étatiques. En effet, en amont de la réunion des experts, une Réunion Consultative Régionale (RCR) des principaux groupes et parties prenantes s’est tenue les 1er et 2 septembre. Cette réunion a permis à la société civile, aux organisations non gouvernementales et aux autres parties prenantes de contribuer aux discussions et de formuler des recommandations, qui seront prises en compte lors des délibérations ministérielles.
Soulignant l’importance de cette collaboration, Parfait Kouadio, Directeur de cabinet du ministre ivoirien de l’Environnement, a déclaré lors de l’ouverture de la RCR le 1er septembre que : « pour remédier aux changements climatiques, il faut des actions coordonnées des gouvernements et des acteurs nationaux (société civiles et ONG, notamment), capables de jouer un rôle important tant dans la réflexion intellectuelle que dans la mise en œuvre des projets ».
Dans ce contexte, Stella Tchoukep, Chargée de la campagne forêt chez Greenpeace Afrique, interrogée par Mongabay en marge de la RCR, a soulevé des questions cruciales concernant les droits des communautés locales et des peuples autochtones. Elle a souligné l’importance de sécuriser les droits fonciers des communautés comme préalable à la lutte contre la dégradation des terres et le changement climatique.
« Pour impliquer davantage ces communautés dans la lutte contre ces fléaux, il faudrait qu’elles aient des droits fonciers sécurisés », a-t-elle dit. « On a nécessairement besoin de politiques foncières durables pour pouvoir lutter contre les changements climatiques ou la dégradation des terres ».
Tchoukep a mis en lumière les défis auxquels sont confrontées les communautés du bassin du Congo, où les initiatives de développement basées sur l’exploitation des ressources naturelles, entrent souvent en conflit avec les droits des peuples autochtones. Elle a cité l’exemple du Parc national de Conkouati-Douli au Congo, où des permis d’exploitation pétrolière, ont été délivrés dans une aire protégée habitée par des communautés locales.
« Il faut trouver le moyen d’équilibrer le besoin de développement et la préservation des droits fonciers des communautés, et la protection de l’environnement », a-t-elle ajouté. « Ne pas sécuriser les droits fonciers des communautés, c’est s’exposer à des conflits », a-t-elle précisé.
Les résultats attendus de cette 10ème session spéciale de l’AMCEN sont multiples. On s’attend à l’adoption d’une déclaration ministérielle forte, réaffirmant l’engagement de l’Afrique à lutter contre la dégradation des terres et le changement climatique. Des décisions concrètes devraient également être prises pour renforcer les cadres politiques et institutionnels nécessaires à la mise en œuvre des objectifs de neutralité en matière de dégradation des terres. Les organisations de la société civile produiront, à l’issue de leurs travaux, une déclaration officielle à l’endroit des ministres.
Alors que la réunion des experts s’ouvre aujourd’hui, suivie du segment ministériel les 5 et 6 septembre, les yeux sont rivés sur Abidjan. Les enjeux sont considérables pour l’Afrique, qui cherche à concilier développement économique et préservation de son environnement. Les décisions prises lors de cette session spéciale de l’AMCEN pourraient bien marquer un tournant dans la manière dont le continent aborde ses défis environnementaux, en privilégiant une approche globale et ambitieuse. L’avenir environnemental de l’Afrique, et par extension celui de la planète, dépendra en grande partie de la capacité des leaders africains à transformer les engagements pris à Abidjan en actions concrètes sur le terrain.
Image de bannière : Hussen Ahmed, 70 ans, une victime de la sécheresse dans la région de Kebele de Beda’as, district de Denan, zone de Shebele, région de Somali en Ethiopie. Image de UNICEF Éthiopie/Mulugeta Ayene via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).
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