- Les discussions des experts africains au cadre de la Conférence Ministérielle Africaine sur l'Environnement (AMCEN) met en lumière l'ambition du continent d'atteindre la neutralité en matière de dégradation des terres, avec un focus particulier sur la lutte contre la désertification dans le Sahel et la préservation des forêts du bassin du Congo.
- Les experts africains soulignent l'importance de combiner les savoirs traditionnels, comme la technique du Zaï, avec des approches innovantes et des initiatives à grande échelle.
- Le financement reste un défi majeur pour la mise en œuvre des objectifs de neutralité en matière de dégradation des terres, nécessitant des mécanismes plus robustes et une approche intégrée liant biodiversité, climat et dégradation des terres.
- L'AMCEN vise aussi à définir une position africaine unifiée pour les négociations internationales, tout en promouvant une approche qui implique activement les communautés locales et renforce les capacités institutionnelles des pays africains.
ABIDJAN — La dégradation des terres est un des défis les plus pressants de l’Afrique. Les discussions à la Conférence Ministérielle Africaine sur l’Environnement (AMCEN), qui se tient à Abidjan, en Côte d’Ivoire, révèlent l’ampleur du défi et les ambitions du continent pour y faire face.
La désertification, particulièrement dans la région du Sahel, demeure une préoccupation majeure. Interrogé par Mongabay en marge des travaux de l’AMCEN, Baba Dramé, Directeur de la réglementation et du contrôle au ministère de l’Environnement et de la transition écologique du Sénégal, affirme que l’avancée du désert demeure l’un des grands défis, dans un contexte global de changement climatique dans de nombreux pays africains.
« Cette progression du désert est un désastre environnemental qui prive plusieurs milliers de personnes de leurs ressources vitales, compromettant ainsi leur survie et leur développement économique et social », a-t-il dit.
L’ambition de l’Afrique pour atteindre la neutralité en matière de dégradation des terres ne se limite pas à des projets de grande envergure. Elle s’appuie également sur des pratiques traditionnelles et des innovations locales. Oswald Koalga, Agro-environnementaliste au Centre écologique Albert Schweitzer du Burkina Faso, interrogé par Mongabay, met en avant ces approches.
« Cela fait déjà plus de trois décennies que nous luttons contre la dégradation des terres au Sahel. Nous appliquons des techniques de conservation des eaux et des sols. Et pour maintenir une qualité acceptable des sols pour pouvoir nourrir nos populations, il faut que nous adoptions plus massivement des pratiques d’agriculture durable, en particulier l’agroécologie», a-t-il dit.
« Nous disposons par ailleurs de savoir-faire locaux pour reconstituer, maintenir ou améliorer la qualité des terres. Il y a par exemple la technique du Zaï (elle consiste à creuser des trous peu profonds dans des sols dégradés pour y concentrer l’eau de pluie et les nutriments, favorisant ainsi la culture même dans des conditions arides), courante au Burkina Faso et d’autres pays du Sahel », a ajouté Koalga.
« Nous utilisons également d’autres techniques traditionnelles comme les cordons pierreux, qui ralentissent l’écoulement de l’eau et favorisent son infiltration, ou encore la technique du demi-lune, qui consiste à creuser des cuvettes en forme de demi-cercle pour capter l’eau de ruissellement. Ces méthodes permettent la fertilisation accrue des terres et d’avoir des rendements intéressants. Ce sont là des savoirs endogènes qu’on essaie d’améliorer grâce à la recherche ».
Des études scientifiques ont démontré que les cordons pierreux, en plus de l’enrichissement biologique des espaces agricoles où ils sont aménagés, permettent de séquestrer l’équivalent de 3 tonnes de CO2 par hectare et par an. De plus, les cordons pierreux associés au zaï permettent d’accroître les rendements des parcelles agricoles parfois jusqu’à 100%.
Si la région du Sahel est souvent au cœur des discussions sur la dégradation des terres, d’autres écosystèmes africains font également face à des défis similaires. Le bassin du Congo, deuxième plus grand massif forestier tropical au monde, est également concerné par ces problématiques. Frederick Kumah, Vice-président de African Wildlife Foundation, détaille les défis spécifiques à cette région.
« Parmi les défis qui entravent la mise en œuvre efficace des objectifs de neutralité en matière de dégradation des terres dans le bassin du Congo, on peut citer les différences de politiques, la pression exercée par des utilisations concurrentes des terres telles que l’agriculture, l’exploitation minière, le développement des infrastructures et le défrichement des forêts pour le bois de chauffage et le charbon de bois ; le financement durable limité ; le non-respect des pratiques durables dans les industries du bois et des mines ; et l’engagement limité des communautés locales», a dit Kumah à Mongabay.
Pour relever ces défis, Kumah propose une approche multidimensionnelle. Il propose de renforcer les plateformes et les programmes transfrontaliers, d’adopter des approches intégrées de financement, de promouvoir une gestion durable des terres et d’impliquer activement les communautés locales et autochtones dans la conception et la mise en œuvre des solutions.
Impliquer des communautés, renforcer les capacités institutionnelles
L’ambition des États africains pour atteindre la neutralité en matière de dégradation des terres se heurte également à des obstacles financiers. Baba Dramé estime que le financement reste un défi majeur. « Les mécanismes actuels, comme le Fonds mondial pour l’environnement, ont des capacités limitées qui ne permettent pas de répondre à l’ampleur du problème», a-t-il dit.
Les experts réunis à l’AMCEN soulignent l’importance d’une approche globale, qui prend en compte les liens entre la dégradation des terres, la perte de biodiversité et le changement climatique. Cette vision intégrée est essentielle pour mobiliser des ressources et mettre en œuvre des solutions efficaces.
L’implication des communautés locales et la valorisation des savoirs traditionnels sont également au cœur des discussions. Comme le souligne l’agro- environnementaliste Koalga, ces connaissances ancestrales, combinées à la recherche scientifique moderne, peuvent offrir des solutions innovantes et adaptées aux contextes locaux.
L’AMCEN offre une plateforme pour coordonner les efforts à l’échelle du continent. Les discussions lors de cette 10ème session spéciale visent à définir une position africaine forte et unifiée en vue des prochaines négociations internationales, notamment la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification (COP16 ) prévue à Riyadh, en décembre 2024.
Un aspect crucial souligné lors des discussions est la nécessité de renforcer les capacités institutionnelles et techniques des pays africains. Cela implique non seulement la formation de personnel qualifié, mais aussi le développement d’infrastructures et de systèmes de surveillance efficaces pour suivre l’évolution de la dégradation des terres.
Comme le mentionne Baba Dramé, « nous avons au Sénégal un centre de suivi écologique, qui dispose de moyens pour suivre l’état de l’environnement dans le pays, y compris la dégradation des terres et l’avancée du désert. Ses mécanismes d’actions sont aujourd’hui utilisés au-delà du Sénégal, par d’autres pays du Sahel ». Ce type d’initiative pourrait servir de modèle pour d’autres pays du continent.
De plus, les participants à l’AMCEN ont souligné l’importance de la coopération Sud-Sud et des partages d’expériences entre pays africains. Un exemple concret de cette coopération est le projet “Surveillance de l’environnement en Afrique pour un développement durable” (MESA), qui a impliqué 48 pays africains.
Dans le cadre de ce projet, plusieurs nations ont pu partager leurs expériences et leurs expertises en matière de surveillance environnementale, notamment dans le domaine de l’utilisation des technologies de télédétection pour suivre la dégradation des terres et la désertification. Cette collaboration a contribué à renforcer les capacités de nombreux pays africains dans la gestion des ressources naturelles, soutenant ainsi leurs efforts pour atteindre la neutralité en matière de dégradation des terres.
Alors que les participants quittent bientôt Abidjan, l’accent est mis sur la nécessité de traduire les ambitions en actions concrètes. Le succès de cette entreprise dépendra de la capacité du continent à mobiliser des ressources, à renforcer la coopération régionale et à impliquer toutes les parties prenantes dans la mise en œuvre des solutions. L’AMCEN a posé les jalons d’une approche africaine unifiée face à la dégradation des terres. Il reste maintenant à transformer ces ambitions en réalité sur le terrain, pour le bénéfice des populations et des écosystèmes du continent.
Les discussions des experts africains au cadre de la Conférence Ministérielle Africaine sur l’Environnement (AMCEN) met en lumière l’ambition du continent d’atteindre la neutralité en matière de dégradation des terres, avec un focus particulier sur la lutte contre la désertification dans le Sahel et la préservation des forêts du bassin du Congo.
L’AMCEN s’attaque aux défis environnementaux pressants de l’Afrique
Image de bannière : Plantation de gombos dans des fosses à zaï. Image de Alina via Flickr (CC BY-NC 2.0)
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