- La communauté de Pagouda, sous l'initiative de l'Imam Tchao Aliou, s'est rassemblée pour une prière collective, implorant la clémence divine afin de ramener la pluie sur leurs terres asséchées.
- Les agriculteurs de la localité témoignent de la perte totale de leurs récoltes, exacerbant leur inquiétude, quant à la survie de leurs familles.
- L'Agence nationale de météorologie au Togo(ANAMET) explique que le déplacement des courants marins a détourné les vents humides vers le Sahel, réduisant ainsi les précipitations dans le pays.
- Des experts recommandent l'agroforesterie comme solution pour restaurer l'humidité des sols, attirer les précipitations et lutter contre les effets de la sécheresse.
Dans la matinée du jeudi 15 août 2024, la cour de l’Ecole centrale de Pagouda à 400 km au nord de Lomé, la capitale du Togo, était empreinte d’une atmosphère grave. Les habitants, implorant le ciel, espèrent le retour des pluies, qui se font désirer depuis des semaines.
Initiée par l’Imam Tchao Aliou, cette prière collective traduit l’inquiétude de la communauté confrontée à une sécheresse tenace, qui perdure depuis plus d’un mois.
Pour Kondabalo Balamwè et Abeya Kodjo, agriculteurs de la région, cette situation illustre les impacts dévastateurs du changement climatique, qui perturbe leur quotidien et leur production.
La poussière, soulevée par le vent chaud, se mêle aux tourbillons, qui balaient les champs de maïs, où les tiges desséchées témoignent de l’absence prolongée de précipitations.
À Pagouda, dans la région de la Kara (Nord du Togo), le ciel reste obstinément limpide, sans le moindre nuage à l’horizon.
Pour Balamwè, cultivateur depuis plus de vingt ans, le spectacle est désolant. « Les semences avaient bien germé, les plants étaient sortis, mais sans pluie, ils n’ont pas survécu. Nous avons semé du maïs, mais tout est asséché », confie-t-il, la voix lourde de désespoir.
L’angoisse grandit alors qu’il se demande comment subvenir aux besoins de sa famille et rembourser les emprunts contractés pour cette saison agricole. « C’est un véritable casse-tête », murmure-t-il, impuissant.
À 12 kilomètres de là, Kodjo, qui cultive seul son champ, partage les mêmes préoccupations. « Nous pensions que la saison des pluies serait semblable à celle des années précédentes, mais cette fois-ci, la terre s’est asséchée sous nos pieds, laissant nos récoltes dépérir ».
Leurs visages, marqués par la fatigue et l’inquiétude, en disent long sur la gravité de la situation. Chaque jour, Kodjo parcourt son champ, espérant un miracle, mais les tiges flétries de maïs rappellent cruellement la dure réalité.
« Nous avons tout perdu », dit-il, la voix brisée par l’émotion. La promesse d’une récolte abondante s’est envolée avec les vents secs, emportant les espoirs de ces agriculteurs pour qui chaque épi de maïs représente un espoir pour l’avenir.
Cette sécheresse prolongée à Pagouda n’est pas un incident isolé. Elle reflète la vulnérabilité croissante des agriculteurs face aux aléas climatiques.
Avec le changement climatique, ces périodes de stress hydrique deviennent de plus en plus fréquentes et intenses. Les cultivateurs, tels que Balamwè et Kodjo, sont en première ligne de ces bouleversements, qui compromettent leur sécurité alimentaire et économique.
La résilience, désormais, passe par l’adoption de variétés de plantes plus résistantes à la sécheresse, une stratégie que Kodjo envisage de plus en plus sérieusement. « Il nous faut apprendre à anticiper et à nous adapter, pour que le travail de toute une saison ne soit plus anéanti par un mois sans pluie ».
Cette situation de sécheresse prolongée à Pagouda n’est pas nouvelle. Déjà en 2019, Noélie Jans, Enseignante et chercheuse, a alerté sur les effets du changement climatique dans son mémoire intitulé « Impact du changement climatique sur les agriculteurs du nord du Togo et les adaptations de ceux-ci face à ce changement ».
Elle y a mentionné, que le problème, lié au changement climatique rencontré par le Togo, est celui de la sécheresse des sols. En effet, les précipitations sont trop faibles pour égaliser avec l’évapotranspiration de l’eau, engendrée par la sécheresse.
« Il s’agit en fait d’une baisse du ratio Pluviométrie/Évapotranspiration potentielle. Cela va impacter le rendement des cultures, surtout celles du sorgho, du maïs, du riz et du mil. Ces céréales, constituant une part importante de l’alimentation de base des Togolais, sont aujourd’hui menacées, et avec elles, la sécurité alimentaire des communautés rurales », affirme-t-elle dans un courriel à Mongabay.
À cela, s’ajoute un autre phénomène climatique majeur. Latifou Issaou, Directeur général de l’Agence nationale de la météorologie au Togo (ANAMET), explique que « la particularité est que les courants marins se sont renforcés, et cela a poussé la mousson jusqu’aux larges des pays du Sahel. Les vents humides, qui devraient entraîner les pluies, se sont logés au niveau des pays du Sahel, où il y a de fortes précipitations causant énormément de dégâts ».
Ce déplacement des courants atmosphériques explique en partie pourquoi les précipitations ont été si faibles au Togo, exacerbant la sécheresse.
Des solutions basées sur l’agroforesterie : une lueur d’espoir
Face à cette réalité accablante, des spécialistes préconisent des solutions basées sur l’agroforesterie pour contrer les effets de la sécheresse.
Interrogé par Mongabay, Dr Kossi Kpemoua, chercheur en Phytopathologie et biotechnologie végétale au Centre de recherche agronomique dans la savane sèche à Kara, souligne l’importance de promouvoir un système agroforestier, qui associe les cultures aux arbres d’ombrage, favorisant ainsi l’attraction des pluies. « Il faut qu’on pense à primer les agriculteurs désireux de pratiquer l’agroforesterie. L’agriculteur togolais, motivé par cette pratique, va s’y habituer et en prendre soin. On pourrait organiser des compétitions pour encourager cette pratique, car montrer au paysan qu’il pratique une agriculture durable sur son sol, c’est lui montrer la voie pour favoriser la pluie », dit le chercheur.
Dr Olivier Rouspard, bioclimatologue au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), abonde la question dans le même sens, dans un échange téléphonique.
Il explique que l’agroforesterie permet de piéger du carbone dans les zones agricoles, facilitant ainsi la restitution de vapeur d’eau. « On s’est rendu compte que les forêts pouvaient propager des pluies », précise-t-il, insistant sur l’importance de cette approche pour atténuer les effets des sécheresses de plus en plus fréquentes dans l’ouest du continent africain.
Les causes sous-jacentes et les adaptations possibles
Selon Dr Nissao Konkondji Nkpane, chercheur en géologie à l’université de Lomé, la situation actuelle peut être expliquée par plusieurs facteurs. Il dit au téléphone à Mongabay que « l’air chaud qui, dans son ascension, subit une condensation, est dû essentiellement à l’évaporation des eaux de surface (mers, océan, cours d’eau) et à l’évapotranspiration de la biomasse. Voilà qu’on a diminué drastiquement le couvert végétal. L’évapotranspiration est diminuée aussi, donc… on a ce qu’on a aujourd’hui ».
Aussi, propose-t-il, « la déforestation, amplifiée par l’agriculture intensive, est donc un facteur clé du problème. Il serait donc important que les agriculteurs replantent des arbres dans les champs, afin d’augmenter la fertilité des sols grâce à l’azote qui sont fixés ».
Amana Pya Abalo, Président de la Synergie des Acteurs de la Promotion de la Consommation Locale et l’Agroécologie (SACLA) et Directeur de la chaîne des producteurs agricoles de Kara (CPAK SARL), partage au téléphone à Mongabay ses préoccupations sur les impacts du changement climatique sur les coopératives maraîchères. « Les coopératives maraîchères sont impactées tant par la sécheresse du sol que par le manque d’eau. Ces coopératives de contre-saison dépendent aujourd’hui uniquement des puits qui sont construits. Les agriculteurs doivent instaurer des techniques peu gourmandes en eau, ou qui ne la gaspillent pas. Si les agriculteurs ne s’adaptent pas à cette sécheresse, les coopératives maraîchères de la région de la Kara risquent, dans quelques années, de ne plus rien voir pousser sur leur sol. Les agriculteurs ne peuvent pas continuer à utiliser des pesticides et engrais chimiques, pour faire pousser leur culture, car le sol risque de devenir stérile », dit-il.
Selon Anani Kpadenou, Directeur des Filières Végétales au ministère de l’Agriculture, joint au téléphone par Mongabay, « des actions sont déjà engagées pour la promotion de l’irrigation » et la construction de systèmes d’irrigation robuste afin de parer à ces situations de sécheresse. « Les institutions financières pourront également accompagner les projets portés par les exploitations agricoles individuelles ainsi que les coopératives. Il faudrait qu’on quitte le plaidoyer et l’activisme pour aller à un mobilisation concrète de ressources pour investir dans le domaine de l’irrigation », a-t-il dit.
En attendant, dans l’optique d’améliorer la productivité des exploitants agricoles pour un meilleur rendement et de surcroit, contribuer à assurer la sécurité alimentaire et nutritionnelle durable au Togo, le programme de Résilience de systèmes alimentaires en Afrique de l’Ouest (FSRP-Togo) accompagne les producteurs vulnérables à travers le pays, notamment dans les régions de la Kara, en leur fournissant des semences (maïs, riz, soja et niébé) résilientes aux conditions climatiques. Dans un échange téléphonique, Lamboni Damtaré, spécialiste suivi-évaluation au sein dudit programme, affirme que 28 362 producteurs ont déjà bénéficié de cette opération.
En définitive, l’adoption de techniques agricoles durables, telles que l’agroforesterie et la réduction de l’utilisation de produits chimiques, semble être la clé pour préserver la fertilité des sols et assurer la pérennité des cultures face aux défis du changement climatique.
Image de bannière : Un agriculteur au milieu de son champ de maïs asséché dans la région de Pagouda, au nord du Togo, qui subit, depuis plusieurs semaines, une sécheresse prolongée. Image de Hector Sann’do Nammangue pour Mongabay.
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