- L'Afrique, bien que contribuant faiblement aux émissions mondiales de gaz à effet de serre, subit de plein fouet les conséquences du changement climatique, avec un coût moyen estimé à 5 % du PIB.
- Les besoins de financement climatique, pour l'Afrique, sont estimés à 1 300 milliards de dollars par an, un coût bien au-delà des engagements internationaux actuels.
- La CEA soutient les pays africains dans l'intégration des enjeux climatiques dans leurs stratégies de développement et dans les négociations internationales.
- Nassim Oulmane souligne l'importance de la coopération régionale, de l'implication des acteurs locaux et de l'innovation financière pour relever les défis environnementaux du continent.
Face à l’urgence climatique, l’Afrique se mobilise, notamment avec le soutien de la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies (CEA). Mongabay a rencontré Nassim Oulmane, Directeur de la Division de la technologie, du changement climatique et de la gestion des ressources naturelles de la CEA, pour décrypter les enjeux et les stratégies du continent.
Oulmane expose une réalité alarmante : l’Afrique, malgré sa faible contribution aux émissions de gaz à effet de serre, subit de plein fouet les impacts du changement climatique. Le coût pour les économies africaines est considérable, atteignant en moyenne 5 % de leur PIB.
Dans cet entretien, réalisé en marge de la 10ème session extraordinaire de la Conférence Ministérielle Africaine sur l’environnement (AMCEN) à Abidjan, en Côte d’Ivoire, Nassim Oulmane détaille le rôle essentiel de la CEA. L’organisation accompagne les pays africains dans l’élaboration de leurs politiques climatiques et renforce leur position sur la scène internationale, ouvrant ainsi la voie à une action africaine coordonnée et efficace face au défi climatique.
Cet entretien a été révisé par souci de clarté et de longueur.
Mongabay : Quels sont les principaux impacts du changement climatique sur les pays africains, et comment ces défis affectent-ils leurs économies et leurs sociétés ?
Nassim Oulmane : L’Afrique se trouve dans une situation paradoxale. Bien que le continent ne contribue qu’à 3,9 % des émissions mondiales de carbone, pour une population représentant environ 17 % de la population mondiale, il subit de manière disproportionnée les conséquences du changement climatique. Cette vulnérabilité se manifeste par des catastrophes naturelles de plus en plus fréquentes et intenses, qui ont des répercussions considérables sur nos sociétés et nos économies.
Selon les estimations de la CEA, le changement climatique coûte en moyenne 5 % du PIB aux pays africains. Ce chiffre peut sembler abstrait, mais il se traduit concrètement par des pertes économiques massives et des défis sociaux importants. Prenons l’exemple du cyclone Idai qui a frappé le Mozambique en 2019. Cet événement a causé des pertes équivalant à 15 % du PIB du pays. Plus récemment, le cyclone Freddy a dévasté le Malawi, réduisant sa capacité de production énergétique de 48 % en détruisant un barrage crucial. Un an et demi après cette catastrophe, le pays n’a toujours pas retrouvé sa pleine capacité énergétique, opérant à environ 75% de ses capacités initiales.
Ces exemples illustrent, non seulement l’ampleur des dégâts causés par ces événements climatiques extrêmes, mais aussi leurs effets à long terme sur le développement économique et social de nos pays. Ils mettent en lumière l’urgence de renforcer la résilience du continent face à ces chocs climatiques.
C’est dans ce contexte que la question de l’adaptation prend tout son sens. Nous devons concentrer nos efforts et nos ressources sur le renforcement de notre capacité à faire face à ces défis climatiques. Le fonds pour les pertes et dommages, discuté lors de la récente COP de Dubaï, pourrait jouer un rôle crucial en aidant nos pays à se relever plus rapidement de ces crises et à se reconstruire de manière plus résiliente.
Mongabay : Comment l’Afrique peut-elle mobiliser les financements nécessaires pour lutter contre ce phénomène ?
Nassim Oulmane : L’ampleur du défi financier, auquel nous sommes confrontés, est considérable. Les estimations actuelles indiquent que les pays africains ont besoin d’environ 1 300 milliards de dollars par an pour atteindre leurs objectifs climatiques. Ce chiffre est bien loin des 100 milliards de dollars promis lors des négociations de Copenhague et de Paris. Il reflète une évaluation plus réaliste des besoins du continent face à la crise climatique.
Pour mobiliser ces fonds, nous devons adopter une approche multidimensionnelle. Tout d’abord, il est crucial de rappeler et de faire respecter le principe de “responsabilité commune mais différenciée”. L’Afrique n’est pas le principal contributeur au réchauffement climatique, mais elle en subit les effets de manière disproportionnée. Cette réalité doit être prise en compte dans les mécanismes de financement internationaux.
Parallèlement, nous devons encourager et faciliter les financements domestiques et privés. Le secteur des énergies renouvelables en Afrique illustre parfaitement le potentiel inexploité : bien que le continent dispose d’un potentiel énorme, seulement 12-13 % de ce potentiel est actuellement exploité, principalement via des fonds publics. Il y a donc un énorme potentiel pour attirer des investissements privés dans ce secteur.
L’innovation financière joue également un rôle crucial. L’exemple des Seychelles est particulièrement inspirant. Ce pays a été le premier au monde à émettre une “obligation bleue” pour protéger ses ressources marines. Aujourd’hui, grâce à cette initiative novatrice, plus de 30% des aires marines des Seychelles sont protégées. Ce type d’innovation montre comment les pays africains peuvent prendre l’initiative pour résoudre leurs défis environnementaux tout en attirant des financements.
Mongabay : Comment impliquer et soutenir les populations locales dans la lutte contre le changement climatique ?
Nassim Oulmane : L’implication des populations locales est absolument cruciale dans notre lutte contre le changement climatique. Ces communautés possèdent un savoir endogène précieux, fruit de générations d’interaction avec leur environnement. Notre rôle est de valoriser et de renforcer ce savoir en le combinant avec des outils et des connaissances modernes.
Pour ce faire, nous préconisons la mise en place de centres d’innovation et d’infrastructures locales. Ces centres serviraient de points de convergence où le savoir traditionnel pourrait être enrichi par des technologies et des méthodologies contemporaines. L’objectif est de créer des solutions adaptées aux contextes locaux, plus efficaces et durables.
Mais l’implication des populations locales va au-delà de la simple valorisation de leurs connaissances. Il est essentiel de développer un écosystème local complet, qui inclut tous les acteurs pertinents : financeurs, assureurs, autorités locales, etc. Cet écosystème permettrait de mieux répondre aux besoins spécifiques des populations locales, tout en renforçant leurs capacités d’adaptation face au changement climatique.
L’éducation est un pilier fondamental de cet écosystème. Nous devons mettre en place des programmes éducatifs qui ciblent à la fois les enfants et les adultes. Ces programmes doivent, non seulement sensibiliser aux enjeux climatiques, mais aussi donner aux populations les moyens d’agir concrètement pour protéger leur environnement et s’adapter aux changements en cours.
Mongabay : Comment la CEA accompagne-t-elle les pays africains dans l’intégration des enjeux climatiques et environnementaux dans leurs stratégies de développement ?
Nassim Oulmane : Le rôle de la CEA est multidimensionnel dans l’accompagnement des pays africains face aux défis climatiques. Notre priorité est d’aider ces pays à intégrer pleinement les enjeux climatiques dans leurs stratégies de développement. Cela passe par le renforcement de leurs capacités à collecter, analyser et utiliser efficacement les données climatiques pour une planification plus éclairée et résiliente.
Un aspect important de notre travail est le soutien, que nous apportons aux négociateurs africains lors des Conférences des Parties (COP). Nous leur fournissons des cadres analytiques robustes et des études approfondies, qui renforcent l’argumentaire africain dans ces négociations internationales cruciales. Notre objectif est de faire entendre la voix unique de l’Afrique, de mettre en lumière ses défis spécifiques et ses besoins particuliers.
Ce travail de préparation et d’accompagnement est essentiel pour permettre à l’Afrique de mobiliser les ressources nécessaires face aux défis climatiques qu’elle rencontre. Nous cherchons à renforcer la position de négociation du continent pour s’assurer que les accords internationaux prennent pleinement en compte la réalité africaine.
Mongabay : Quelles stratégies recommandez-vous pour renforcer la coopération régionale et mobiliser les acteurs locaux dans la régénération des terres et des océans en Afrique ?
Nassim Oulmane : La coopération régionale est un levier fondamental pour l’Afrique dans sa lutte contre le changement climatique. Il est crucial que le continent adopte une approche unie lors des négociations internationales, qu’elles portent sur le climat, la biodiversité ou la lutte contre la désertification. Cette unité renforce considérablement la position africaine et permet d’obtenir de meilleurs résultats pour l’ensemble du continent.
Cependant, la coopération régionale ne doit pas se limiter aux négociations internationales. Nous encourageons vivement la création et le renforcement de coalitions régionales focalisées sur des défis environnementaux spécifiques. La Commission Climat du Bassin du Congo et l’initiative de la Grande Muraille Bleue sont des exemples concrets de cette approche. Ces cadres permettent aux pays africains de mutualiser leurs ressources, de partager leurs expériences et d’accélérer la mise en œuvre de solutions adaptées à leurs contextes particuliers.
Parallèlement, l’implication des acteurs locaux est indispensable à chaque étape des projets environnementaux. Ce sont eux, qui possèdent la connaissance intime des territoires, et qui seront en première ligne pour mettre en œuvre les solutions sur le terrain. Leur participation, dès la phase de conception des projets, garantit que les initiatives sont bien ancrées dans les réalités locales et ont de meilleures chances de succès à long terme.
Image de bannière: Nassim Oulmane, Directeur de la Division de la technologie, du changement climatique et de la gestion des ressources naturelles de la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies (CEA). Image de Thomas-Diego Badia pour Mongabay.
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