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Bénin : Le changement climatique amplifie les conflits agro-pastoraux

Un camp peulh incendié par les agriculteurs à Garou Malanville, au nord du Bénin. Image de Loukoumane Worou Tchehou pour Mongabay.

Un camp peulh incendié par les agriculteurs à Garou Malanville, au nord du Bénin. Image de Loukoumane Worou Tchehou pour Mongabay.

  • Dans certaines régions béninoises comme Malanville, le changement climatique avec ses effets exacerbe la dégradation des terres pour les agriculteurs et la migration saisonnière accrue pour les éleveurs à la quête de ressources.
  • La recherche de nouvelles terres amène les producteurs agricoles à empiéter sur les espaces traditionnellement utilisés par les éleveurs pour le pâturage, occasionnant des conflits meurtriers entre les deux communautés.
  • Ces conflits agro-pastoraux perturbent la production agricole à travers la destruction des cultures, l'abandon des champs et la gestion du bétail, ce qui a un impact direct sur la sécurité alimentaire à Malanville.
  • Face à la situation, les gouvernants, au-delà du code pastoral, réfléchissent à des mesures d’adaptation notamment la sédentarisation des bétails et la production du fourrage.

Karim Inoussa, 35 ans, est producteur de maïs à Goungoun et Secrétaire Général de l’Union Communale des producteurs de Malanville (Ucom). Il a encore en mémoire la destruction de plus de 2 hectares de ses cultures par des bœufs la saison dernière. Un tour guidé dans son champ situé à environ 20 kilomètres de Goungoun, dans la profonde brousse de ‘‘Mondjinin’’ encore appelé ‘‘Tchrobossi’’ où ne fonctionne aucun réseau de télécommunication. Seuls, les chants d’oiseaux et le bruit des motos de quelques agriculteurs résonnent.

Pour s’y rendre, il nous a fallu environ une heure d’horloge à moto sur un sentier totalement défiguré et serpenté au milieu des arbres, arbustes et herbes de différentes espèces verdoyantes discontinus, avec une forte dominance de vastes champs de céréales et de coton, de part et d’autre de la piste. Nous avançons difficilement sur la seule voie d’accès au champ de Inoussa Karim, comme ceux d’autres agriculteurs. Sur le trajet, il faudra braver la boue et deux importantes rivières. Elles débordent d’eau quand il pleut abondamment, selon les témoignages.

Après environ une heure, nous apercevons au loin quatre jeunes travaillant dans un vaste champ de coton à perte de vue. Ces jeunes campent sur place. Après une brève salutation, ils nous reçoivent sous un arbre ombrageux, où l’humidité fait oublier les chauds rayons du soleil au zénith.

A quelque 50 mètres de là, se trouve une tente où ils étalent une natte pour y passer la nuit. Un foyer de trois pierres noires est fabriqué pour recevoir la casserole de cuisine. Ici, totalement déconnecté des réalités d’une agglomération encore moins d’une zone urbaine, il est impossible d’effectuer un appel téléphonique. La mission de ces jeunes est, non seulement de labourer la terre, mais surtout de veiller nuit et jour sur les cultures, selon leurs propres explications. « C’est la solution pour éviter la destruction de mon champ par les bœufs. Je ne veux pas revivre la dévastation de mes cultures comme ce fut le cas la saison dernière. Alors que j’étais parti à la maison après 17 heures (18 heures Gmt -NDLR), je suis revenu le lendemain constater que les jeunes plants de maïs sont broutés et détruits par les bœufs », raconte amèrement notre interlocuteur avant de confier qu’il ne savait à qui et contre qui se plaindre. « Puisque je n’ai trouvé aucun bétail, encore moins un pasteur sur place », dit Inoussa Karim. Pour lui, la surveillance accrue et en permanence de son champ est le sacrifice qu’il faut pour préserver ses cultures champêtres. « Comment éviter les affrontements si je retrouvais le bouvier ce jour-là dans mon champ avec ses bœufs ? », interroge-t-il.

Un camp peulh incendié par les agriculteurs à Garou dans la Commune de Malanville, au nord du Bénin. Image de Loukoumane Worou Tchehou pour Mongabay.
Un camp peulh incendié par les agriculteurs à Garou dans la Commune de Malanville, au nord du Bénin. Image de Loukoumane Worou Tchehou pour Mongabay.

Généralement, la riposte des agriculteurs face à ce genre de situation éclate en altercations avec les pasteurs. La dégradation du conflit débouche sur de violentes attaques contre les bétails et les camps peulh, comme ce fut le cas, le mardi 26 mars 2024, où les affrontements entre éleveurs et agriculteurs ont occasionné deux morts et d’importants dégâts matériels à Garou, un arrondissement de Malanville.

Ce jour-là, la tension est montée d’un cran. Suite à la mort d’un agriculteur dans une altercation l’ayant opposé à un éleveur, le groupe d’agriculteurs furieux, a pris d’assaut les campements des bouviers pour tout saccager. Des cases et greniers ont été incendiés. Le sang humain parterre, les restes des biens consumés par les flammes accueillent, sur un espace encore fumant, tout passant. Les odeurs de brûlures de céréales et de vêtements embaument les lieux, déjà à une distance de 500 mètres, une distance de laquelle l’on peut apercevoir une immense fumée noire vers le ciel.

Changement climatique, facteur principal de cette atmosphère conflictuelle

En moyenne, la Commune de Malanville, à l’extrême nord du Bénin, connaît par mois plus d’une dizaine de conflits entre les éleveurs et les agriculteurs. Ces conflits violents débouchent généralement sur des affrontements sanglants.
Selon une étude du Projet d’Appui au Renforcement de la Cohésion sociale, à la Prévention de l’Extrémisme Violent et à la Lutte contre les Conflits liés à la Transhumanceréalisée en 2023 dans près d’une trentaine de communes du pays, 93 % des conflits agropastoraux enregistrés à Malanville opposent les agriculteurs aux éleveurs en raison principalement de la destruction des cultures agricoles par les animaux en divagation ou en transhumance. L’ampleur, que prend ce climat conflictuel à plusieurs impacts dont l’insécurité alimentaire, tire sa source, selon des spécialistes (Agriculteurs, éleveurs, climatologue) du changement climatique.

Les spécialistes interviewés disent que les ressources en eau et en végétation, la biomasse et les espaces agricoles ou de pâturage se rétrécissent au jour le jour soit par la sécheresse ou par les inondations, engendrant un climat conflictuel entre les éleveurs et les agriculteurs autour des espaces partagés par les deux communautés. « Qui parle de changement climatique, parle de la mauvaise répartition des pluies dans le temps et dans l’espace, avec des bouffées de chaleur de part et d’autre. Ceci a, pour conséquences, les inondations ou la sécheresse », explique Olivier Sinabaragui, Coordonnateur de la faîtière des organisations professionnelles d’éleveurs de ruminants du Borgou et de l’Alibori (UDOPE).

« C’est dans la recherche des mesures adaptatives à cette variation climatique, que les intérêts des deux acteurs (éleveurs et agriculteurs – NDLR) se croisent. L’éleveur, qui recherche la biomasse pour l’alimentation ou des points d’eau pour l’abreuvement de son bétail, est obligé de passer par des couloirs pour aller au niveau des aires de pâture, qui entre temps, sont prises d’assaut par des agriculteurs pour installer des champs. Dans cette recherche, les éleveurs se trouvent obligés d’utiliser les résidus des récoltes agricoles. Et là, il faut avoir une bonne collaboration avec les agriculteurs pour en bénéficier. Il en est de même avec les agriculteurs qui, avec des terres totalement appauvries par les sécheresses et des mauvaises pratiques culturales, pensent qu’il faut étendre, sur des superficies, la production pour espérer un rendement conséquent. Donc, l’agriculteur étend sa superficie, l’éleveur n’ayant pas assez de biomasse pour pouvoir nourrir son bétail, doit traverser ces superficies avec le troupeau pour se rendre vers les points d’eau ou des aires de pâturage. Dans la mobilité, le mal intervient avec parfois des conflits meurtriers», explique Sinabaragui.

Il sera renchéri par le Climatologue Alphonse Alomasso, Chef de l’Agence de prévention des Risques et Catastrophes du Borgou-Alibori. Ce dernier souligne : « Au nord du Bénin, l’aggravation des conflits est due à la restriction des ressources naturelles comme l’eau et les terres fertiles qui attisent les tensions entre les deux groupes (éleveurs et agriculteurs –NDLR) pour leur accès et leurs utilisations. La sécheresse hydraulique entraîne le tarissement des cours d’eau. Or, cette ressource est recherchée par les deux parties, c’est-à-dire les éleveurs et les agriculteurs. C’est pareil autour des ressources fourragères et même de l’espace ».

Selon lui, les changements climatiques ont une influence sur les conflits et leur fréquence, que connaît Malanville.

Les greniers d’un camp peulh incendiés par les agriculteurs à Garou dans la Commune de Malanville, au nord du Bénin. Image de Loukoumane Worou Tchehou pour Mongabay.
Les greniers d’un camp peulh incendiés par les agriculteurs à Garou dans la Commune de Malanville, au nord du Bénin. Image de Loukoumane Worou Tchehou pour Mongabay.

Une menace sur la sécurité alimentaire

En 2004, une étude du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) présentait déjà la vulnérabilité du secteur de l’agriculture en Afrique subsaharienne face aux fluctuations climatiques. Cela, en raison de la forte dépendance de la productivité agricole et la pluviométrie. La conséquence directe de cette situation est l’insécurité alimentaire. « Malgré nos stratégies pour contourner les effets de changements climatiques, il y a que les terres ne sont plus fertiles et elles ne nous suffisent pas », dit Souleymane Amadou, agriculteur, la cinquantaine révolue, à Goungoun, dans l’arrondissement de Guéné, Commune de Malanville.

Selon ce dernier rencontré dans son champ de coton, la production a pris une tendance baissière depuis quelques années en raison de l’irrégularité des ressources fertilisantes et celles en eau. « Par le passé, je récoltais 6 à 7 tonnes de maïs à l’hectare, quand c’est bien fait. Mais aujourd’hui, difficile d’obtenir 5 tonnes.

A cela s’ajoute la menace, que constitue la transhumance des bœufs sur nos productions », dit-il. Par exemple, précise-t-il : «J’ai peur de cultiver le maïs à cause de la divagation des animaux. Je ne prends plus le risque de cultiver assez de céréales, vu qu’elles sont les plus convoitées par les bétails ».

David Labo, un agriculteur dans son champ de maïs à Boïffo dans la Commune de Malanville, au nord du Bénin. Image de Loukoumane Worou Tchehou pour Mongabay.
David Labo, un agriculteur dans son champ de maïs à Boïffo dans la Commune de Malanville, au nord du Bénin. Image de Loukoumane Worou Tchehou pour Mongabay.

La même inquiétude, ou presque, est partagée dans le rang des éleveurs. Pour Sinabaragui, ces phénomènes nouveaux occasionnent la baisse de rendement aussi bien animal que végétal. « Les inondations ou la sécheresse, au niveau de la production animale comme de la production végétale, engendrent forcément des baisses de rendement », dit Sinabaragui. « L’éleveur cherche à pouvoir au moins maintenir le niveau acceptable. Parce que lorsqu’il y avait une stabilité climatique, nos bétails sont des races qui donnaient assez de lait. Et qui dit lait, dit l’alimentation. Faute de fourrage aujourd’hui, ces animaux donnent un demi-litre de lait, rarement un litre.

Tout comme Souleymane Amadou qui voit fluctuer la quantité de sa production annuelle, le secteur de l’élevage se trouve également impacté. Le Recensement national de l’agriculture effectué en 2022 par le Ministère de l’Agriculture de l’Elevage et de la pêche, révèle une régression progressive de la taille du cheptel bovin au Bénin. De 2 400 000, le cheptel bovin a chuté à 1 964 883 têtes, soit plus de 8 % de baisse, selon ledit recensement.

Sensibilisation et libération des couloirs de transhumance

Devenus récurrents, ces affrontements grandissants préoccupent aussi bien les principaux protagonistes que les autorités locales. Guidami Gado, Maire de Malanville que nous avons interviewé sur les conflits agropastoraux, préconise l’intensification de la sensibilisation pour une cohabitation pacifique entre les éleveurs et les agriculteurs. « Il faut un système de signalisation et de refoulement systématique de l’entrée de tout étranger à Malanville », dit Gado, Président en exercice de l’Association pour la Promotion de l’Intercommunalité dans le Département de l’Alibori (APIDA). Car, pour lui, Malanville est le plus souvent victime de la transhumance transfrontalière. Il est donc nécessaire d’encadrer la pratique de la divagation des animaux.

Aboe Yacoubou est agriculteur, producteur du coton à Goungoun dans l’arrondissement de Guéné. Pour avoir été victime de la destruction de ses cultures en juin 2024, il pense que son expérience de gestion à l’amiable contribuera à limiter les conflits agropastoraux. « C’était le vendredi 21 juin 2024. J’ai eu la chance de retrouver le propriétaire des bœufs qui ont dévasté mon champ et de mes deux autres frères. La superficie totale est estimée à sept hectares. Après le constat effectué par le commissaire et le chef du village, les dégâts sont évalués à 750000 francs CFA (environ 1248,00 $). Il nous a été demandé d’aller nous entendre. Après des conciliabules, nous avons convenu d’une amende forfaitaire de 450000 francs (environ 749,00 $). Voilà une forme de gestion pacifique », dit-il.

Des agriculteurs désherbent leur champ de coton à Goungoun dans la Commune de Malanville, au nord du Bénin. Image de Loukoumane Worou Tchehou pour Mongabay.
Des agriculteurs désherbent leur champ de coton à Goungoun dans la Commune de Malanville, au nord du Bénin. Image de Loukoumane Worou Tchehou pour Mongabay.

De son côté, Aboubacar Sidikou Adamou, Secrétaire général de l’Association pour la Promotion de l’Elevage au Sahel et en Savane (APESS) de Malanville, propose la libération des couloirs de passages des animaux. « Plusieurs couloirs réservés aux bétails sont obstrués par les agriculteurs. Les animaux, sur les quelques couloirs, sont tentés de brouter les cultures. Il faut les (couloirs de passage des animaux) libérer et respecter les dispositions du code pastoral », dit Aboubacar Sidikou Adamou.

Il est renchéri par Aminou Dosso, éleveur et pasteur à Madécali, une localité à quelque trois kilomètres de vol d’oiseau de la frontière avec le Nigéria. « Nos bêtes n’ont plus assez d’espace pour le pâturage. En plus de cela, les agriculteurs occupent certains couloirs », déplore-t-il avant de donner des exemples. « Les couloirs de Banitè et de Guéné, autrefois pratiqués par les éleveurs et leurs bétails, ne sont plus fonctionnels, parce que les agriculteurs y cultivent leurs champs », précise le bouvier, l’air préoccupé.

Un troupeau de bœufs en déplacement sur un couloir de passage à Guéné, dans la Commune de Malanville, à la frontière avec le Niger. Image de Aminou Dossou avec son aimable autorisation.
Un troupeau de bœufs en déplacement sur un couloir de passage à Guéné, dans la Commune de Malanville, à la frontière avec le Niger. Image de Aminou Dossou avec son aimable autorisation.

Au-delà des propositions superficielles

Dans l’exploration des pistes de solutions, les spécialistes vont au-delà du superficiel et attaquent le mal à la racine. Ils explorent des solutions d’adaptations aux fluctuations climatiques. Au Projet de Sédentarisation des troupeaux de Ruminants (ProSeR), Mansourou Tidjani, Spécialiste en alimentation et santé animale, propose le fourrage. « Le fourrage est fabriqué à base de végétaux fauchés, séchés et conservés pour l’alimentation des animaux herbivores dans les mauvaises saisons ou périodes de sécheresse », explique Tidjani.

Il ajoute que le fourrage constitue un moyen efficace pour la sédentarisation. Pour lui, « il est indispensable d’exploiter les résidus de récolte disponibles dans les exploitations agricoles pour améliorer la productivité animale (augmentation de la production laitière, viabilité des veaux, embouche, traction animale, etc.) afin de mieux valoriser économiquement le cheptel dans les exploitations d’éleveurs, qui doivent désormais s’orienter vers l’intensification et donc l’entreprenariat. C’est aussi un moyen pour maîtriser les flux de transhumance nationale et même transfrontalière dans un contexte caractérisé par la récurrence des conflits entre les acteurs usagers des ressources naturelles ».

Par ailleurs, Tidjani invite au respect du Code pastoral en République du Bénin, qui stipule, en son article 25, que « les espaces post culturaux sont ouverts au pâturage sur accord préalable entre éleveurs et agriculteurs ».

Image de bannière: Un camp peulh incendié par les agriculteurs à Garou Malanville, au nord du Bénin. Image de Loukoumane Worou Tchehou pour Mongabay.

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