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Au Cameroun, les espèces sauvages menacées d’extinction sont plus prisées en milieu urbain que dans les zones rurales

Des femmes vendent de la viande de brousse sur le marché local d'Ebolowa, au Cameroun. Image de Colince Menel/CIFOR via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).

Des femmes vendent de la viande de brousse sur le marché local d'Ebolowa, au Cameroun. Image de Colince Menel/CIFOR via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).

  • Une étude récente menée à l’ouest du Cameroun révèle que les espèces les moins protégées par la liste rouge de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) sont plus présentes dans les marchés en zone rurale, tandis que les espèces ayant une plus grande valeur de conservation sont souvent vendues dans les marchés urbains.
  • Selon l’ONG américaine WildAid, engagée dans la lutte contre le commerce illégal de la viande de brousse au Cameroun, les villes de Yaoundé, Douala, Ebolowa, Bertoua et Mbalmayo, sont les plus consommatrices de viande de pangolin, l’une des espèces les plus braconnées du pays.
  • Cette organisation multiplie des actions visant à limiter la consommation de cette viande, et a lancé en juin dernier, une campagne visant à amener les restaurateurs de Yaoundé et Douala, à ne plus vendre le pangolin.
  • Le Cameroun a adopté, en juillet 2024, une nouvelle loi faunique, et les organisations de défense de la faune espèrent que son application contribuera à renforcer la lutte contre le braconnage.

Une étude, publiée récemment dans la revue Ecological Solutions and Evidences, révèle que les espèces sauvages les plus vulnérables au Cameroun, sont plus prisées dans les centres urbains que dans les zones rurales. Les chercheurs affiliés à l’université de Dschang à l’ouest du Cameroun, à Brandenburg University of Technology Cottbus-Senftenberg en Allemagne, et à l’University of South Bohemia en République Tchèque, ont observé que les espèces les moins protégées par la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) sont plus présentes dans les marchés des villages , tandis que les espèces ayant une plus grande valeur de conservation, selon les critères de classification établis par la législation camerounaise, sont souvent vendues dans les marchés urbains.

L’étude a été réalisée entre décembre 2021 et mars 2022, dans huit départements à l’ouest du Cameroun, et a été conduite par Murielle Majiteu, dans le cadre de ses travaux de recherche en doctorat à l’université de Dschang. Elle a, pour cela, identifié 476 animaux, couvrant 47 taxons, 41 genres, 33 familles, 18 ordres et 3 classes chez les vendeurs de viande de brousse dans les marchés de la zone d’étude. La plupart des spécimens appartiennent à la classe mammalia (350 individus, représentant 73,5 % du total des spécimens), suivie par reptilia (86 individus, 18,1 %) et des aves (40 individus, 8,4 %). Il ressort que les espèces sauvages de la famille des thryonomidae, les cercopithecidae et les bovidae, étaient plus fréquents dans les marchés.

Majiteu précise que l’un des objectifs de l’étude visait à améliorer la connaissance du statut des différentes espèces sauvages vendues sur les marchés de la région de l’ouest du Cameroun. « Il n’existait pas d’informations concrètes concernant la faune dans cette région, alors qu’elle regorge des aires protégées et des forêts qui produisent des animaux sauvages, avec des restaurants qui alimentent la population en viande de brousse au quotidien. Et, pourtant, la communauté scientifique n’a pas assez d’informations concernant la faune de la région », a-t-elle dit à Mongabay, au téléphone.

Le statut de conservation des espèces est défini selon les catégories de la liste rouge de l’UICN, et la liste des classes de protection de la faune basée sur un arrêté ministériel datant du 1er avril 2020. Il en existe trois classes, A, B et C. Les animaux de la classe A à l’instar du pangolin, du gorille ou de l’éléphant de forêt, sont totalement protégés et interdits de chasse commerciale et même sportive ; ceux de la classe B sont partiellement protégés et ouverts à la chasse sportive pour les détenteurs de permis de chasse dans les zones de chasse autorisées pendant les périodes de chasse ; enfin, les animaux de la classe C sont les moins protégés et sont autorisés pour la chasse traditionnelle et sportive à des fins commerciales. D’après l’étude, les animaux de cette dernière classe à l’instar des rats de canne ou des écureuils sont les plus présents dans les marchés en zones rurales.

Un chasseur du village de Njunuye dans la réserve faunique de Mbayang Mbo.Image de Ndjounguep via wikimedia.
Un chasseur du village de Njunuye dans la réserve faunique de Mbayang Mbo.Image de Ndjounguep via wikimedia.

Les restaurants au cœur du trafic de la viande de brousse

Elvis (nom d’emprunt), un chasseur établi dans la localité de Nkometou I à une vingtaine de kilomètres de Yaoundé, s’est confié à Mongabay sous couvert d’anonymat. Il écoule régulièrement ses gibiers dans la capitale camerounaise, parce que, dit-il au téléphone, « les meilleurs clients se trouvent en ville ». « Lorsque j’attrape le pangolin, la biche, la vipère ou le varan, j’ai déjà mes restaurants à Yaoundé où je pars livrer, et mes clients achètent bien ». En effet, les animaux des classes A et B, à l’instar du pangolin, bien que généralement capturés dans les zones rurales, sont acheminés vers les centres urbains, et sont commercialisés entre autres dans des restaurants.

L’ONG américaine WildAid est engagée dans la lutte contre la consommation de la viande de brousse, et, en particulier, du pangolin au Cameroun. Elle révèle dans une enquête réalisée au cours des deux dernières années, que la consommation de la viande de pangolin est plus élevée dans les villes de Yaoundé, Douala, Ebolowa, Bertoua et Mbalmayo, malgré la ratification par le Cameroun, en 2017, de l’accord de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES), interdisant la chasse, la capture, la mise à mort et le commerce de toutes les espèces de pangolins dans le pays, ainsi que tout commerce international. D’après Jennifer Biffot, Représentante Afrique Francophone de WildAid, consultée au téléphone par Mongabay, cette tendance haussière à la consommation de cette viande, dans les centres urbains, est justifiée par le fait que « ces villes sont celles, qui sont les plus proches des parcs naturels et des forêts. Du coup, l’accessibilité pour avoir de la viande de pangolin est plus forte », explique-t-elle.

WildAid a également identifié les restaurants comme des espaces privilégiés de consommation de la viande de brousse, et a lancé, depuis juin dernier, une campagne intitulée « pas de pangolin dans mon assiette ». Elle vise à amener les restaurateurs des villes de Yaoundé et Douala, à ne plus vendre la viande de brousse, en particulier le pangolin. Elle a recensé une centaine de restaurateurs de la viande de brousse, et l’objectif de cette campagne est de « leur proposer de rejoindre un mouvement dans lequel ils s’engagent à ne plus vendre la viande de pangolin dans leurs restaurants, et à protéger le patrimoine naturel du Cameroun », confie Biffot. En contrepartie, WildAid a créé une plateforme digitale dans laquelle elle compte promouvoir les restaurants souscripteurs et les inciter à la promotion des plats traditionnels camerounais. Au cours de sa campagne, l’organisation américaine sensibilise aussi les restaurateurs sur la nécessité de l’application de la loi faunique, qui interdit strictement le commerce des espèces menacées d’extinction à l’image du pangolin.

Préparation et cuisson du pangolin au Cameroun (Ngog-Mapubi, région du Centre). Image de Eric Freyssinge via wikimedia.
Préparation et cuisson du pangolin au Cameroun (Ngog-Mapubi, région du Centre). Image de Eric Freyssinge via wikimedia.

Une nouvelle loi plus protectrice de la faune?

Le Cameroun a adopté sa nouvelle loi faunique, en juillet dernier. Elle consacre quelques innovations , avec la gestion et la protection du patrimoine faunique, qui n’est plus exclusivement assurée par l’État. Les collectivités territoriales décentralisées et les communautés riveraines sont désormais associées dans cette gestion ; elle favorise la création des aires protégées communautaires et la valorisation de l’écotourisme ; une meilleure gestion du conflit homme-faune ; la spécification de la grille de répartition des ressources financières générées par les activités forestières et fauniques. Il y a surtout la revalorisation des peines et amendes dans le régime des sanctions, avec notamment des amendes financières allant de 20 à 50 millions de francs CFA ($84 282), et des peines d’emprisonnement de 15 à 20 ans pour les personnes reconnues coupables d’abattage, de capture, de détention ou de commercialisation d’animaux intégralement protégés sur le territoire camerounais. Dans cette loi, l’épée de Damoclès pend au-dessus de la tête du chasseur et du commerçant (restaurateur y compris), et moins sur le consommateur. La lutte contre la chasse et le commerce de la viande de brousse induirait donc subrepticement la lutte contre la consommation, bien que ce détail ne soit pas constitué comme un délit au sens de la loi.

Pour Aimé Frisco Nya Fotseu, Chef du département juridique au sein de l’ONG Last great ape organization (LAGA), basée au Cameroun et spécialisée dans l’application des lois sur la protection de la faune sauvage en Afrique, « cette loi vient révolutionner la gestion de la faune dans la mesure où toutes les parties prenantes ont été consultées au cours de l’élaboration du projet de loi, et se retrouvent dans les différentes innovations, qui y ont été apportées (…) Tout a été mis en œuvre afin que cette loi apporte un plus à la gestion de la faune, c’est-à-dire sa préservation, sa protection ainsi que la restauration des espèces sauvages et de leurs habitats », a-t-il dit à Mongabay dans un échange par téléphone. Quant à Jennifer Biffot de WilAid, « ces mesures strictes soulignent l’engagement du gouvernement à sauvegarder notre faune et à envoyer un message clair selon lequel les activités illégales ne seront pas tolérées ».

L’organisation LAGA accompagne le gouvernement camerounais dans l’application de la loi faunique depuis 2003. Elle œuvre avec les équipes du ministère des Forêts et de la Faune et la police camerounaise, dans la traque des braconniers d’espèces animales sauvages. Dans son rapport d’activités 2023, elle a interpellé et traduit en justice 13 trafiquants d’espèces sauvages, dont les jugements n’ont pas encore été rendus. Mais au cours de la même année, 20 trafiquants ont été faits prisonniers et condamnés à verser des amendes financières d’environ 106 millions de franc CFA (environ $211 778) au trésor public camerounais.

Image de bannière:  Des femmes vendent de la viande de brousse sur le marché local d’Ebolowa, au Cameroun. Image de Colince Menel/CIFOR via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).

Citation:

Majiteu, M., Tamungang, S. A., Fotang, C., Tache, J. I. T., & Riegert, J. (2024). Wild animal trade in Cameroon: An insight into species involved and conservation implications in the western Highlands. Ecological Solutions and Evidence, 5, e12344. https://doi.org/10.1002/2688-8319.12344.

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