- Un projet de règlementation européenne sur la déforestation fait des mécontents. Après la Chine, en Afrique, des professionnels du secteur du bois voient mal l’initiative européenne.
- D’après cette réglementation européenne, aucun produit issu de la déforestation, bois ou produits agricole, ne devrait arriver sur le marché de l’union. Les producteurs de ces biens doivent indiquer notamment la localisation de la provenance.
- Si la Chine redoute cette mesure notamment pour sa sécurité, en Afrique, les professionnels du secteur du bois contactés par Mongabay n’apprécient pas la tendance européenne à imposer la conduite au reste du monde.
- Surtout, ces professionnels reçoivent la règlementation européenne comme une menace à leurs activités à ce jour liées à la déforestation.
Des acteurs du secteur du bois dans le bassin du Congo, en Afrique centrale, affichent un certain désintérêt, et parfois même un agacement vis-à-vis du Règlement européen contre la déforestation et la dégradation des forêts (RDUE). Ce mécontentement de certains acteurs du bois en Afrique s’explique par le fait que ce règlement tend à soumettre le reste du monde à ses principes.
Le Règlement en question, dont l’adoption avait été fortement soutenue par des entreprises et des ONG, prévoit qu’après le 31 décembre 2024, qu’ils soient établis sur le territoire européens ou non, les producteurs et les entreprises ne devraient pas fournir aux pays de l’UE des produits issus de la déforestation ou des terres où cette dernière a été appliquée. Concrètement, le bois, la viande bovine, l’huile de palme, le soja, le café, le cacao et le caoutchouc produits après déboisement ne devraient pas entrer dans la zone UE.
Pour Jean Jacques Mathamalé, Coordonnateur de l’ONG Centre pour l’information environnementale et le développement durable (CIEDD) à Bangui en Centrafrique, l’Europe a tout à fait raison de vouloir ordonner son rapport à la déforestation. Il pense aussi que cette règlementation pourrait inspirer des pays africains pour une exploitation durable des forêts. Entre 2002 et 2023, par exemple, la Centrafrique a perdu 2,9 % de superficie totale de forêts primaires humides. En 2023, selon Global forest watch (GFW), la Centrafrique a perdu 54.5 kha (kilo hectare) de forêt naturelle, ce qui équivaut à 29.0 Mt d’émissions de CO₂.
Toutefois, la déforestation ne saurait s’arrêter du jour au lendemain, du seul fait des lois, tant elle fournit des ressources à plusieurs personnes, qui s’y intéressent, analysent les défenseurs de l’environnement et transformateurs du bois interrogés. Pour Mathamalé, par exemple, il importe de tourner les productions forestières vers les marchés intérieurs. La Centrafrique s’est donné « jusqu’à 2025-2026 [pour] légiférer sur la transformation locale du bois à 100 %, ce qui veut dire qu’il n’y aura pas d’exportation en grumes », explique Mathamalé.
Il importe de trouver d’autres voies d’évacuation des produits, qui ne peuvent aller en Europe, pense pour sa part le camerounais Pamphile Ntanga, Secrétaire Général Adjoint de la FECAPROBOIS (Fédération camerounaise des associations et des professionnels de la seconde transformation du bois). « Nous sommes des pays producteurs de bois, mais toutes nos administrations consomment du mobilier de mauvaise qualité. Malheureusement, nous n’en parlons pas trop », pointe-t-il. Pour lui, en tant que transformateur de bois pour le marché local, les « pays [africains] peuvent très bien se passer du marché européen et se tourner vers les marchés africains pour leur développement. Car nous avons un énorme déficit de développement, qui peut être réduit par notre consommation locale ».
Le Cameroun, l’autre pays majeur du bassin du Congo, a perdu 5,1 % de la superficie totale du pays entre 2002 et 2020, selon GFW.
Au niveau continental, selon la base de données allemande Statsta, l’Afrique a perdu chaque année 4,4 millions de forêts dans les activités de déforestation entre 2015 et 2020. D’après ces données, les régions Afrique centrale et occidentale, et Afrique occidentale et australe, sont les plus touchées avec respectivement 1,9 et 2, 2 millions d’hectares de forêts coupés.
L’opposition de la Chine
La Chine, selon le communiqué de GD Holz, l’association allemande du commerce du bois, n’entend pas se conformer au règlement de l’Union européenne (UE), qui devrait empêcher les produits issus de la déforestation d’entrer sur le marché européen. Il ne s’agit surtout pas pour elle de partager les coordonnées de géolocalisation qui indiquent l’emplacement et la taille exacts des concessions dont sont issus les produits, comme voulu par l’UE. La Chine évoque, à propos, des préoccupations de sécurité
« Les lois chinoises peuvent en effet restreindre le partage de données de géolocalisation dites “sensibles” avec d’autres gouvernements. Mais ce qui est considéré comme “sensible” est très vague et n’est pas clairement défini », a indiqué Julian Oram, Directeur principal de Mighty Earth, une association qui œuvre pour la protection du climat, dans un courriel adressé à Mongabay. « Étant donné que la Chine approvisionne l’UE avec près de la moitié de ses meubles en bois et plus de 40 % de ses boîtes et cartonnages en papier, il serait clairement dans l’intérêt des deux parties de sortir rapidement de cette impasse », a indiqué Oram.
Le bois chinois est issu en parie des forêts tropicales, comme celles du bassin du Congo. Ce bois est transformé en meubles et autres produits dans les usines chinoises, puis exporté vers l’Union européenne et les États-Unis. Le bassin du Congo abrite la deuxième plus grande forêt tropicale du monde après l’Amazonie. C’est aussi l’un des plus grands puits de carbone du monde. Mais, selon des enquêtes antérieures, ce bassin souffre de l’exploitation illégale des forêts et de la déforestation.
Le RDUE : les raisons de l’agacement hors de l’Union européenne
Dans ce contexte de dégradation continue, la règlementation européenne aurait pu stimuler les désirs de renforcement des pratiques locales pour une exploitation plus durable des forêts. Mais comme en Chine où l’on redoute la surveillance notamment à cause de l’exigence à déterminer les données géographiques des produits commerciaux à destination de l’UE, le RDUE a un goût de domination que n’apprécient pas certains africains comme Jean Bosco Wabangawe, Président de l’association congolaise des exploitants forestiers artisanaux (ACEFA), en République démocratique du Congo (RDC).
Jean Bosco Wabangawe pense que « la loi que l’UE prépare est méprisante. Car elle semble bafouer la souveraineté des pays producteurs. Les Européens doivent commencer par interdire les produits issus de la pollution », dit-il. Wabangawe ne cache pas son exaspération sur l’initiative de l’UE. « L’Europe n’est pas la planète et sa loi ne nous intéresse pas », dit-il, offusqué par le caractère imposant de la règlementation hors de l’UE. Pour lui, avec sa démographie croissante, l’Afrique « est en train de devenir un marché important pour la consommation de bois. Aucun impact sur notre production », des produits issus des forêts ou terres forestières n’est à redouter, explique-t-il.
En 2023, avec plus de 50 % des forêts du bassin du Congo, la RDC a perdu 1.32 Mha de forêts naturelles, ce qui équivaut à 888 Mt d’émissions de CO₂, par rapport à la situation de 2010 où le couvert forestier était évalué à 198 Mha de forêt naturelle, s’étendant sur 85 % de sa superficie, selon GFW.
Quant à la Chine, elle rejoint désormais les États-Unis dans l’opposition aux exigences de traçabilité imposées par le RDUE. En mars 2024, 27 sénateurs américains ont déclaré qu’il serait « presque impossible » de se conformer aux exigences du RDUE en matière de géolocalisation et que ces nouvelles réglementations risqueraient de limiter les échanges de produits forestiers entre les États-Unis et l’Europe, qui s’élèvent à 3,5 milliards de dollars. Sur les 27 ministres de l’Agriculture de l’UE, 20 ont exprimé leur inquiétude à l’égard de ce règlement. Ils ont été suivis par l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Brésil, l’Indonésie et la Malaisie.
Julian Oram soutient toutefois que ces réglementations doivent être mises en œuvre de toute urgence, et ce, malgré les enjeux en cours.
« À ce moment précis, ce sont des milliers d’hectares de forêts qui sont en train de brûler dans le monde entier ; l’expansion continue de l’agriculture en est la principale cause », a-t-il indiqué. « Alors, on n’a plus le temps d’attendre ni de retarder les choses. Il y a un besoin urgent et évident de rompre le lien qui existe entre la consommation de produits agricoles en Europe et la destruction de la nature à l’échelle mondiale ».
Image de bannière: Camion de bois pour la Société Fabrique Camerounaise de Paquets (FIPCAM) près du village de Ngon. District d’Ebolowa, au Cameroun. Image de CIFOR-ICRAF via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).
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Cet article a été publié initialement ici par l’équipe de Mongabay Global le 6 août, 2024.