- La forêt du bassin du Congo abrite l'un des singes les moins connus et les plus menacés d'Afrique : le mangabey à ventre doré.
- Les mangabeys à ventre doré forment des troupes particulièrement nombreuses, composées de dizaines d'individus, et les observations sur le terrain révèlent une structure sociale complexe, qui rappelle celle des humains.
- L'espèce est fortement menacée par la perte d’habitat, la chasse et le commerce illégal. Les experts réclament des protections juridiques plus importantes, notamment l'inscription de l'espèce dans l'Annexe I plutôt que dans l'Annexe II de la CITES.
- Les efforts de conservation gagnent progressivement du terrain, les priorités étant notamment la réforme de la législation en République démocratique du Congo, la révision de l'inscription à la CITES et la réalisation d'études approfondies pour mieux comprendre la répartition et l'écologie de l'espèce.
Au cœur de la forêt du bassin du Congo, Edward McLester a été témoin d’un spectacle, que peu de scientifiques ont vu. En effet, il a pu observer une troupe de mangabeys à ventre doré (Cercocebus chrysogaster) chahutant, avec leurs ventres dorés irradiant le sous-étage de la forêt.
McLester, biologiste de la conservation à l’Université de Southampton au Royaume-Uni, a déclaré à Mongabay : « Marcher dans la forêt à des dizaines de kilomètres de la population la plus proche, et entouré de 70 grands singes, tous hurlant et se dirigeant dans la même direction, a été une expérience incomparable ».
Le mangabey à ventre doré est l’un des singes les moins connus et les plus menacés d’Afrique. Comme son nom l’indique, il arbore un ventre d’un jaune doré à l’orangé frappant, une caractéristique unique chez les mangabeys. Les adultes pèsent généralement entre 8 et 15 kilos, les mâles étant plus grands que les femelles.
En 2020, McLester et son équipe ont entrepris de mener l’une des premières études détaillées de ces primates à l’état sauvage sur le site d’étude LuiKotale, dans la zone tampon du Parc national de la Salonga, en République démocratique du Congo. Bien que situés en dehors de la zone protégée officielle, les quatre villages de la région se sont engagés à ne pas chasser au sud de la rivière Lokoro, afin de protéger les bonobos (Pan paniscus) et les autres animaux qui s’y trouvent.
Les mangabeys à ventre doré forment des troupes particulièrement nombreuses, composées de dizaines d’individus. Les observations de McLester révèlent une structure sociale complexe, qui rappelle celle des humains.
« Une fois familiarisé avec les individus, on peut observer les mêmes relations et les mêmes manies que chez les humains. La vie sociale des mangabeys est remplie de drames », a-t-il déclaré.
McLester explique que même si les primates se lient d’amitié, ils s’agacent les uns les autres en se subtilisant de la nourriture, en marchant accidentellement sur les queues et en insistant pour essayer de toiletter les nouveau-nés (ce qui irrite la mère). Ils se réconcilient en se toilettant et en jouant.
Malgré ces conflits, la troupe se serre les coudes lorsqu’elle est confrontée à des défis extérieurs. McLester a observé les mangabeys collaborer pour se protéger des prédateurs et se liguer contre des serpents dangereux tels que les vipères du Gabon (Bitis gabonica).
Leurs personnalités se sont également dévoilées, a indiqué McLester. « Alors que les groupes étaient habitués à la présence humaine, certaines des femelles les plus âgées ne m’appréciaient pas (peu importe le temps passé avec elles), et manifestaient leur irritation lorsque je m’approchais d’elles ».
Un des singes les plus menacés
Le mangabey à ventre doré est classé comme espèce en danger sur la liste rouge de l’UICN. McLester estime qu’il reste entre 10 000 et 30 000 individus à l’état sauvage, bien qu’il qualifie cette estimation de « très approximative ».
En septembre 2020, les autorités du Zimbabwe ont procédé à l’une des plus grandes saisies de primates victimes du commerce illégal en Afrique. Ils ont intercepté 25 singes juvéniles braconnés en RDC et faisant route vers l’Afrique du Sud, dont une douzaine de mangabeys à ventre doré.
Les mangabeys interceptés ont trouvé refuge au Jcentre de réhabilitation pour primates JACK en RDC. Le centre s’occupe actuellement de 14 mangabeys à ventre doré. Il s’agit de la plus grande population en captivité au monde.
Dans un SMS à Mongabay, Franck Chantereau, qui dirige JACK, a déclaré : « Les enjeux majeurs sont la création d’une nouvelle zone protégée, la réduction du trafic illégal d’animaux sauvages touchant les bébés et, bien sûr, du commerce et de la consommation de viande de brousse ! ».
L’espèce est fortement menacée par la perte d’habitat, la chasse pour la viande de brousse et le commerce des animaux de compagnie exotiques. Pour lutter contre ces menaces, les défenseurs de l’environnement font pression pour renforcer les protections tant au niveau international qu’en RDC.
Actuellement, le mangabey à ventre doré est inscrit à l’Annexe II de la CITES, tla convention sur le commerce international des espèces sauvages, ce qui signifie que le commerce international réglementé est autorisé sous réserve de l’obtention d’un permis spécifique. Cependant, les experts estiment que cette protection est insuffisante.
« Pour le mangabey à ventre doré, l’inscription à l’Annexe II est terriblement insuffisante », a déclaré à Mongabay John Hart, directeur scientifique de la Lukuru Wildlife Research Foundation, basée en RDC. « Le statut d’espèce en voie de disparition nécessite l’inscription à l’Annexe I », dans le cadre de laquelle le commerce est interdit ou fortement réglementé. « Un effort majeur est également requis pour mettre fin à toutes les activités de chasse dans l’aire de répartition de l’espèce ».
Héritier Mpo, qui dirige APPACOL-PRN, une association à but non lucratif qui lutte contre la criminalité liée aux espèces sauvages en RDC, partage cet avis. « Ils sont endémiques de la RDC et sont systématiquement ciblés par le trafic illégal », ajoute-t-il, soulignant la nécessité d’une protection à la fois nationale et internationale.
Cependant, Hart a indiqué que si le commerce international illégal est un sujet de préoccupation, la menace la plus importante se trouve au Congo. « La menace majeure est la chasse incontrôlée pour le commerce de la viande de brousse au Congo », a-t-il précisé. Pour y remédier, Hart a invité les administrations provinciales à publier des décrets rendant illégal le commerce des mangabeys à ventre doré, suivis de campagnes de sensibilisation du public et d’actions de mise en application de la loi.
Les efforts de conservation gagnent progressivement du terrain. McLester a précisé que les principales priorités étaient « la réforme de la législation au Congo, la révision de l’inscription à la CITES et la réalisation d’études supplémentaires pour obtenir des données sur l’écologie et la répartition de l’espèce ». Des actions sont en cours, notamment une proposition de reclassement de l’espèce à l’Annexe I de la CITES et des projets d’études approfondies.
« Selon moi, la priorité absolue est de mener une enquête nationale coordonnée sur le terrain », a déclaré à Mongabay Jo Myers Thompson, président de la Lukuru Wildlife Research Foundation. Les chercheurs prévoient également de réaliser des études génétiques pour comprendre les différences entre les sous-populations de l’Est et celles de l’Ouest, ce qui pourrait permettre d’élaborer des mesures de conservation adaptées.
En attendant que des mesures de protection adéquates ne soient mises en place, on peut présumer que ces primates dorés continueront d’être chassés, capturés et expulsés de leur foyer.
« Il s’agit de l’un des primates les moins connus d’Afrique et probablement les plus uniques du continent », a souligné McLester. « Il serait vraiment dommage de perdre cette espèce fascinante et charismatique avant même d’avoir eu la chance de la connaitre ».
Image de bannière d’un mangabey à ventre doré subadulte dans la nature. Image offerte par Edward McLester / Max Planck Institute of Animal Behavior.
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Cet article a été publié initialement ici par l’équipe de Mongabay Global le 25 juillet, 2024.