- Au Congo, la demande toujours croissante de viande de brousse implique plusieurs acteurs au-delà des chasseurs.
- Une étude menée à Pointe-Noire et à Brazzaville en République du Congo montre que certaines espèces chassées et vendues dans les marchés sont commercialisées plus par les femmes que par les hommes, et inversement.
- Les femmes, par exemple, jouent un rôle qui n’est pas toujours bien cerné, d’après cette étude, qui propose une approche basée sur le genre en vue d’une meilleure compréhension des crimes fauniques et des actions de conservations pertinentes.
Ils sont nombreux, les Congolais de Brazzaville ou de Pointe-Noire en République du Congo, comme d’ailleurs sur l’autre rive à Kinshasa dans l’autre Congo, qui adorent les saveurs de gibier. Manger de la viande d’animaux sauvages, fait partie de la culture congolaise. Les restaurants rivalisent d’offres et, surtout, les villes alimentent plus de chasse, plus de braconnage indiquent plusieurs rapports dont l’étude « Women and urban wildmeat trafficking in the Republic of Congo ». « De l’antilope au singe, en passant par le porc-épic ou des espèces menacées comme le gorille, l’éléphant et le pangolin », très peu d’espèces sont épargnées.
Cet attrait pour le gibier accélère malheureusement le déclin de certaines espèces comme les grands singes, d’après des recherches scientifiques et des rapports d’ONG commes CIFOR (Centre international de recherche sur la foresterie de plus en plus nombreux. L’un des pays majeurs du bassin du Congo avec 22,3 millions ha, la République du Congo abrite des réserves de la vie sauvage qui comptent parmi les plus importantes du monde. Dans ce pays, le rôle des femmes dans le trafic de la viande de brousse, le gibier, a récemment fait l’objet d’une étude 4 scientifiques : 3 américains et 1 Congolais.
Dans leur étude publiée en avril 2024 dans la revue Science Direct, ces chercheurs montrent que les femmes se spécialisent dans le commerce d’espèces différentes telles que les grands singes, les pangolins et les crocodiles nains. L’étude part de la considération selon laquelle une approche basée sur le genre peut permettre d’améliorer la compréhension de l’engagement des personnes dans la criminalité liée aux espèces sauvages. Autrement dit, le genre est un cadre d’analyse pour les enquêtes sur les crimes contre les espèces sauvages. Elle s’appuie sur 22 marchés de viande de gibier visités entre Pointe-Noire et Brazzaville, principales villes du Congo.
Elle établit 4 rôles distincts liés : chasseurs, facilitateurs, vendeurs, trafiquants. A Pointe-Noire, la 2e ville du Congo, par exemple, se développent deux types d’activités : le « Braconnage sur commande » et le trafic par intermédiaires. Dans le premier cas, le braconnier qui fournit de la viande aux consommateurs de la classe moyenne en ville. Dans le second cas, les chasseurs apportent la viande aux facilitateurs dans un trafic direct, plus ouvert que le premier. La viande est alors destinée à être fumée ou hachée. « Une fois que le facilitateur arrive en ville, il vend de la viande directement à un grossiste ou à un marchand », indique l’étude.
De bonnes affaires avec la viande des potamochères
Les marchés de viande sauvage dans la zone d’étude proposent les chimpanzés, les tortues de mer, les boas et les antilopes. Cette dernière espèce fournit de la viande la moins chère. En revanche, la viande des potamochères, la catégorie incluant les sangliers, coûte plus cher. Achetée dans les milieux ruraux pour 1 000 à 1 500 FCFA (environ 1,60 à 2,40 USD), elle est revendue « aux consommateurs riches des villes pour un montant pouvant atteindre 25 000 à 35 000 FCFA (environ 40,81 à 57,13 USD) pour un animal entier », expliquent les chercheurs.
Pa railleurs, la même étude renseigne que les crocodiles nains comptent parmi les espèces les plus chassées. Les chasseurs, par groupes de 5 à 6 individus, opèrent autour de la région du lac Tele, au Nord-Est du Congo-Brazzaville. Dans cette région, « on compte environ 5 à 10 de ces groupes par village. Chacun de ces groupes partait à la chasse 6 fois par mois, et en moyenne 5 crocodiles par voyage. Chaque mois, cela équivalait à environ 4 000 crocodiles des villages autour du lac Tele, tous capturés vivants ».
Des hommes et des femmes des villes au cœur de la chasse commerciale
Au Congo, les braconniers s’attaquent également aux gorilles, notamment dans la région de Cabinda, en Angola, plus au sud-est, vers la RDC. Cette étude montre aussi que les hommes sont plus susceptibles de participer aux trafics urbains de viande à Brazzaville que les femmes et que ces dernières sont plus enclines à participer à Pointe-Noire que les hommes. Il en ressort aussi que les actions reparties entre hommes et femmes sont complémentaires à propos du trafic ou des crimes fauniques.
Co-auteur de cette étude, Meredith L. Gore, explique à Mongabay dans un courriel que « la découverte la plus importante de la recherche est que les hommes et les femmes font les choses différemment. « Si nous pensons vouloir trouver des solutions à un problème, supposer que les hommes et les femmes sont identiques ne produira pas de solutions efficaces et efficientes », dit-elle. Elle ajoute que « les femmes ont un rôle clair à jouer dans la conservation et la préservation des espèces du bassin du Congo. « Nos recherches ont révélé une relation entre les femmes et les crocodiles nains mais aussi entre les hommes et les pangolins. S’il s’agit d’espèces qui intéressent la communauté de la conservation, elle peut envisager de collaborer avec des groupes de femmes ou d’hommes, par exemple pour aider à concevoir le format, le contenu, les messages et la mise en œuvre d’interventions éducatives ou autres », a-t-elle précisé.
En outre, parfois les trafiquants utilisent le transport public pour acheminer leurs produits en ville. A ce propos, les auteurs de l’enquête évoquent l’anecdote rapportée par un témoin sur un bus en route vers Brazzaville. « Juste avant le dernier péage avant la ville, le bus s’est arrêté net et plusieurs passagers ont sauté et ont commencé à cacher la viande des boîtes dans des sacs. Cela semble anecdotiquement typique du trafic opportuniste de viande de brousse. La source dans ce cas a déclaré que le conducteur ne semblait pas avoir initié cette transition, mais on suppose qu’il a été payé pour s’arrêter », peut-on lire dans la recherche.
Au Congo, en effet, la chasse est interdite du 30 avril au 30 octobre de chaque année, et autorisée du 1er novembre au 30 avril, d’après Maixent Agnimbat, membre de la société civile du Congo. Dans un entretien avec Mongabay lors de la réunion du PFBC (Partenariat pour les forêts du bassin du Congo) à Kinshasa, le 5 juin 2024, Agnimbat explique que durant la période de fermeture de la chasse, la police établit des barrières de contrôle sur la circulation de la viande. « Malheureusement, le principe, la loi et la pratique sont en décalage. La chasse est interdite mais les gens trouvent la viande de brousse », dit la même personne.
La pratique est telle que durant la période, des restaurants servent la viande de brousse. Maixent Agnimbat analyse cette réalité comme une tolérance de la part des services publics de répression de la chasse illicite. La suspension de la chasse est censée faciliter la reproduction des espèces. Mais la pression des villes, en termes de demande, est telle que depuis 20 ans, que les conservateurs redoutent l’extinction de certaines espèces.
Les routes et l’exploitation à grande échelle du bois, moteurs de déclin des animaux
Selon Agnimba, il faut offrir d’autres alternatives au trafic de viande de brousse aux femmes, pour sauvegarder ce qu’il reste des animaux chassés. Pour les auteurs de l’étude, le genre est un facteur d’influence sur les espèces animales manipulées, les rôles joués et sur le lieu d’approvisionnement et de distribution de viandes de brousse. Sa prise en compte permettrait, dans ce cas, d’améliorer la compréhension de l’engagement dans la criminalité liée aux espèces sauvages. Cela, selon l’étude, peut conduire à des interventions de conservation plus efficaces et intentionnelles qui tiennent mieux compte de l’engagement des femmes dans le commerce des espèces sauvages.
Dans le bassin du Congo, la chasse devient ainsi peu durable, d’après le constat de Robert Nasi, chercheur au Centre international de recherche sur la foresterie (CIFOR). Il met en cause la surexploitation de la faune. Toutefois, indique Nasi, « si la ressource disparaît, les gens ne seront pas en mesure de chasser et il y aura une pénurie de nourriture, il y aura une pénurie de protéines quelque part », indique Nasi sur le blog Forest news du CIFOR. Selon lui, il importe de trouver un équilibre : une chasse qui soit durable.
Puisque, si l’on en croit une étude du CIFOR, même le développement de l’élevage devrait coûter aussi cher aux forêts. « Avec un taux d’extraction annuel estimé à 4,5 millions de tonnes dans le bassin du Congo, si la consommation de viande de brousse dans le bassin du Congo devait être remplacée par de la viande de bœuf produite localement, une superficie de 25 millions d’hectares devrait être convertie en pâturages », indique son étude sur la viande de brousse.
Une autre étude montre aussi que l’offre actuelle de protéines de viande de brousse peut varier de 30 g par personne en République démocratique du Congo à 180 g par personne au Gabon. Les autorités peuvent renverser cette tendance jusqu’à 81 % dans tous les pays de la région en moins de 50 ans en recourant, notamment à l’élevage durable. Comme l’indique l’autre étude « Pourquoi consommer la viande de brousse ? », menée à Yangambi dans le nord de la RDC, les raisons des consommateurs varient entre la sécurité alimentaire, l’accès à la nourriture, les valeurs culturelles ou et les préférences gustatives.
En Afrique, la chasse commerciale est liée à l’accroissement démographique dans les villes, principale destination des gibiers. Jane Goodall, fondatrice du Jane Goodall Institute et Messagère de la paix des Nations Unies, explique dans une chronique de l’ONU que ce phénomène démarre en 1980 avec la coupe de bois à grande échelle. Les exploitants « faisaient des trouées dans les forêts pour la construction de routes. Les chasseurs, voyageant dans les camions grumiers, ont ainsi pu pénétrer dans des zones jusqu’alors inaccessibles qui abritaient de nombreuses espèces, notamment des chimpanzés », explique Goodall.
Image de bannière : Viande de brousse dans un marché à Yangambi, en République Démocratique du Congo. Les principaux animaux chassés dans cette zone sont les phacochères, les singes et les rats de Gambie. Image de Axel Fassio, CIFOR.
Citations :
Green, R. A., Plowman, C., Mwinyihali, R., Wieland, M., & Gore, L. M. (2024). Women and urban wildmeat trafficking in the Republic of Congo, Biological Conservation, Volume 293, 110587. https://doi.org/10.1016/j.biocon.2024.110587.