- Les croyances traditionnelles et les divinités locales sont de véritables atouts pour la conservation des mangroves dans les zones côtières.
- Les mangroves sanctuarisées et sacralisées sont mieux protégées, que celles qui ne le sont pas. Ces dernières, ne bénéficiant pas de la protection divine, subissent une dégradation alarmante.
- La dégradation des mangroves a de lourdes répercussions sur les espèces halieutiques, qui y vivent ainsi que sur les populations riveraines, qui dépendent de la mangrove.
Les mangroves béninoises protègent les côtes contre l’érosion avec leurs racines tordues. Elles enrichissent les eaux côtières, soutiennent la biodiversité marine et agissent comme puits de carbone. Pour les communautés locales, elles fournissent nourriture, bois, et autres ressources vitales malgré les menaces croissantes liées à l’activité humaine et au changement climatique. Fait intéressant, les îlots de mangroves, abritant des temples dédiés à des divinités locales du panthéon vodun, restent quasiment intacts. « Le Vodun est ancestral et ses interdits et prescriptions sont religieusement respectés si on ne veut pas s’attirer la colère des dieux », déclare Maurice Djikpessé, un jeune écogarde de 29 ans, habitant Adounko, un village côtier situé dans la commune d’Abomey-Calavi au Sud-Bénin. L’environnement des mangroves est très vivace, avec les cris d’oiseaux planant dans l’air au-dessus de l’eau et des mangroves. De temps en temps, on entend le léger frottement et le clapotis de l’eau contre les pirogues, guidées par un long bois de raphia de plus de trois mètres, servant de pagaie aux piroguiers. Ce doux bruit se mêlait au vacarme des vagues interminables s’échouant sur les côtes. Au loin, on aperçoit les pêcheurs jetant leurs filets et pièges à crabes avec une habileté prouvant toute leur expertise empirique.
« On a commencé par sacraliser les mangroves de notre localité sur une superficie de 94 hectares en 2011. Aujourd’hui, notre Aire Communautaire de Conservation de la Biodiversité (ACCB) de Togbin-Adounko compte 207 hectares de zone protégée, grâce, en grande partie, à la divinité « Zangbeto », confie Gérard Djipkesse, Président du Comité local de l’ACCB, gardien de la tradition et représentant de l’ONG AJCVE (Association des Jeunes pour la Conservation et la Valorisation de l’Environnement) basée dans le village d’Adounko. « Le Zangbeto est le gardien de la nuit comme son nom l’indique, il est une sorte de police locale qui assure la sécurité dans la localité et dès lors, est idéal pour faire assurer la durabilité des ressources naturelles, dont les mangroves dans lesquelles il siège dans notre village. C’est une divinité très rigoureuse et quand ses interdits sont transgressés, c’est très malheureux, non seulement pour le fautif, mais aussi pour toute sa famille, car la divinité est très complexe et les cérémonies de rectification des transgressions sont très onéreuses et chronophages. Si quelqu’un coupe sans autorisation une branche de palétuvier dans la forêt de la divinité, cette dernière résonne dans les temples les plus proches pour signaler qu’une de ses règles a été transgressée, nous adeptes allons donc à la recherche du fautif pour le ramener au temple et les dispositions sont prises à son égard », dit Thomas Djikpessé, instituteur et maraicher, fils ainé du chef culte « Zangbeto », que nous n’avons pas eu la chance de rencontrer en personne. En effet, la divinité interdit toutes activités dans la mangrove, notamment la coupe des palétuviers, réduisant ainsi considérablement la pression anthropique. La population, très pratiquante de la religion endogène, ne transgresse donc pas ses règles. À quelques kilomètres de Togbin , situé dans la commune d’Abomey-Calavi, Gérard ajoute : « Le Vodun-tô”, se trouve dans le village d’Ahloboé, situé dans la Commune de Ouidah. Cette zone, également connue sous le nom d’Aire Communautaire de Conservation de la Biodiversité (ACCB Vodun-tô), porte le nom de la divinité qui protège cette région de la lagune. Ce sanctuaire, dédié à l’esprit des eaux, interdit la pêche depuis des générations. Cette interdiction est perpétuée continuellement à travers les croyances et les contes locaux. La légende raconte qu’une personne s’était aventurée à pêcher dans ces eaux. Lorsqu’elle ne pouvait plus retirer son filet, elle a persisté et s’est noyée, son corps n’ayant jamais été retrouvé. Partout, le long du littoral, il existe un jour appelé “Zogbodo”, qui se succède tous les neuf jours. Ce jour-là, on ne pêche pas, que ce soit sur la lagune ou sur la mer ».
Dr Elie Padonou, Maître de conférences en agro-pédologie et gestion des ressources naturelles à l’université Nationale de l’Agriculture du Bénin, explique le bien-fondé de ces pratiques ancestrales. En effet, dit-il, « les mangroves constituent un habitat essentiel pour la reproduction de nombreuses espèces aquatiques et terrestres. Les racines des palétuviers jouent un rôle crucial dans la reproduction des poissons, des crustacés et des mollusques. Les poissons utilisent les zones ombragées et les eaux calmes des mangroves pour pondre leurs œufs, qui bénéficient de la protection contre les prédateurs. Les jeunes poissons trouvent, dans les racines des palétuviers, des abris sûrs et une abondance de nourriture, ce qui augmente leurs chances de survie. Les crustacés, tels que les crabes, utilisent également les racines des palétuviers pour se cacher et se nourrir. Les femelles pondent leurs œufs dans ces zones abritées, où les larves éclosent et se développent jusqu’à atteindre une taille suffisante pour migrer vers des habitats plus ouverts. Les mollusques, comme les huîtres, se fixent aux racines immergées des palétuviers, formant des colonies denses. Ces huîtres filtrent l’eau pour se nourrir, contribuant ainsi à la qualité de l’eau tout en servant de nourriture pour d’autres espèces marines. Pendant la période de crue, lorsque les eaux montent, des amphibiens tels que les crapauds et les grenouilles trouvent refuge dans les vases des mangroves. Ces zones humides et protégées offrent des conditions idéales pour leur reproduction. Les œufs sont pondus dans l’eau stagnante et les têtards se développent dans un environnement riche en nutriments », a-t-il ajouté. Ces interactions complexes, entre les espèces et leur habitat, montrent l’importance cruciale des mangroves pour la biodiversité. La coupe des palétuviers menace ces processus naturels, ce qui souligne l’importance des interdictions de pêche et de coupe en certains endroits et à certains moments pour permettre la régénération des ressources halieutiques. Aujourd’hui, les actions de restauration, à travers la plantation de jeunes plants de palétuviers, se tournent vers la sacralisation des sites reboisés par la divinité “Zangbeto”, afin d’assurer une bonne croissance des palétuviers. Ces actions sont suivies de sensibilisation, d’éducation environnementale et du développement d’activités génératrices de revenus pour permettre une réorientation des villageois, qui vivaient jadis de la coupe des mangroves et de l’utilisation non contrôlée des ressources, qui les constituent » conclut-il.
Léonce Houngbo, Assistant programmes Chargé du Suivi-Évaluation à RID-ONG, basée à Porto-Novo, souligne l’efficacité de la sacralisation des nouvelles plantations de mangroves. « Comparativement à d’autres sites reboisés où les plants n’ont pas survécu, cette approche, inspirée par le respect des mangroves abritant la divinité “Zangbeto”, implique la communication d’interdits lors d’une cérémonie unique de sacralisation. Cette pratique est dirigée par les chefs-cultes en collaboration avec la population locale ».
Kindoho Adèle, septuagénaire avec plus de 50 ans d’expériences en fumage de poisson et Présidente du groupement des femmes mareyeuses d’Adounko, très enthousiaste, partage son avis sur l’utilisation des palétuviers et les alternatives qui ont émergé depuis leur interdiction. « Autrefois essentiels pour fumer le poisson, produire du sel et répondre aux besoins domestiques, les palétuviers ont été remplacés par des solutions comme les foyers améliorés (solaires et traditionnels) alimentés par les coques de coco et d’autres essences forestières comme l’acacia, qui brûlent efficacement tout en nous permettant de continuer nos activités Nos hommes sont désormais engagés, non seulement dans la pêche, mais aussi dans le maraîchage et d’autres activités, grâce à l’accompagnement des programmes des structures étatiques et des organisations non gouvernementales. Cela enrichit ainsi leur mode de vie et contribue à diversifier leurs sources de revenus ».
En effet, de nombreux programmes portés par des projets étatiques (Projet Gestion des Forêts de Mangroves du Sénégal au Bénin (PGLM), Mangroves Economies et des ONG comme Action Plus, CoRDE-ONG (Coordination pour la Recherche et le Développement en Environnement), RID-ONG, CAPES-ONG (Centre d’Action pour la Protection de l’Environnement et la Santé et bien d’autres) accompagnent les populations dans leurs activités, afin de réduire la pression anthropique sur les mangroves et les ressources halieutiques. Les croyances et pratiques liées au Vodun apportent un soutien considérable à la conservation des mangroves et de la biodiversité. Les zones sacrées protégées et les interdictions de pêche pendant certaines périodes permettent à la biodiversité de prospérer. Les cérémonies de vénération maintiennent la qualité de l’environnement et rappellent aux communautés l’importance de préserver ces écosystèmes pour maintenir l’équilibre spirituel et écologique. Les connaissances traditionnelles, transmises de génération en génération, intègrent le respect de la nature et les pratiques de conservation dans la vie quotidienne. En combinant les pratiques traditionnelles avec les efforts modernes de conservation, on peut protéger efficacement les mangroves et la biodiversité pour les générations futures, renforçant ainsi l’efficacité des mesures visant à préserver ces écosystèmes essentiels.
Image de bannière: Au bord de l’Aire Communautaire de Conservation de la Biodiversité de “Vodoun-tô” , il est interdit d’y pêcher et c’est connu de tous. Image de Chrisologue Houndjemon pour Mongabay.
Citation :
Gnansounou, S. C., Salako, K. V., Visée, C., Dahdouh-Guebas, F., Glèlè Kakaï, R., Kestemont, P., & Henry, S. (2024). The role of local deities and traditional beliefs in promoting the sustainable use of mangrove ecosystems. Forest Policy and Economics, Vol. 160, 103-145. https://doi.org/10.1016/j.forpol.2023.103145 .
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