- L’engoulevent de Prigogine est un oiseau qui a été décrit à partir d’un seul individu dans le bassin du Congo, il y a presque 70 ans, et qui n’a pas été vu par la science depuis au moins dix ans.
- Il fait partie des 10 espèces les plus recherchées de l’initiative mondiale « Search for Lost Birds » organisée par des ONG internationales de conservation.
- Sa recherche est compliquée par le fait que la région, où le spécimen type a été prélevé, est actuellement une zone de conflit dans l’est de la République démocratique du Congo.
- Mais, il y a de l’espoir pour l’espèce : elle pourrait être plus largement répandue, des individus ayant été observés et son chant ayant été enregistré de l’autre côté du bassin du Congo, au Cameroun et en République du Congo.
Un oiseau rare, connu uniquement à partir d’un seul spécimen capturé dans l’estdu bassin du Congo, il y a presque 70 ans, est devenu l’une des espèces les plus recherchées de l’initiative mondiale Search for Lost Birds.
Des scientifiques ont décrit pour la première fois l’engoulevent de Prigogine, également connu sous le nom d’engoulevent d’Itombwe (Caprimulgus prigoginei), à partir d’un spécimen femelle capturé en 1955 dans le massif d’Itombwe, un vaste massif montagneux forestier, dans l’actuelle province du Sud-Kivu, en République démocratique du Congo.
L’oiseau fait partie des 10 premiers de la liste de 126 oiseaux perdus à l’échelle mondiale, recherchés par l’initiative des ONG American Bird Conservancy, BirdLife International et Re:wild. L’inclusion sur cette liste signifie que les 126 oiseaux n’ont pas été documentés par la science depuis au moins 10 ans.
« Notre intérêt particulier à mettre en lumière l’engoulevent de Prigogine, dans les 10 espèces les plus recherchées, est qu’il s’agit d’une espèce très énigmatique », dit John Mittermeier, le directeur de l’initiative.
Un conflit armé entre groupes rebelles, dans l’est de la RDC, a rendu la plupart des scientifiques occidentaux réticents à s’aventurer dans le Sud-Kivu. Mais cela n’a pas découragé Papy Dunia, un ornithologue ayant des liens étroits avec les communautés locales, et qui s’est formé en Belgique pour capturer, manipuler et étudier les engoulevents.
Il utilise désormais ses compétences pour retrouver l’engoulevent de Prigogine.
En avril, Dunia a voyagé une semaine à moto et à pieds pour atteindre les terrains de recherche d’Itombwe, où il a installé des unités d’enregistrement autonomes (UEA), c’est-à-dire des enregistreurs acoustiques, qu’il récupérera plus tard dans l’année.
« C’était très humide quand il y était, mais les UEA devraient fonctionner à intervalles réguliers jusqu’en septembre et il y ira les chercher plus tard, quand les conditions météorologiques seront plus propices à l’utilisation de filets japonais, et il essaiera d’attraper des engoulevents avec ce type de filet », a dit Mittermeier.
Les filets japonais sont des filets à mailles fines suspendus entre des poteaux qui permettent aux chercheurs de capturer des oiseaux pour les photographier et les mesurer avant de les relâcher indemnes. Si cette entreprise est couronnée de succès, les informations recueillies devraient également aider Dunia et ses collègues Ruben Evens et Michiel Lathouwers de l’université d’Antwerp, en Belgique, à élucider le mystère de l’engoulevent de Prigogine.
Certains chercheurs affirment que l’engoulevent de Prigogine, classée espèce en danger, a une distribution plus large que celle reconnue actuellement.
En avril 1996, le primatologue Tom Butynski a fait un enregistrement acoustique reconnu comme étant un enregistrement de l’engoulevent de Prigogine. Le même mois, un chant identique a été enregistré par l’ornithologue Françoise Dowsett-Lemaire dans le Parc national de Nouabalé-Ndoki en République du Congo, à plus de 1 500 kilomètres au nord-ouest d’Itombwe.
Contrairement à Butynski, Dowsett-Lemaire a aperçu le chanteur. L’engoulevent et son partenaire voletaient dans une végétation épaisse dans la pénombre. Elle a pu discerner un petit oiseau trapu sans taches pâles sur les ailes ou la queue.
Elle et son mari, Robert Dowsett, sont revenus, au même endroit, l’année suivante pour essayer de capturer les oiseaux dans leur filet japonais. Ils n’ont pas réussi, mais ont ultérieurement entendu le même chant d’engoulevent dans le Parc national d’Odzala au Cameroun, plus de 240 km au sud-ouest de Nouabalé-Ndoki.
« Des comparaisons des cassettes d’Itombwe et [de celles de la République du Congo] montrent, sans doute, possible, que nous avons affaire au même engoulevent », a écrit dans un article en 2009 Dowsett-Lemaire.
Mais s’il est possible, que l’habitat de l’engoulevent de Prigogine s’étende sur au moins trois pays couvrant l’étendue du bassin du Congo, les impacts humains sur les forêts d’Itombwe sont eux indiscutables.
Bien que la plupart des forêts d’Itombwe restent intactes sur ses 15 000 kilomètres carrés, la faune à l’intérieur des forêts a été fortement touchée par la chasse, selon les experts du programme international des zones clés pour la biodiversité (ZCB), qui cartographie et évalue les sites les plus importants de la planète pour la conservation de la nature.
« Quand nous sommes entrés au bord (d’Itombwe) en 2014, il y avait des preuves que des gens chassaient des oiseaux avec des filets japonais et des pièges faits maison pour attraper des touracos et des chouettes étant donné que beaucoup des grands mammifères sont partis », Andy Plumptre, le responsable du secrétariat des ZCB, a dit à Mongabay.
Itombwe tient son statut de ZCB à la présence de 37 « espèces déclencheuses », dont l’engoulevent de Prigogine, l’effraie de Prigogine (Phodilus prigoginei), une autre espèce « perdue » qui n’a pas été documentée depuis 1996, et le gorille de l’Est (Gorilla beringei).
Bertin Murhabale, un ornithologue et écologue à l’université officielle de Bukavu en RDC, a témoigné à la fois de la diversité des espèces et des dégâts. Entre 2016 et 2018, il a évalué la forêt de Burhinyi, dans la section nord des monts Itombwe, et a découvert que 126 espèces y vivaient, y compris la plupart des oiseaux uniques à l’écorégion du vaste Rift Albertin en Afrique de l’Est.
Mais son équipe et lui ont également vu l’impact, que l’agriculture itinérante a sur les écosystèmes critiques. Les habitants avaient défriché et brûlé des forêts mixtes de bambous de haute altitude abritant le Souimanga de Rockefeller (Cinnyris rockefelleri), une autre espèce présente uniquement dans l’est de la RDC, pour faire de la place pour des cultures. Murhabale a écrit à l’époque que la pauvreté, aggravée par le conflit armé, a rendu les habitants dépendants de cette pratique agricole.
Un programme de conservation de la biodiversité, à Burhinyi et ailleurs, dans le massif d’Itombwe, implique que les chefs traditionnels et les dirigeants locaux réservent des segments de la forêt pour la conservation de la biodiversité menée par les communautés locales.
Il reste encore beaucoup à faire, a dit Murhabale à Mongabay, mais « si les oiseaux perdus sont redécouverts, ils ont une chance de survivre ».
Le soutien de chercheurs locaux, comme Dunia, pourrait également s’avérer essentiel pour promouvoir la conservation.
« Si les personnes redécouvrant [les oiseaux perdus] sont aussi ceux qui sont en bonne position pour effectuer la conservation », explique Mittermeier, « c’est souvent la meilleure approche pour une réussite à long terme ».
La science citoyenne à la rescousse de la biodiversité aviaire
Image de bannière : Un engoulevent de Madagascar (Caprimulgus madagascariensis), qui est du même genre que l’engoulevent de Prigogine (Caprimulgus prigoginei) menacé. Image de Francesco Veronesi via wikimedia commons (CC BY ND 2.0)
Citations:
Rutt, C. L., Miller, E. T., Berryman, A. J., Safford, R. J., Biggs, C., & Mittermeier, J. C. (2024). Global gaps in citizen‐science data reveal the world’s “lost” birds. Frontiers in Ecology and the Environment, e2778. doi:10.1002/fee.2778
Dowsett-Lemaire, F. (2009). The song of presumed Prigogine’s Nightjar Caprimulgus prigoginei and its possible occurrence in Lower Guinea. Bulletin of the African Bird Club, 16(2), 174-179. doi:10.5962/p.309878
Murhabale, B. C., Bwanamudogo, I., Magadju, A., Tolbert, S., Bapeamoni, F., Kahindo, C., … Agenong’a, U. (2021). Birds of Burhinyi mountain forest, North of Itombwe Nature Reserve, Democratic Republic of Congo. African Journal of Ecology, 59(1), 305-311. doi:10.1111/aje.12825
Cet article a été publié initialement ici par l’équipe de Mongabay Global le 25 juillet, 2024.