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Le commerce de la viande de brousse accentue les risques de transmission des zoonoses dans le bassin du Congo

Vente de viande de brousse au marché de Makenene, au Cameroun. Image de Jasmine Halki via Flickr (CC BY 2.0).

Vente de viande de brousse au marché de Makenene, au Cameroun. Image de Jasmine Halki via Flickr (CC BY 2.0).

  • Les résultats d’une enquête restitués le 30 juillet 2024 par le World Wildlife Fund ou Fonds mondial pour la Nature (WWF) dans le paysage du Parc National de la Salonga en République Démocratique du Congo (RDC), révèlent que 69 % de points de vente de la viande de brousse représentent un risque très élevé de transmission des maladies zoonotiques.
  • Selon cette ONG internationale, 60 millions de tonnes de viande de brousse sont consommées chaque année en Afrique centrale, et contribue à hauteur de 20 à 70 % d’apport en protéines aux humains, alors que de nombreuses espèces animales sont porteuses de pathogènes à potentiel zoonotique.
  • L’activité représente un réel potentiel économique pour les communautés vivant à proximité des aires protégées dans le bassin du Congo, et une stratégie de régulation de la filière viande de brousse est en maturation au Cameroun et en RDC.

La République Démocratique du Congo (RDC) est, depuis peu, l’épicentre mondial d’une nouvelle vague de l’épidémie de la variole simienne ou Mpox, encore appelée variole du singe (Monkeypox en anglais). Au cours d’une conférence de presse, le 19 août 2024, à Kinshasa, la capitale congolaise, Samuel-Roger Kamba, le ministre de la Santé publique, a déclaré que le pays a déjà enregistré 16 700 cas de contamination, pour un total d’un peu plus de 570 décès depuis le début de l’année. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a déclaré le 14 août dernier une « urgence de santé publique de portée internationale » en raison de la résurgence de la maladie.

Le Mpox, apparu pour la première fois en RDC en 1970, est une zoonose, c’est-à-dire une maladie infectieuse, qui se transmet de l’animal à l’humain et vice-versa. L’OMS explique que la transmission peut se faire à travers un animal infecté par le biais de certaines espèces de singes ou des rongeurs comme l’écureuil arboricole. Ceci lors d’activités telles que la chasse, le dépouillement, le piégeage, la cuisson, y compris par la consommation d’animaux infectés mal cuits.

Dans le bassin du Congo, le commerce et la consommation de la viande de brousse représente un risque accru de transmission des zoonoses, selon une étude menée dans le paysage du Parc National de la Salonga en RDC, entre mai et août 2022, par le World Wildlife Fund (WWF), en partenariat avec l’Institut national de recherche biomédicale (INRB) de RDC, et le Helmholtz Institute for One Health (HIOH), et dont les résultats ont été restitués lors d’un atelier le 30 juillet 2024 à Kinshasa.

« Ceci était une première enquête qui s’est focalisée sur le circuit de la viande de brousse ainsi que la recherche de pathogènes dans les échantillons prélevés chez les animaux. Il va y avoir d’autres études dans la même région, qui vont se focaliser sur la transmission des zoonoses chez les humains », a indiqué le Médecin vétérinaire Christelle-Patricia Lumbu, co-auteure de l’étude et Chercheuse affiliée au laboratoire de l’INRB, qui a analysé les échantillons des animaux prélevés, avant la confirmation au laboratoire du  HIOH à Greifswald en Allemagne.

Chasse, commercialisation et consommation, des facteurs à risque

Au cours de l’étude, les chercheurs ont visité 159 points de ventes, interviewé 1 288 acteurs du commerce de la viande de brousse,   prélevé et analysé 656 échantillons de neuf taxons d’animaux sauvages à la vente entre le paysage du parc et plusieurs centres urbains du pays. Les échantillons analysés provenaient de 179 primates, 120 rongeurs, 303 cétartiodactyles, 19 carnivores, 24 de reptiles (squamates, testudines, crocodiliens), 10 pholidotes (pangolins), et un tubulidenté (cochon de terre).

Vente de viande de brousse au marché de Makenene, au Cameroun. Image de Jasmine Halki via Flickr (CC BY 2.0).

Dr William-Georges Crosmary, chercheur à WWF-Allemagne et co-auteur de cette étude tire la sonnette d’alarme sur les risques potentiels   révélés par les résultats des analyses d’échantillons d’animaux sauvages prélevés. « Pour les agents pathogènes à potentiel zoonotique que nous avons suivis dans notre étude, nous avions une prévalence de 1,7 %, c’est-à-dire que 1,7 % de nos échantillons de viande de brousse étaient porteurs de l’un des pathogènes soumis à l’étude », a-t-il dit à Mongabay dans un email. « Cela peut paraître peu, mais c’est tout à fait conséquent si l’on considère la quantité énorme de viande de brousse consommée et commercialisée dans la région. Cela suggère que les populations locales sont régulièrement exposées à ces agents pathogènes, certains virulents et dangereux, voire mortels, pour l’humain ».

D’après le Fonds mondial pour la Nature, 60 millions de tonnes de viande de brousse sont consommées chaque année en Afrique centrale, et contribue à hauteur de 20 à 70 % d’apport en protéines aux humains, alors que de nombreuses espèces animales sont porteuses de pathogènes à potentiel zoonotique. Dans le bassin du Congo, le commerce de la viande de brousse est florissant. En dépit des mesures d’interdiction de vente de certaines espèces menacées d’extinction (pangolin, gorilles, etc.) par les États, et du risque que représente la viande de brousse pour la santé de ceux qui la manipule, des points de vente exclusifs prolifèrent sans cesse. Le potentiel économique que représente la filière pour les économies des zones aux confins des aires protégées du bassin du Congo, a donné du grain à moudre aux chercheurs et experts intéressés par ce secteur.

Une filière en quête de reconnaissance, qu’importe les zoonoses  

À l’échelle de l’Afrique centrale,   Dr Éric Nana Djomo, Chef service faune à l’Institut de recherche agricole pour le développement du Cameroun (IRAD), dirige un Groupe de travail qui regroupent des chercheurs, des experts en conservation faunique, des chasseurs et des commerçants de la viande de brousse du Cameroun et de la RDC. Ils se sont engagés dans la régulation de la filière viande de brousse, et travaillent sur la conception d’un programme dénommé « Programme bush meat », avec comme objectif de « rendre la filière durable et de la sortir de l’illégalité » au niveau des deux pays, confie   Dr Nana. « Il faut considérer la filière viande de brousse comme un secteur à part entière, et non comme une sous-filière de la gestion de la faune et des aires protégées. Grâce à son importance économique, elle constitue une source de revenus pour des milliers de personnes, qui n’ont d’autres sources que celle-là ; au plan social, c’est une source d’emplois et au plan nutritionnel, c’est leur principale source de protéines et d’apport en nutriments tels que la Vitamine B12, le Fer, etc. », dit l’Expert en biologie de la conservation.

Au Cameroun, la localité de Lomié, située à 380 km de Yaoundé à l’Est du pays, est un véritable hub du commerce de la viande de brousse. Des quantités importantes de ces denrées protéiques quittent chaque jour cette région forestière en direction des principaux centres urbains du pays, dans des conditions d’hygiène très limitées. L’économie au niveau de la localité repose sur l’agriculture, l’élevage, la collecte et la vente des produits forestiers non ligneux (mangues sauvages, Mbalaka, Djansang…), mais surtout le commerce de la viande de brousse, dont les femmes sont les principaux piliers.

Depuis 14 ans, l’Association des vendeuses de la viande de brousse de Lomié (AVVILOM), que dirige Thérèse Nathalie Asseuho, se bat pour faire reconnaitre cette activité, malgré les représailles subies de la part des autorités locales. La présidente de cette association fait partie des membres du Groupe de travail sur le « Programme bush meat », et espère que ce projet favorisera la légalisation du commerce de la viande de brousse au bénéfice des communautés locales qui en dépendent.

Vente de la viande de brousse dans un marché à Yangambi, en République Démocratique du Congo.  Image de Axel Fassio, CIFOR.

Pour ces commerçantes de la viande de brousse, les opportunités économiques qu’offre cette filière informelle semblent plus importantes que les risques sanitaires auxquels elles s’exposent en manipulant cette denrée. Asseuho confesse sans équivoque le déficit de sensibilisation auprès des communautés de sa localité sur l’existence des maladies zoonotiques. « Il y a quelques années, lorsque la Variole de singe était apparue ici (Lomié), un groupe de personnes était venu nous parler des zoonoses, et c’était la seule fois qu’on avait entendu parler de ça », dit-elle.

Dans un échange téléphonique avec Mongabay,  le médecin vétérinaire Bryan Kisengo établi au nord de la RDC, explique que la sensibilisation sur l’existence de ces maladies animales est primordiale pour prévenir les risques de transmission chez les humains. Il propose comme mesures de lutte contre les zoonoses,  « d’assurer le contrôle des denrées alimentaires ainsi que la circulation des animaux au marché ; d’organiser les aires d’abattage pour l’examen anti-mortem et post-mortem de petits et gros bétails pour une expertise efficace ; améliorer des stratégies de traitement pour la précaution préventives et soin curatif ; l’application de la police sanitaire vétérinaire ; appliquer la déontologie professionnelle en sensibilisant les autochtones de créer les activités d’élevage  pastorale, etc. ».

L’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA) estime que 60 % des maladies infectieuses humaines proviennent des zoonoses, et que des facteurs tels que le changement climatique ou l’évolution de l’utilisation des sols, les pratiques agricoles non durables, la mondialisation et le commerce des animaux sauvages, accentuent la propagation des agents pathogènes sous diverses formes, et favorisent les risques de transmission des zoonoses des animaux aux humains.

Image de bannière: Vente de viande de brousse au marché de Makenene, au Cameroun. Image de Jasmine Halki via Flickr (CC BY 2.0).

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