- D’après des chercheurs, le temps de collecte de l'eau pour les femmes pourrait augmenter de 30 % à l'échelle mondiale, en raison du réchauffement climatique, d'ici à 2050.
- La plupart des régions d'Afrique, par exemple, vont bénéficier, d’une réduction du temps de collecte de l'eau généralement comprise entre 0 et 20 %, contrairement aux régions d'Amérique du Sud et d'Asie du Sud-Est qui pourront connaitre une hausse de 100% du temps consacré à la collecte de l'eau.
- Cette hausse du temps de collecte d’eau a des répercussions négatives sur l’éducation, la santé, l’emploi et les activités économiques des femmes et des jeunes filles vivant surtout en milieu rural.
- Les auteurs de l’étude appellent à des actions urgentes, afin de réduire les inégalités et d’augmenter la résilience des femmes et des ménages affectés.
Selon une étude, le temps de collecte de l’eau, pour les femmes, qui n’y ont pas accès, pourrait augmenter de 30 % à l’échelle mondiale, en raison du réchauffement climatique, d’ici à 2050.
L’étude publiée en juin dernier, dans la revue Nature Climate Change indique, que le temps consacré à la collecte de l’eau pourrait augmenter jusqu’à 100 % selon les régions du monde, notamment dans les régions d’Amérique du Sud et d’Asie du Sud-Est, selon un scénario à fortes émissions de gaz à effet de serre (GES).
Les chercheurs de l’Institut de Potsdam pour la recherche sur les incidences du climat (PIK), qui ont mené l’étude, disent que la pénurie de la ressource en eau, exacerbée par le changement climatique, va alourdir la tâche de la collecte d’eau dans les ménages.
D’après les chercheurs, les femmes mettront, d’ici aux 25 prochaines années, plus de temps à chercher de l’eau pour les besoins de leur famille. Cette augmentation de temps est corrélée à la hausse de la température et de la diminution des précipitations.
Pour parvenir à cette conclusion, les chercheurs ont analysé l’effet des conditions climatiques sur les temps de collecte de l’eau déclarés par les habitants de 347 régions infranationales réparties sur quatre continents, de 1990 à 2019.
« Nous avons constaté qu’historiquement, donc sur cette période de 30 ans, lorsque la température augmente d’un degré, les temps de collecte de l’eau augmentent également d’environ quatre (4) minutes en moyenne. Ainsi, dans certaines régions, les temps de collecte de l’eau augmentent de plus de quatre minutes, et dans d’autres régions, ils augmentent d’un peu moins de 4 minutes. Mais l’augmentation moyenne était d’environ quatre minutes pour chaque degré Celsius d’augmentation de la température », explique Robert Carr, co-auteur de l’étude.
Ainsi, les régions ayant déjà très peu de précipitations souffrent encore plus lorsque les précipitations diminuent.
Si le temps de collecte de l’eau augmente de façon linéaire lorsque que la température s’élève, l’étude établit aussi que le temps mis par une femme pour collecter l’eau diminue avec la hausse des précipitations. « Lorsqu’une région reçoit davantage de précipitations, le temps de collecte de l’eau diminue pour chaque quantité supplémentaire de précipitations, d’environ 0,3 minute par millimètre d’eau enregistrée », précise Carr.
Si l’étude s’intéresse particulièrement à l’augmentation du temps nécessaire pour s’approvisionner en eau dans les ménages, le changement climatique influe au-delà de la disponibilité, la qualité de l’eau, de l’avis de Flamay Ahiafor, Expert en gestion intégré des ressources en eau (GIRE).
Des disparités régionales
Les résultats de l’étude indiquent des disparités importantes selon les régions. Certaines enregistreront une réduction des temps de collectes d’eau et d’autres par contre une hausse. « La plupart des régions de notre échantillon bénéficient des réductions allant jusqu’à 40 % du temps de collecte de l’eau dans le cadre du scénario à fortes émissions d’ici à 2050 pour de nombreuses régions d’Inde, d’Indonésie et des Philippines. La plupart des régions d’Afrique semblent également en bénéficier, avec des réductions du temps de collecte de l’eau généralement comprises entre 0 et 20 %, à l’exception des régions côtières d’Afrique de l’Ouest (jusqu’à 30 % d’augmentation) et de la majeure partie de la Namibie et du Zimbabwe (jusqu’à 20 % d’augmentation) », indiquent les chercheurs dans leur étude.
« Les impacts combinés de la température et des précipitations montrent une augmentation des temps de collecte de l’eau dans presque toutes les régions, à l’exception de l’Indonésie, où de fortes augmentations des précipitations apportent des bénéfices plus importants que les effets négatifs locaux de la température. En moyenne mondiale, cependant, les effets de la température l’emportent largement sur les effets variés des précipitations », indique l’étude.
Répercussions sur la santé, l’éducation et le développement
La hausse du temps de collecte de l’eau influe sur le développement socioéconomique, et surtout sur la femme qui assume la plus grande partie du fardeau de la collecte de cette ressource indispensable. « Les responsabilités domestiques liées à l’eau contribuent fortement au bien-être des femmes dans ces ménages, même sans le stress supplémentaire du changement climatique. La charge physique comporte un risque de blessure, et il existe également des preuves d’une détresse psychologique potentielle », mentionnent les auteurs dans leur étude.
Outre la collecte, les femmes sont généralement responsables du stockage, de l’utilisation et de l’élimination de l’eau, ce qui leur prend beaucoup de temps au cours de la journée. « L’étude n’aborde pas un pays spécifique, mais les résultats corroborent avec les réalités au Togo, comme dans plusieurs pays en Afrique, comme dans plusieurs autres pays dans le monde. Malheureusement, cette hausse de temps de collecte d’eau impacte les revenus économiques des femmes. Au lieu de consacrer leur temps à des activités génératrices de revenu, elles sont contraintes de se consacrer aux activités de collecte d’eau », dit Ahiafor.
Non seulement, la corvée devient plus longue mais aussi plus pénible selon cet expert. « Plus la température augmente, plus il fera plus chaud et donc le trajet, qui est fait généralement à pied, devient pénible, ce qui même concourt à la hausse du temps nécessaire à la collecte de l’eau. Parce qu’il y a la chaleur, on ne peut pas marcher plus vite », ajoute-t-il.
La hausse des pluies n’est pas non plus une bonne nouvelle pour les femmes. « La hausse des précipitations pourrait aussi entraîner la dégradation des infrastructures d’eau, et donc contraindre certains ménages à faire des trajets plus long. La hausse des pluies constitue aussi un risque de pollution accru des eaux de surface et, même parfois, des nappes qui ne sont pas profondes », dit Ahiafor.
Cette hausse du temps de collecte d’eau a des répercussions sur l’éducation des jeunes filles surtout en milieu rural. « Les filles sont obligées d’abandonner les classes à cause de la durée du trajet qu’elles effectuent parfois quotidiennement à la recherche de l’eau. Avec les cumuls de fatigue, elles sont obligées d’interrompre définitivement leur scolarité. Des études, que nous avons effectués au nord du Togo, il y a environ deux années, confirment cette corrélation entre l’abandon des classes par les filles et les corvées de recherche d’eau pour la satisfaction des besoins de tout le ménage », dit Dimiline Dorouwa, chercheure au Centre d’excellence régional sur les villes durables en Afrique (CeRVIDA-DOUNEDON) de l’université de Lomé.
Ainsi, la pénurie d’eau amplifie les effets négatifs sur le bien-être et l’emploi des femmes en les rendant plus vulnérables. « Comme les femmes doivent passer plus de temps à aller chercher de l’eau, elles ont moins de temps à consacrer à des activités, qui augmentent le bien-être, comme l’emploi ou l’éducation, mais aussi des responsabilités comme la garde des enfants. Ainsi, au niveau individuel, vous avez ce coût d’opportunité relativement important, qui empêche une femme de progresser en termes d’aide sociale et d’améliorer sa situation », dit Carr. Ainsi, la raréfaction de l’eau, dans un contexte de changement climatique peut augmenter les inégalités sociales et économiques.
« Quand on y réfléchit à l’échelle de la société, on s’aperçoit qu’il s’agit en fait d’un sous-ensemble important de la société, qui est laissé pour compte, parce qu’il y a ce groupe d’enfants, de femmes et même parfois d’hommes, qui passe une grande partie de leur journée à aller chercher de l’eau, contrairement à d’autres parties de la société, qui n’ont pas ce fardeau. Dans cette situation, le fossé de l’inégalité ne peut que se creuser », indique Carr.
De fait, la corvée de collecte induit, selon ce dernier, une pauvreté en temps, qui constitue aussi un manque à gagner économique pour les femmes. « La pauvreté en temps signifie que quelqu’un se trouve dans une situation où il est bloqué, parce qu’il n’a pas assez de temps pour s’en sortir en raison de ses responsabilités. Dans ce cas, nous pourrions dire qu’une femme, qui passe deux à trois heures par jour à collecter de l’eau, souffre d’un manque de temps, car il s’agit d’un engagement quotidien, qui doit être respecté chaque jour », dit Carr
L’urgence d’agir
La hausse du temps de collecte d’eau en cas de hausse de température, simulé dans le cadre de cette étude, vient à nouveau mettre en évidence la nécessité de mener des actions urgentes visant à réduire les inégalités et augmenter la résilience des femmes et des ménages en général.
Et susciter l’action, a été, selon Robert Carr, l’une des motivations de son équipe à réaliser cette étude. Comme action, Carr indique qu’il faudrait que les gouvernants œuvrent pour l’accès à l’eau potable de toute la population. « Il faut vraiment penser à l’accès au niveau le plus bas pour les personnes, qui ont le moins de ressources. Ce n’est qu’à ce moment-là, que nous pourrons réellement apporter des changements positifs et progressifs à la société. En particulier en ce qui concerne l’aide sociale aux femmes, nous devons commencer par les éléments de base, comme la collecte de l’eau. Veiller à ce que chaque foyer des communautés rurales ait accès à l’eau courante, doit être une priorité », dit Carr.
En plus, il faudrait mener des actions pour atténuer les risques climatiques en amont. « C’est urgent d’agir au vu de la problématique et des résultats de cette étude. Il faudrait déjà atténuer les changements climatiques, et aussi s’adapter aux risques climatiques en construisant des infrastructures d’eau plus résistantes et aussi capter l’eau des nappes un peu plus profondes », pense Ahiafor.
De fait, les gouvernants et acteurs de développement devraient œuvrer ensemble pour améliorer l’accès des populations à l’eau potable, afin de réduire le fardeau de la collecte d’eau, qui contribue à creuser des inégalités sociales et à rendre plus vulnérables les femmes.
Image de bannière : Barry Aliman, 24 ans, fait du vélo avec son bébé pour aller chercher de l’eau pour sa famille, village de Sorobouly près de Boromo, Burkina Faso. Image de Ollivier Girard/CIFOR via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).
Citation :
Carr, R., Kotz, M., Pichler, PP. et al. (2024). Climate change to exacerbate the burden of water collection on women’s welfare globally. Nat. Clim. Chang. 14, 700–706. https://doi.org/10.1038/s41558-024-02037-8.
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