- La nouvelle loi portant régime des forêts et de la faune au Cameroun innove avec des mesures comme la création des aires protégées communautaires, définies comme étant des aires protégées « relevant du domaine national d’une communauté riveraine, dédié à la forêt et géré conformément aux usages locaux ».
- Selon des défenseurs de l’environnement, cette disposition pourrait augmenter la participation des communautés locales dans la protection de la biodiversité. Cependant, cela passera, entre autres, par le renforcement des capacités et du leadership des communautés.
- La nouvelle loi consacre d’autres nouveautés pour une meilleure organisation de la gestion participative des forêts et de la faune, une meilleure protection du patrimoine forestier et faunique national, le principe de la régénération forestière, la prise en compte des intérêts des communautés riveraines et au plan économique, l'interdiction formelle de l'exportation du bois en grumes et la promotion de l'industrie de transformation locale du bois.
Après délibération et adoption du Parlement, le président de la République du Cameroun a promulgué la « loi n°2024/008 du 24 juillet 2024 portant régime des forêts et de la faune ». Selon l’exposé des motifs du projet de loi, défendu par le ministre des forêts et de la Faune, lors de la dernière session du Parlement en juillet dernier, le nouveau texte, d’une part, prend notamment en compte les dispositions des instruments juridiques internationaux tels que la Convention de Rio de 1992, l’Accord de Paris du 22 décembre 2015 sur le climat, l’Accord de Partenariat Volontaire sur l’Application des règlementations forestières, la gouvernance et les échanges commerciaux (APV-FLEGT) du 16 décembre 2021 et le Plan de Convergence de la Commission des Forêts de l’Afrique Centrale (COMIFAC 2015-2025). D’autre part, au plan interne, il vise également à s’arrimer au nouveau contexte de décentralisation édicté par le Code Général des Collectivités Territoriales Décentralisées de 2019. Surtout, le texte met en exergue des innovations telles qu’une meilleure organisation de la gestion participative des forêts et de la faune, l’aménagement des aires protégées communautaires et une meilleure protection du patrimoine forestier et faunique national. Il pointe du doigt aussi le principe de la régénération forestière et le reboisement, ainsi que la restauration des paysages forestiers, la prise en compte des intérêts des communautés riveraines, la protection des personnes et des biens contre les animaux sauvages et la spécification de la grille de répartition des ressources financières générées par les activités forestières et fauniques. Au plan économique, ladite loi entend favoriser l’accroissement de la contribution des ressources forestières et fauniques dans le PIB à travers, notamment l’interdiction formelle de l’exportation du bois en grumes et la promotion de l’industrie de transformation locale du bois.
« Le nouveau Code forestier vise à résoudre plusieurs problèmes majeurs affectant les forêts et la faune. Il cherche à contrer la baisse drastique des ressources forestières et fauniques. Le code vise également la déforestation et la dégradation des paysages forestiers, ainsi que la faible contribution du secteur forestier à l’économie nationale et au développement local. Il vise à assurer la disponibilité de bois légal pour les menuisiers locaux et à créer des emplois pour lutter contre le sous-emploi dans le secteur. En outre, il s’attaque à l’exploitation illégale des ressources », dit à Mongabay Justin Kamga, Coordonnateur de l’organisation Forêts et Développement Rural (FODER). L’association écologiste, basée à Yaoundé au Cameroun, œuvre depuis une vingtaine d’années, dans les pays du bassin du Congo, pour la gouvernance des ressources naturelles, les droits des communautés locales et autochtones, la biodiversité et le climat ; elle connait bien les problèmes autour des ressources forestières et fauniques au Cameroun.
Vers une meilleure prise en compte des communautés ?
C’est aussi le cas du Centre pour l’Environnement et le Développement (CED), dont le siège se trouve à Yaoundé, et qui a développé une expertise sur le plaidoyer environnemental au Cameroun et en Afrique centrale. Son Secrétaire général, Samuel Nguiffo, dans un entretien mené via la messagerie WhatsApp, insiste davantage sur les divergences de vues entre les communautés riveraines et les gestionnaires des aires protégées. « Elles portent essentiellement sur les restrictions dans l’accès à l’espace et aux ressources imposées par les exigences de la conservation, et généralement mal acceptées par les communautés, surtout qu’elles estiment que les aires protégées font partie intégrante de leurs terroirs. L’Etat, pour sa part, entend faire appliquer les règles de gestion arrêtées pour l’aire protégée considérée, sur la base des données scientifiques et des objectifs arrêtés pour cet espace. C’est l’expression du (faux) débat entre le développement et la conservation, certains estimant qu’une attention particulière est accordée à la protection des plantes et des animaux, contre les aspirations légitimes des communautés au développement. Parce qu’elles sont situées en zone rurale, les aires protégées ont, dans leur périphérie immédiate, des communautés parmi les plus pauvres du pays, caractérisées, entre autres éléments, par une forte dépendance vis-à-vis des terres et des ressources naturelles. Les restrictions dans l’accès à la terre et aux ressources ont donc une conséquence immédiate, une réduction de la qualité de vie de ces populations », dit-il.
Au demeurant, les défenseurs de la cause environnementale pointent du doigt l’origine de ces difficultés. « Les causes principales des problèmes identifiés incluent des pratiques non durables dans l’exploitation des ressources naturelles et une corruption omniprésente, qui maintient le réseau de criminels environnementaux. La mal-gouvernance, marquée par un manque de transparence et une faible participation des acteurs concernés dans les initiatives de protection des forêts, est également un facteur majeur. Le faible appui technique et financier aux agents de gestion des forêts les rendant vulnérables aux pressions des opérateurs économiques, entraînant démotivation et découragement. Enfin, la mauvaise gestion des ressources disponibles, qui empêche une planification efficace et durable des activités dans le secteur », dit Kamga, dans une interview via la messagerie WhatsApp.
La nouvelle loi prévoit notamment l’interdiction de l’exportation des grumes pour encourager la transformation locale et créer des emplois. « Les secteurs comme le nôtre (deuxième et troisième transformation du bois) tardent à se développer. Or, c’est un secteur très porteur. Il faudrait aussi booster les PME en interdisant l’importation des meubles en provenance de la Chine, de la Turquie, qui sont faits avec des matériaux pas durables, des particules de copeaux pressés, alors que nous avons des matériaux de bonne qualité ici. Oui, avec la nouvelle loi, nous aurons plus de matière première. Mais le problème reste au niveau de l’acheminement sur les grands marchés (…) .Nous suggérons que soit mise en place une forme d’équilibre », dit Thomas Wamba, propriétaire d’une menuiserie, membre de l’Association des menuisiers de la ville de Bertoua, dans un entretien téléphonique avec Mongabay.
Pour lui, il faudrait également une mise à niveau des acteurs de la transformation du bois, afin de leur permettre de capter les opportunités d’affaires, qui vont se présenter. Dans le même ordre d’idées, Professeur Jean-Louis Fobane, Enseignant-chercheur en botanique et écologie à l’Ecole normale supérieure de Yaoundé, liste, au téléphone, deux principales attentes des PME et des artisans : « L’accès régulier et sûr à un bois légal de qualité, en quantité suffisante à un prix compétitif pour les PME et aux artisans locaux ainsi qu’une meilleure répartition des ressources financières générées par les activités d’exploitation forestière, afin que la filière finance la formation professionnelle dans la filière forêt-bois, l’organisation et la structuration des opérateurs forestiers . Pour lui, la nouvelle loi « n’apporte pas des solutions efficaces à l’éternel problème d’accès au bois par les opérateurs locaux bien qu’elle prenne en compte les PEBO (Permis d’Exploitation du Bois d’œuvre : moins de 1000m3/an).Au regard des volumes de bois sollicités par le marché intérieur (environ 800 000m3/an), les PEBO ne peuvent pas satisfaire les besoins de la commande locale en bois d’œuvre. Elle ne précise pas le niveau de transformation du bois. Ce qui risque d’entretenir des polémiques et des incompréhensions sur la notion de transformation, sur le niveau de transformation souhaité.
Elle ne prévoit pas un fonds d’appui à la filière bois généré par les activités forestières d’exploitation et d’exportation des produits bois transformés, afin de soutenir les besoins de la filière en termes de formation professionnelle dans la filière bois, d’accès aux financements, d’organisation et de structuration des opérateurs forestiers ». Selon la Note sur le commerce extérieur du Cameroun en 2023, publiée par l’Institut national de la Statistique, le déficit de la balance commerciale est de 2 004 milliards de francs CFA ( soit 3 404 671 127 USD) contre 1 428 milliards de francs CFA ( soit 2 426 083 018 USD) en 2022. Le pays a exporté 596,5 tonnes de bois brut (grumes) pour une valeur 64,384 milliards de francs CFA (soit 109 384 404 USD) en 2023.
Par ailleurs, la même année, le Cameroun a exporté 55 023,5 tonnes (21,664 milliards de francs CFA, soit 36 805 786 USD) de feuilles de placage en bois ; 1 540,5 tonnes (199,152 milliards de francs CFA, soit 338 346 838 USD) de bois sciés ; 1 305,3 tonnes (674 millions de francs CFA, soit 1 145 084 USD) de bois contre-plaqués, bois plaqués et bois stratifiés similaires.
Industrie du bois au Cameroun
Au registre de la décentralisation, la création des forêts régionales devrait permettre une meilleure gestion locale des ressources forestières. « Cela pourrait potentiellement renforcer la gestion locale et la transparence. Cependant, il est nécessaire de définir des mécanismes clairs et efficaces pour la collecte, la redistribution et le suivi de la gestion de ces revenus, afin d’assurer une contribution significative du secteur forestier au développement local », indique Kamga. Les amendes dissuasives ont, quant à elles, pour but de sanctionner les criminels et décourager les activités illégales. « De mon point de vue, c’est un texte avantageux. Il prend en compte l’adaptabilité de la production législative. Une loi ne peut pas être figée, elle doit toujours s’adapter aux évolutions (…). Dans le fond, il y a des innovations que nous devrions tous saluer. Par exemple, la nouvelle loi encourage la promotion de l’industrie locale de transformation du bois. Deuxième élément positif, elle met un accent sur la problématique de la régénération forestière et sur le reboisement. Egalement, la nouvelle loi met un accent sur la prise en compte de la nouvelle gouvernance, qui fait une part belle à la décentralisation. Elle met aussi un accent sur la protection des populations par rapport aux animaux sauvages (…). Sans oublier l’élément de répartition des ressources qui pourraient être générées de l’exploitation forestière (…). Chacun devrait y trouver son compte : l’Etat central, les populations et les collectivités territoriales décentralisées », dit Pierre Petrus Mbede, Député à l’Assemblée nationale, dans un entretien téléphonique.
Autre amélioration évoquée par Professeur Fobane, la prise en compte des activités de recherche et de régénération des espaces dégradés. « Ceci rejoint l’Initiative pour la Restauration des Paysages Forestiers Africains (AFR100), lancée par les pays africains en marge de la COP 21 en 2015 à Paris. Initiative qui a pour but de restaurer 100 millions d’hectares de paysages dégradés ou déboisés en Afrique d’ici à 2030. L’AFR100 vise à reconstituer les fonctionnalités écologiques des paysages et terres dégradés, dans le but d’améliorer la sécurité́ alimentaire, d’augmenter la résilience et l’atténuation du changement climatique, et de lutter contre la pauvreté́ en zone rurale », précise-t-il. L’initiative de la création des aires protégées communautaires, de son côté, est destinée à augmenter la participation des communautés locales dans la protection de la biodiversité.
Développer le leadership des communautés
Dans un entretien avec Mongabay, non loin de son bureau dans la ville de Bertoua, dans la région de l’Est du Cameroun, Venant Messe, Coordonnateur national de l’Association Okani, basée à Bertoua et qui œuvre pour la promotion et les droits légaux et humains des peuples de la forêt, se réjouit du nouveau texte de loi. « Ça fait plus d’une décennie qu’on attend cette loi. Les peuples autochtones des forêts au Cameroun qui, depuis l’aube des temps, sont reconnus comme des gardiens de la forêt, aujourd’hui, sont presque exclus de leur environnement. L’une des principales réclamations des peuples autochtones du Cameroun est l’accès à leur territoire traditionnel qui, aujourd’hui, est jalonné des parcs nationaux, des aires protégées, des unités forestières d’aménagement, et même des permis miniers. Au point où ce milieu est en train d’être catégoriquement détruit et pris par d’autres acteurs, qui s’intéressent à la forêt.
Ajoutées à cela, se posent avec acuité les questions de marginalisation. Pour rester dans le secteur forestier, il y a la question de la distribution de la redevance forestière, qui reste une utopie pour les communautés Baka et les communautés autochtones. Il y a la question de la taxe sur l’abattage lorsqu’il s’agit de la chasse sportive, qui est reversée aux Comités de valorisation des ressources fauniques. Il y a des fonds, qui circulent, mais qui ne touchent presque pas véritablement les peuples autochtones », dit-il. Pour tous, ce n’est qu’à certaines conditions que la nouvelle législation va contribuer à régler certains problèmes des populations riveraines des forêts et aires protégées, notamment les peuples autochtones.
« Nous saluons cette initiative, car nous l’avons voulu de tous nos vœux. Malheureusement, lorsque nous faisons un pas en arrière, pour ce qui est des forêts communautaires, elles ont été un échec. Ces forêts, qui devaient être utilisées de manière communautaire et coutumière, ont vu plutôt la main des exploitants forestiers, qui est passée par là. (…) », dit Messe. « La nouvelle loi donne la possibilité de demander des espaces pour la création des aires protégées communautaires. Si ce n’est pas bien encadré, avec des comités de gestion, de suivi et d’évaluation, on risque de retomber dans les mêmes erreurs avec les forêts communautaires. Nous avons un chantier qui va s’ouvrir, en termes de renforcement des capacités et du leadership des communautés, qui vont bénéficier de ces aires protégées communautaires », ajoute-t-il.
Samuel Nguiffo abonde dans le même sens. « Le dispositif de protection des droits d’usage, et surtout les modalités de leur compensation, n’ont pas fonctionné sous l’empire de la loi de 1994. Il faut espérer que les décrets d’application de la loi, sur ces questions essentielles, seront rapidement signés et mis en œuvre, pour agir comme des mesures de sauvegarde en faveur des communautés », estime-t-il. Pour ce dernier, l’institution des aires protégées communautaires, définies par l’article 3 comme étant des aires protégées « relevant du domaine national d’une communauté riveraine, dédié à la forêt et géré conformément aux usages locaux », offre la possibilité d’associer les communautés à l’effort de conservation au niveau national, en érigeant par exemple leurs forêts sacrées en aires protégées communautaires, bénéficiant du même niveau de protection que les aires protégées gérées par l’Etat. « Le potentiel pour la création des aires protégées communautaires est très grand, et on peut penser que, pratiquement, tous les villages du Cameroun pourraient être candidats à l’érection de leurs forêts sacrées ou de tout autre espace d’intérêt en aire protégée communautaire. La principale préoccupation est relative à la confusion, qu’introduit la loi en ce qui concerne le statut de la forêt. Est-elle classée dans le domaine national, comme l’indique l’article 3 ? Ou relève-t-elle du domaine forestier permanent, donc en ce qui concerne la terre, du domaine privé de l’Etat, comme le dit l’article 33 ? Cette confusion peut être une source d’importants conflits : les communautés sont-elles prêtes à voir leurs forêts sacrées assises sur des terres sur lesquelles l’Etat dispose d’un titre foncier à son nom, et dont il peut disposer librement sans aucune consultation avec les communautés (article 24) ? Une solution pourrait consister à instituer un statut foncier différent pour ces aires protégées, qui seraient des terres relevant de la propriété collective de la communauté concernée, sans possibilité d’aliénation », dit Nguiffo. Pour rappel, ce nouveau cadre juridique vient à la suite de la loi n° 94/01 du 20 janvier 1994 portant régime des forêts, de la faune et de la pêche.
Image de bannière: La nouvelle loi intègre la protection des personnes et des biens contre les animaux sauvages, compte tenu de la proximité entre certaines communautés et les aires protégées comme le Parc national de la Lobéké, dans la région de l’Est du Cameroun où vivent ces éléphants. Image fournie par Ernest Sumelong du WWF.
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