- La Réserve de Biosphère de Luki (RBL), située dans l’Ouest de la République Démocratique du Congo (RDC) est soumise à de fortes pressions anthropiques.
- Cette situation se répercute sur la faune mammalienne, faisant craindre aux chercheurs une éventuelle disparition des chimpanzés à face blanche, dont la réapparition en 2020 avait suscité de grands espoirs pour les acteurs de la conservation.
- Une étude de la faune mammalienne, menée entre 2020 et 2021 par les chercheurs Jean Semeki et Cédric Vermeulen, avait confirmé le retour des Pantroglodytes verus dans la réserve. Cependant, les auteurs avaient suggéré de repenser la gestion de la réserve.
Fin avril 2024, l’Observatoire de la Gouvernance Forestière en République Démocratique du Congo (OGF RDC), a rendu public le rapport de ses différentes missions d’enquêtes et d’observation, menées entre 2022 et 2023 sur l’état de la Réserve de Biosphère de Luki (RBL), créée en 1937.
Cette organisation non gouvernementale congolaise suggère, dans ce rapport des mesures similaires à celles proposées par les chercheurs Jean Semeki et Cédric Vermeulen, qui avait confirmé le retour des Pantroglodytes verus dans la réserve, tout en appelant à repenser sa gestion. Ladite structure indique que « faire participer activement les communautés dans la gestion de la réserve en les impliquant dans les formations en tant qu’observateurs locaux et, en mettant à leur disposition des moyens qui pourront leur permettre de suivre la déforestation, de la dénoncer et de sensibiliser leurs proches », s’avère un des moyens efficaces pour sauver la RBL.
Dans une note d’information, il est fait état de la déforestation accélérée qui résulte du commerce du charbon, de l’exploitation forestière illégale ou encore du commerce de la viande de brousse, encourageant le braconnage à grande échelle.
L’analyse des données de l’outil Global Forest Watch reprises dans ce rapport montre que la RBL a enregistré 42 % de perte du couvert forestier de 2001 à 2022, soit plus de 2434 hectares de perte de forêt ; les pertes les plus élevées datent de 2014. Cette forêt, d’une superficie de 33000 ha, compte plus de 1000 espèces végétales et 26 espèces animales dont 17 protégées par la loi congolaise, notamment le chimpanzé à face blanche.
En décembre 2020, après un large moment de disparition, quelques individus des chimpanzés à face blanche ont été aperçus grâce à des pièges caméras installés par les professeurs Jean Semeki et Cédric Vermeulen, respectivement chercheurs de l’université de Kinshasa et de l’université de Liège en Belgique, dans le cadre d’une recherche. Cette nouvelle avait réjoui les responsables de WWF-RDC, la qualifiant d’un « exemple de résilience et de survie », qui prouve que les efforts de conservation de cette réserve peuvent produire des fruits inattendus.
Que reste-t-il des chimpanzés à face blanche dans la RBL
La RBL est subdivisée en trois zones, notamment la zone de transition dédiée aux activités humaines, telles que l’agriculture durable sans pesticides et l’exploitation forestière durable. Elle sert de zone de développement socio-économique pour les communautés locales. La zone tampon servant de transition entre la zone centrale et la zone de transition, permet des activités de recherche scientifique et de surveillance environnementale tout en offrant une certaine protection à la faune et à la flore, ainsi que la zone centrale, destinée à la conservation stricte. Celle-ci abrite des espèces animales et végétales rares et protégées, telles que les chimpanzés à face blanche ou le Wenge (Millettia laurentii) – espèce végétale la plus abattue en raison de sa haute valeur commerciale.
Malgré la confirmation de l’existence des chimpanzés dans la zone centrale de la réserve de Luki par le dernier monitoring de la faune mammalienne de cette réserve, la sous-espèce (Pan troglodytes troglodytes) des chimpanzés, n’est pas à l’abri du danger, selon les chercheurs. La chasse commerciale et de subsistance, l’exploitation illicite du bois figure parmi les principales menaces. En effet, l’observation des chimpanzés dans cette zone, démontre la nécessité de renforcer les mécanismes de gestion de la RBL pour garantir la protection des derniers groupes encore présents dans cette partie du pays.
« Il est probable que les chimpanzés à face blanche aient perdu une partie de leur habitat naturel en raison de la déforestation observée ces dernières années. Cependant, une affirmation définitive nécessiterait des données précises sur les changements dans l’utilisation des terres et la couverture forestière dans les zones spécifiques où ces chimpanzés ont été signalés », dit Serge Bondo de l’OGF, dans un courriel.
En revanche, Célestin Kabongo Kabeya, chercheur à l’École Régionale Postuniversitaire d’Aménagement et de Gestion intégrée des Forêts et Territoires tropicaux (ERAIFT), basée à Kinshasa, et rattachée à l’université de Kinshasa, estime que l’extinction génétique des chimpanzés (Pan troglodytes) pourrait engendrer un déséquilibre écologique dans la RBL. « L’extinction de Pan troglodytes verus dans la RBL pourrait certainement avoir des répercussions graves sur l’équilibre écologique de la réserve. Cette sous-espèce de chimpanzé est essentielle pour la dynamique des écosystèmes forestiers africains, et sa disparition pourrait entrainer une perte de biodiversité et une perturbation des cycles naturels », dit Kabongo Kabeya par la messagerie Whatsapp.
La RBL, une forêt tributaire aux conditions socioéconomiques des communautés locales
Dans son étude publiée en 2023 dans ReseachGate, sur les conditions socioéconomiques des communautés locales en lien avec l’intégrité des aires protégées en RDC (cas de la Réserve de Biosphère de Luki), Célestin Kabongo Kabeya, analyse quelques filières directement liées à l’exploitation des ressources naturelles dans cette réserve à savoir, entre autres, l’agriculture non durable, la carbonisation ou encore la chasse et la pêche. D’après cette étude, l’activité de chasse se fait en toute illégalité dans la réserve. La plupart des chasseurs interviewés dans le cadre de cette étude ont confirmé ne possédant aucune autorisation de la part des gestionnaires et justifient cela par le manque d’un territoire de chasse villageois mis à leur disposition et la rareté de gibier dans les forêts proches de leurs villages respectifs. Organisée en équipe, cette activité ne tient pas compte de la physiologie de l’animal, ni de la catégorie de protection à laquelle il appartient.
Interrogé par Mongabay, Kaka Di Makwala explique que « la chasse est autorisée dans la zone de transition où les activités humaines sont censées se faire. Cependant, poursuit-il, il y a très souvent des intrusions des chasseurs dans la zone centrale, justement lorsqu’un chasseur poursuit un gibier qu’il a repéré depuis la zone de transition. Le plus grand souci, c’est qu’une fois dans la zone centrale, les chasseurs ne tiennent pas compte de la physiologie des animaux. Protégés ou pas, ces derniers tirent sur tout ce qui se présente devant eux ».
Kabongo Kabeya soutient que l’état des ressources naturelles d’une aire protégée peut être fortement influencé par le contexte socioéconomique local. Il évoque trois points essentiels qui expliquent ce phénomène, notamment la dépendance des communautés locales aux ressources naturelles, l’implication des communautés locales dans la gestion et le développement économique. « En effet, les populations locales comptent souvent sur les ressources naturelles qu’elles considèrent comme gage de leur subsistance, leur source des revenus et leur mode de vie traditionnel. Lorsque ces communautés sont confrontées à des difficultés économiques, elles peuvent être tentées d’exploiter de manière non durable ces ressources protégées », explique-t-il.
L’évaluation de la gestion pour sauver la RBL
Des études, notamment celle des chercheurs Jean Semeki et Cédric Vermeulen ou le rapport de l’Observatoire de Gouvernance Forestière (OGF) estiment que repenser les stratégies de gestion de la RBL, s’avère un moyen salutaire pour son avenir.
En effet, les différentes conclusions d’études et rapports suggèrent que l’évaluation de cette aire protégée consistera à une analyse de divers aspects tels que la biodiversité, l’état des habitats, et les impacts des activités humaines. Ces données sont essentielles pour adapter et améliorer les stratégies de conservation.
Les méthodes d’évaluation peuvent inclure des relevés de la faune et de la flore, des analyses des sols et de l’eau, ainsi que le suivi des populations animales et végétales. Les technologies modernes, telles que les drones et les capteurs à distance, jouent un rôle crucial dans la collecte de données précises et à grande échelle.
Kaka Di Makwala, gestionnaire de la RBL soutient que l’évaluation de la gestion de cette réserve se fait tous les dix ans, grâce à l’outil IMET (Integrated Management Effectiveness Tool), qui est en droite ligne avec le processus de l’excellence de l’UNESCO.
Nécessité d’une implication des communautés locales dans la gestion
« Une gestion efficace des aires protégées nécessite l’implication et la participation active des communautés locales. Il n’existe aucun projet ou programme de conservation ayant réussi sans compter sur les communautés locales », dit Kabongo Kabeya.
Il explique que ce qui arrive lorsque ces communautés ne sont pas impliquées ou que leurs intérêts ne sont pas pris en compte sont des conflits, qui engendrent une dégradation des ressources en raison d’une exploitation illégale et non durable. « La création d’opportunités économiques durables pour les communautés locales tel que l’écotourisme, peut contribuer à réduire la pression sur les ressources naturelles des aires protégées. Une approche de gestion intégrée, impliquant ces communautés est nécessaire pour concilier la conservation et le développement durable dit-il.
Outre la participation active des communautés locales dans la gestion de la réserve, Serge Bondo de l’OGF recommande également de « renforcer les mesures de protection contre la déforestation et l’exploitation illégale des ressources et promouvoir des pratiques de gestion durable des forêts ».
Image de bannière : Un des chimpanzés à face blanche photographiés en 2020 par les pièges caméras installés par Jean Semeki et Cédric Vermeulen, des universités de Kinshasa en RDC et de Liège en Belgique dans la Réserve de biosphère de Luki. Image du chercheur Jean Semeki, auteur des pièges photographiques.
Citation :
Kabeya, C., (2024). Caractérisation des conditions socioéconomiques des communautés locales en lien avec l’intégrité des aires protégées en RDC : cas de la Réserve de Biosphère de Luki dans la province du Kongo Central. Researchgate, VL. DO – 10.35759/JABs.195.
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