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Étude: Un tiers des grands singes d’Afrique menacés par l’exploitation des métaux de transition

Un chimpanzé ougandais dans un habitat en voie de disparition. Image offerte par Anna Dulisse.


Un chimpanzé ougandais dans un habitat en voie de disparition. Image offerte par Anna Dulisse.


  • La demande croissante de métaux nécessaires à la transition vers les énergies renouvelables pourrait menacer plus d'un tiers des grands singes d'Afrique.
  • Près de 180 000 gorilles, chimpanzés et bonobos risquent de subir les conséquences des projets actuels et futurs d'exploitation de ces métaux de transition, notamment en Afrique de l'Ouest.
  • Les risques d'impacts directs et indirects potentiels de l'exploitation minière sur les grands singes incluent la perte de leur habitat, les menaces pour la santé liées à la pollution lumineuse et à la transmission de maladies, ainsi que les dangers de la circulation des véhicules.
  • Un partage transparent des données et un mécanisme plus solide pour atténuer les impacts, avant même qu'ils ne se fassent sentir, pourraient grandement contribuer à éviter que les grands singes d'Afrique ne deviennent victimes de l'action climatique.

Des scientifiques ont signalé que l’extraction des métaux nécessaires à la transition vers une énergie propre à l’échelle mondiale pourrait mettre en danger les grands singes d’Afrique, déjà menacés, à moins que des mesures de conservation strictes ne soient mises en place.

Selon une étude récente publiée dans la revue Science Advances, près de 180 000 gorilles, chimpanzés et bonobos, soit plus d’un tiers de la population totale de grands singes en Afrique, pourrait être directement ou indirectement menacé par l’exploitation minière, aujourd’hui et dans un avenir proche.

« Les minéraux utilisés pour nous aider à lutter contre le changement climatique proviennent de zones, qui pourraient être cruciales pour les grands singes », a déclaré l’auteure principale de l’étude, Jessica Junker, chercheuse à l’ONG de conservation de la faune Re:wild et ancienne chercheuse postdoctorale au Centre allemand de recherche intégrative sur la biodiversité (iDiv), lors d’un entretien vidéo avec Mongabay. « L’extraction de ces minéraux peut avoir un impact considérable et entraîner la disparition de ces habitats ».

Junker et une équipe internationale composée de chercheurs originaires d’Allemagne, d’Australie et de plusieurs pays africains ont étudié les effets probables actuels et futurs de l’exploitation minière sur les grands singes d’Afrique. Ils ont choisi cette espèce pour illustrer les répercussions de l’exploitation minière en Afrique et dans le monde.

Un bébé gorille se promène sur le dos de sa mère. Près de 180 000 de ces singes risquent d'être victimes des projets miniers. Image offerte par Jeremy Stewardson via Unsplash.
Un bébé gorille se promène sur le dos de sa mère. Près de 180 000 de ces singes risquent d’être victimes des projets miniers. Image offerte par Jeremy Stewardson via Unsplash.

« La menace est plus importante que nous le pensions »

Alors que l’Afrique abrite 30 % des ressources minérales mondiales, dont 19 % des réserves de métaux dits critiques tels que la bauxite, le cobalt et l’aluminium, les chercheurs affirment que le continent représente actuellement moins de 5 % de l’activité minière mondiale.

Un essor de l’activité minière en Afrique est prévu à mesure que la transition vers une énergie propre se met en place dans le monde, et pourrait avoir un impact significatif sur une région qui abrite un sixième des forêts restantes de la planète, dont certaines servent d’habitat à des populations de grands singes menacés.

Junker a déclaré : « La menace est plus importante que nous le pensions. C’est inquiétant ».

Pour cette étude, Junker et son équipe ont calculé les impacts directs et indirects potentiels sur les grands singes dans un rayon de 10 et 50 kilomètres respectivement autour des sites miniers dans 17 pays africains. Il s’agissait à la fois de sites d’exploration et de sites d’extraction. Les impacts étudiés comprennent la perturbation de la communication due au bruit industriel, les symptômes physiologiques liés à la pollution lumineuse, le risque accru de collision avec des véhicules et l’augmentation de la transmission de maladies à l’homme et provenant de l’homme.

Junker a déclaré qu’en Afrique de l’Ouest, notamment en Guinée, de nombreuses zones d’exploration et de préparation minières chevauchent des habitats essentiels pour les grands singes.

« Près de 80 % de la population des singes de Guinée pourrait être menacée. Cela représente environ 23 000 chimpanzés », a précisé Junker.

Des règles pour limiter les impacts

L’exploitation minière des métaux de transition pose un délicat problème d’équilibre entre la préservation de la biodiversité et l’action climatique, deux enjeux majeurs.

« Une augmentation rapide de la demande de métaux pour les énergies renouvelables […] pourrait conduire à l’exploitation de ressources marginales ou non conventionnelles, qui se trouvent souvent dans des endroits plus reculés ou plus riches en biodiversité », a déclaré, à Mongabay, en 2019, Elsa Dominish, consultante principale en recherche à l’Institute for Sustainable Futures, basé en Australie.

Les auteurs de l’étude ont demandé, aux responsables du financement, de la validation ou de la gestion des projets miniers, de limiter l’impact qu’ont leurs activités sur les grands singes d’Afrique.

La Société financière internationale, l’organe de financement du secteur privé de la Banque mondiale, cite spécifiquement les grands singes dans ses règles de financement. L’agence multilatérale finance des projets miniers en Afrique et dans le monde entier, mais désigne comme « habitat critique » les zones minières qui abritent des grands singes, et impose des règles strictes aux sociétés minières qui cherchent à obtenir un financement dans ces zones.

Le manque de transparence dans le partage des données entrave la compréhension scientifique des impacts de l'exploitation minière sur les grands singes et leur habitat. Image offerte par Anna Dulisse.
Le manque de transparence dans le partage des données entrave la compréhension scientifique des impacts de l’exploitation minière sur les grands singes et leur habitat. Image offerte par Anna Dulisse.

Ces entreprises sont censées suivre une « hiérarchie d’atténuation » établie par le Business and Biodiversity Offsets Program: éviter, minimiser, restaurer et compenser.

En théorie, si une société minière devait suivre cette hiérarchie, elle devrait d’abord identifier les risques de façon appropriée et chercher à éviter de nuire à l’habitat et à la faune. Si elle n’est pas en mesure de limiter les effets néfastes et qu’elle est autorisée à poursuivre ses activités, elle doit alors fournir une compensation adéquate sous la forme de paiements, de formation, de renforcement des capacités, ou de recherche, de mesures de réhabilitation et de restauration.

Cependant, Junker et son équipe affirment que cette hiérarchie d’atténuation comporte des failles.

Selon l’étude, « les entreprises minières se limitent souvent à prendre des mesures visant à limiter l’impact direct au cours de l’exploitation et à l’intérieur des limites du bail minier. Elles ne tiennent pas compte du fait que leur impact, qu’il soit direct ou indirect, se fait sentir à tous les stades du développement du projet et s’étend à une zone géographique plus vaste. Pour permettre aux populations de grands singes de se répartir et de se déplacer, l’atténuation des impacts directs et indirects doit s’étendre au-delà des limites administratives du projet minier ».

Geneviève Campbell, coauteure de l’étude et membre de Re:wild, espère que ces résultats encourageront les exploitations minières et ceux qui les financent à faire davantage d’efforts pour protéger au plus vite les grands singes menacés d’extinction.

« Les entreprises minières doivent s’efforcer d’atténuer, autant que possible, leur impact sur les grands singes », a déclaré Campbell dans un communiqué de presse. « Cette prévention doit se faire dès la phase d’exploration, mais malheureusement, cette phase est mal réglementée, et les entreprises collectent les ‘‘données de référence’’ après de nombreuses années d’exploration et de destruction de l’habitat. Ces données ne reflètent donc pas fidèlement la situation des populations de grands singes dans la région avant l’impact de l’exploitation minière ».

Les entreprises minières se limitent souvent à prendre des mesures visant à limiter l'impact direct au cours de l'exploitation et à l'intérieur des limites du bail minier. Elles ne tiennent pas compte du fait que leur impact, qu'il soit direct ou indirect, se fait sentir à tous les stades de développement du projet et s'étend à une zone géographique plus vaste. Image de Mike Arney via Unsplash.
Les entreprises minières se limitent souvent à prendre des mesures visant à limiter l’impact direct au cours de l’exploitation et à l’intérieur des limites du bail minier. Elles ne tiennent pas compte du fait que leur impact, qu’il soit direct ou indirect, se fait sentir à tous les stades de développement du projet et s’étend à une zone géographique plus vaste. Image de Mike Arney via Unsplash.

Le manque de partage de données entrave l’efficacité de la conservation

Depuis 2004, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), gère une base de données mondiale de recensement et d’information sur la densité des grands singes, connue sous le nom de base de données Ape Populations, Environments, and Surveys, ou A.P.E.S.

Ce répertoire public de toutes les données existantes sur les études des populations de grands singes vise à définir le nombre et la localisation exacte des grands singes en Afrique et en Asie, afin d’aider la recherche et les stratégies de conservation.

« Nous avons recueilli beaucoup d’informations au cours des 15 dernières années », a indiqué Junker. « Aujourd’hui, nous nous apprêtons à utiliser ces informations afin d’évaluer les défis liés à l’efficacité de la conservation sur ces sites et de déterminer comment protéger mieux ou plus efficacement ces grands singes ».

Cependant, pour les grands singes d’Afrique vivant dans des zones ouvertes à l’exploitation minière, les embargos de longue date sur les données rendent difficile la collecte des données nécessaires à des stratégies de conservation et d’atténuation efficaces.

Les résultats obtenus par Junker et son équipe ont confirmé, que les projets miniers devaient partager davantage de données. Seul 1 % des données d’étude sur les grands singes d’Afrique, conservé dans la base de données A.P.E.S., provient de sites miniers en activité ou en phase de pré-exploitation.

« Ce manque de transparence dans le partage des données entrave la compréhension scientifique des impacts de l’exploitation minière sur les grands singes et leur habitat », indique l’étude. « Nous insistons donc sur le fait que les entreprises minières doivent rendre leurs données sur la biodiversité accessibles au public dans une base de données centrale, telle qu’A.P.E.S. ».

L’impact de la transition vers une énergie propre

Junker a souligné que si les entreprises continuent à fonctionner de la même façon, la demande en métaux de transition, qui croît rapidement, mettra les grands singes d’Afrique encore plus en danger qu’ils ne le sont déjà.

« La transition verte a besoin de ces minéraux, mais il est important que les gens ne soient pas induits en erreur par le terme ‘‘vert’’ », a-t-elle déclaré. « Si vous voulez procéder à une transition, vous provoquerez un impact ailleurs ».

Il est donc important de limiter tout impact avant le début de l’activité minière.

« La menace potentielle de l’exploitation minière pour les grands singes est plus importante que nous le pensions », a conclu Junker. « Mais la plupart des sites miniers, compris dans cette analyse, sont des sites pré-opérationnels, qui peuvent ou non devenir opérationnels. C’est pourquoi, j’insiste toujours sur le fait qu’il s’agit d’une menace potentielle. Nous pouvons changer le cours des choses ».

Image de bannière: Un chimpanzé ougandais dans un habitat en voie de disparition. Image offerte par Anna Dulisse.

Références:

Junker, J., Quoss, L., Valdez, J., Arandjelovic, M., Barrie, A., Campbell, G., … Sop, T. (2024). Threat of mining to African great apes. Science Advances, 10(14), eadl0335. doi:10.1126/sciadv.adl0335.

Edwards, D. P., Sloan, S., Weng, L., Dirks, P., Sayer, J., & Laurance, W. F. (2014). Mining and the African environment. Conservation Letters, 7(3), 302-311. doi:10.1111/conl.12076.

 

Cet article a été publié initialement ici par l’équipe de Mongabay Global le 28 juin 2024.

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