- Les chercheurs ont identifié des bactéries capables de « consommer » l'oxyde nitreux lorsqu'il se forme dans le sol, empêchant ainsi le gaz de s'échapper dans l'atmosphère.
- Les résultats de l’étude remettent en cause la réflexion selon laquelle les émissions de protoxyde d'azote (N₂O), un gaz à effet de serre, à partir des sols agricoles seraient inévitables du fait de l’utilisation sans cesse croissante des fertilisants azotés par les agriculteurs.
- L’utilisation de cette méthode pourra permettre de réduire la part des émissions de GES issues du secteur de l’agriculture.
L’agriculture est l’un des secteurs les plus vulnérables aux changements climatiques, tout en étant paradoxalement responsable de l’émission d’environ 30 % des gaz à effet de serre (GES) qui exacerbent ces changements. Cependant, l’agriculture pourrait devenir moins émettrice dans les années à venir. C’est l’espoir suscité par les résultats d’une étude menée par des chercheurs de l’université norvégienne des sciences de la vie et de l’Institut international d’analyse des systèmes appliqués (IIASA) basé à Vienne en Autriche.
L’étude propose une méthode permettant « d’utiliser des bactéries du sol pour réduire les émissions de gaz à effet de serre provenant des terres agricoles ». Ces résultats viennent ainsi remettre en cause la réflexion selon laquelle les émissions de protoxyde d’azote (N₂O), un gaz à effet de serre, à partir des sols agricoles seraient inévitables du fait de l’utilisation sans cesse croissante des fertilisants azotés par les agriculteurs.
Réduire l’émission de N₂O issue des sols agricoles grâce à des bactéries
Publiée en mai dernier dans la revue Nature, l’étude met en évidence une méthode capable de réduire ces émissions. De fait, les chercheurs ont identifié des bactéries capables de « consommer » l’oxyde nitreux lorsqu’il se forme dans le sol, empêchant ainsi le gaz de s’échapper dans l’atmosphère.
La mise au point de cette méthode est le résultat des recherches fondamentales menées par l’université Norvégienne depuis une vingtaine d’années, sur la manière dont les micro-organismes du sol convertissent l’azote. L’équipe a ainsi étudié ce qui se passe lorsque les microbes n’ont pas accès à suffisamment d’oxygène, une situation appelée hypoxie.
« Lors de la fertilisation (et des pluies), certaines parties du sol deviennent hypoxiques. Comme les microbes n’ont alors pas accès à l’oxygène, ils sont obligés de trouver d’autres moyens d’obtenir de l’énergie. De nombreux microbes peuvent utiliser le nitrate au lieu de l’oxygène et, grâce à un processus appelé dénitrification, ils convertissent le nitrate en d’autres gaz. L’un d’entre eux est l’oxyde nitreux, et les micro-organismes contribuent ainsi aux émissions de gaz à effet de serre », écrivent les chercheurs dans leur étude.
Ainsi, ces chercheurs sont parvenus à plusieurs découvertes importantes concernant la régulation de ce processus et ont développé une méthode unique pour étudier la dénitrification.
Dans leur protocole de recherche, ils ont eu recours notamment à des solutions robotiques tant en laboratoire que sur le terrain et ont développé un robot spécial pour mesurer en temps réel les émissions d’oxyde nitreux du sol.
De fait, la solution développée pour réduire les émissions de N₂O consiste à utiliser un type spécial de bactéries qui n’a pas la capacité de produire de l’oxyde nitreux mais qui peut le réduire en azote gazeux inoffensif (N₂). « Notre motivation en réalisant la présente étude était de trouver une biotechnologie réalisable pour réduire les émissions de N2O provenant du sol. Nous étions convaincus que les émissions de N2O pouvaient être réduites si nous étions capables de renforcer la capacité des sols à réduire le N2O en N2 inoffensif, et notre conception était que cela pouvait être réalisé si nous chargions le sol de bactéries qui ont la capacité de réduire le N2O, mais pas de produire du N2O », explique Lars Bakken, Professeur à l’université norvégienne des sciences de la vie et auteur principal de l’étude.
Cette étude présente donc une preuve démontrant la faisabilité de l’utilisation de la NNRB “Nitrate-Nitrite Reducing Bacteria” (bactéries réductrices de nitrate-nitrite) pour réduire les émissions provenant des terres agricoles. Ces bactéries jouent un rôle important dans les processus biogéochimiques du sol, notamment dans la réduction des nitrates en nitrites et ensuite en gaz d’azote, y compris le N₂O. « Notre résultat est une preuve de concept indiquant que nous pouvons effectivement réduire les émissions de N2O en utilisant des déchets organiques comme substrat et vecteur de NNRB », dit Bakken.
Toutefois, il précise qu’il y a une catégorie spécifique de NNRB qui permet de parvenir à ce résultat optimiste. « Les souches utilisées ont été soigneusement sélectionnées pour leur capacité à croître jusqu’à une densité cellulaire élevée dans les déchets organiques, et pour leur robustesse dans le sol », précise Bakken.
L’utilisation de déchets organiques comme substrats et vecteurs permet, selon les chercheurs, « une inoculation massive du sol, ce qui peut garantir une réduction des émissions de N₂O pendant toute une saison de croissance, malgré une diminution progressive de l’abondance de la NNRB ».
Perspectives
Confiant de l’efficacité de leur méthode, l’équipe de recherche se lance le challenge de poursuivre les expériences afin de trouver un plus grand nombre de bactéries pouvant consommer de l’oxyde nitreux. « Nous avons encore du chemin à parcourir pour développer des procédées robustes qui puissent être adoptées par les agriculteurs, mais nous n’avons aucune raison d’être pessimistes à ce sujet », dit Bakken.
Dans cette perspective, les chercheurs ont démarré un nouveau projet de recherche dénommé NRBOW qui s’étalera sur la période de mars 2024 à mars 2027. « NRBOW recherchera davantage de souches de bactéries réductrices de nitrate-nitrite capables de se développer sur une gamme de déchets organiques et des souches de bactéries réductrices de nitrate-nitrite tolérantes à la sécheresse, avec pour objectif final de produire des engrais organiques secs qui réduisent les émissions de N₂O », a annoncé l’université norvégienne sur son site web.
L’objectif, précise-t-on, est de trouver un large éventail de bactéries capables de fonctionner dans différents types de sols et avec différents mélanges d’engrais.
De fait, il s’agira pour l’équipe de recherche de développer « du NNRB avec des engrais organiques secs qui constitue un défi industriel, et dont la concrétisation rendra le travail des agriculteurs plus facile ».
Pour relever ce challenge, Professeur Bakken et son équipe essaie de mobiliser plus de chercheurs et de potentiels bailleurs. « Nous redoublons d’efforts, recrutons davantage de personnel et collaborons avec l’industrie des engrais », dit Bakken.
Vers une agriculture moins émettrice
La mise à l’échelle de cette méthode développée par cette équipe de chercheurs pourra permettre de réduire la part des émissions de GES issues du secteur de l’agriculture.
De fait, l’utilisation des engrais azotés industriels depuis plus d’un siècle pour augmenter la production agricole a également entraîné une hausse des émissions de gaz à effet de serre, spécifiquement le N₂O, en raison des micro-organismes présents dans le sol.
Ainsi, cette étude qui présente une preuve de concept démontrant la faisabilité de l’utilisation de la bactérie réductrice de nitrate-nitrite (NNRB) pour réduire les émissions provenant des terres agricoles, contribuera à réduire les émissions de GES issues de ce secteur selon Rodrigue Daassi, Chercheur en culture Intelligente chez Biopterre, un Centre de développement des bioproduits et Innovateur de nature basé au Canada et spécialiste en gestion durable de la fertilité des sols et de la fertilisation des cultures.
« C’est une excellente nouvelle pour le secteur agricole. Les émissions de N2O provenant des sols agricoles représentent une part importante des émissions totales de gaz à effet de serre dans le secteur agricole. Les méthodes actuelles de réduction des émissions, comme l’optimisation de la fertilisation azotée et l’utilisation d’inhibiteurs de nitrification, ont des limites. La bio-ingénierie des sols avec des bactéries spécifiques, comme décrit dans cette étude, offre une nouvelle avenue potentielle pour une réduction substantielle et durable des émissions de N2O. Cela pourrait non seulement aider à réduire l’impact environnemental de l’agriculture, mais aussi contribuer aux objectifs globaux de réduction des gaz à effet de serre », indique ce chercheur, associé également au laboratoire des sciences du sol de la Faculté des sciences agronomiques (FSA) de l’université d’Abomey-Calavi (Bénin).
De plus, la mise à l’échelle de cette méthode, pourra permettre de réduire l’utilisation d’engrais chimique, et ainsi augmenter le revenu des agriculteurs. « Il est également important de noter que cette technologie pourrait avoir des bénéfices économiques pour les agriculteurs. En réduisant les pertes d’azote sous forme de N2O, plus d’azote reste disponible pour les cultures, ce qui pourrait améliorer l’efficacité de l’utilisation des engrais et réduire les coûts », dit Daassi.
Ainsi pour tirer profit de cette méthode, ce chercheur Béninois, relève qu’« il est crucial de poursuivre les recherches pour comprendre pleinement les interactions complexes entre ces bactéries et les différents types de sols, ainsi que pour développer des stratégies optimales pour leur mise en œuvre à grande échelle ».
In fine, « l’acceptation et l’adoption de cette technologie par les agriculteurs seront essentielles pour maximiser ses avantages environnementaux et économiques », a-t-il ajouté. « Pour que cette méthode ait un impact global, il sera donc essentiel de développer des programmes de soutien et de formation pour les agriculteurs, ainsi que de mettre en place des systèmes de distribution abordables et accessibles pour ces technologies. Les efforts devront également se concentrer sur des solutions adaptées aux contextes locaux, en prenant en compte les spécificités des sols et des pratiques agricoles régionales. En travaillant en collaboration avec les communautés locales et les organisations agricoles, il sera possible de surmonter certains de ces défis et de promouvoir une adoption plus large de ces technologies innovantes. », préconise Daassi.
Image de bannière : La fertilité et la bonne santé des sols constituent un gage de bonne récolte pour les agriculteurs comme Rita Matias, une agricultrice du village de Long, qui a participé à la recherche sur les engrais du CIAT et du SARI (Selian Agricultural Research Institute) avec des agriculteurs à Babati, en Tanzanie. Ilage de CIAT/Stephanie Malyon via Flickr (CC BY-NC-SA 2.0).
Citation :
Hiis, E.G., Vick, S.H.W., Molstad, L. et al. (2024). Unlocking bacterial potential to reduce farmland N2O emissions. Nature, 630, 421–428. https://doi.org/10.1038/s41586-024-07464-3.
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