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À Madagascar, les mangroves renaissent, d’après des données relevées sur les 50 dernières années

Lalao Aigrette assure des formations sur le recensement des mangroves avec la participation des communautés côtières. Image de Lalao Aigrette pour Mongabay.

Lalao Aigrette assure des formations sur le recensement des mangroves avec la participation des communautés côtières. Image de Lalao Aigrette pour Mongabay.

  • Une analyse récente d’images satellitaires remontant aussi loin que 1972 révèle une reconstitution des mangroves à Madagascar après des années de déforestation.
  • La couverture totale des mangroves de l'île a diminué de 8 % par rapport à 1972, mais un examen plus approfondi des données indique un recul du taux de déforestation avec une tendance qui s'est même inversée au cours de la dernière décennie.
  • Entre 2009 et 2019, la superficie des forêts de mangroves a augmenté de 5 % à Madagascar, voire plus dans certaines zones protégées, prouvant ainsi le succès des efforts de conservation.
  • Les chercheurs soulignent toutefois que les mangroves restent menacées par les changements climatiques, la déforestation et l’exploitation minière, et rappellent l’importance d’une participation continue des communautés côtières pour permettre d’une part l’autonomisation de ces dernières, mais aussi la protection des mangroves locales dont elles dépendent.

Lalao Aigrette travaille à la protection des mangroves de son île natale, Madagascar, depuis plus de 16 ans. Ayant grandi à l’intérieur des terres, elle avait une vingtaine d’années lorsqu’elle a vu l’océan pour la première fois. Aujourd’hui, au sein du groupe environnemental malgache Bôndy, elle œuvre aux côtés des communautés côtières pour les aider à gérer l’écosystème des mangroves dont elles dépendent tant. « Les mangroves jouent un rôle crucial pour les communautés côtières à Madagascar, notamment pour assurer leurs moyens de subsistance », a-t-elle expliqué. Une récente étude confirme que le travail et les efforts acharnés de Lalao et d’autres personnes sont aujourd’hui récompensés.

Au cours des dernières décennies, les mangroves ont été mises à mal par la déforestation, la pollution, les changements climatiques et d’autres facteurs de stress. En 2007, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a estimé que le monde avait perdu environ 20 % de ses forêts de mangroves entre 1980 et 2005. Les mangroves de Madagascar ont été massivement détruites à cette époque, poussant le gouvernement et d’autres institutions à instaurer des mesures de protection.

Ces efforts commencent à porter leurs fruits. Une récente analyse d’images satellitaires, dont les plus anciennes datent de 1972, a été publiée dans Global Ecology and Conservation. L’étude révèle une reconstitution des mangroves de Madagascar et indique un ralentissement du taux de déforestation au fil des années, et même une augmentation de la superficie totale des mangroves depuis 10 ans. Si ces écosystèmes vitaux sont toujours confrontés à des défis, les experts indiquent que les résultats obtenus prouvent le succès des efforts de protection des mangroves à Madagascar.

Grâce à son ex-employée, Lalao Aigrette, et aux partenariats mis en place avec les communautés côtières, Blue Ventures a planté plus de neuf millions de palétuviers entre 2014 et 2022. Image de Lalao Aigrette pour Mongabay.
Grâce à son ex-employée, Lalao Aigrette, et aux partenariats mis en place avec les communautés côtières, Blue Ventures a planté plus de neuf millions de palétuviers entre 2014 et 2022. Image de Lalao Aigrette pour Mongabay.

« J’estime que c’est une réussite », a déclaré Temilola Fatoyinbo, une défenseuse des forêts et chercheuse au centre de vol spatial Goddard de la NASA dans le Maryland aux États-Unis, qui n’a pas participé à l’étude. « On a bien la preuve que ces aires protégées et ces efforts de conservation fonctionnent ».

Lalao Aigrette n’est pas la seule à se sentir chez elle dans les mangroves. Ces forêts côtières uniques constituent des réservoirs de biodiversité, abritant des espèces animales et végétales (dont les mangroves elles-mêmes) que l’on ne trouve nulle part ailleurs. Les palétuviers (arbres et arbustes des mangroves) se développent et prospèrent lorsqu’ils sont partiellement immergés dans l’eau salée. Au total, il existe environ 80 espèces de palétuviers, qui ne sont pas toutes étroitement apparentées.

Les forêts côtières de mangroves, situées dans les zones tropicales de la planète, occupent près de la moitié du littoral de l’île. Les arbres et l’écosystème créé par les mangroves représentent une ressource vitale pour les communautés côtières.

En effet, les mangroves constituent une zone tampon contre les tempêtes, servent de nourricières pour les poissons pêchés localement à l’aide de pièges et de pirogues et fournissent du bois utilisé pour la construction, la cuisine et la fabrication des pirogues.

Malgré leur importance, l’état général des mangroves malgaches est resté nébuleux pendant longtemps.

Les forêts côtières de mangroves, situées dans les zones tropicales de la planète, occupent près de la moitié du littoral à Madagascar. Image de Remi Bardou.
Les forêts côtières de mangroves, situées dans les zones tropicales de la planète, occupent près de la moitié du littoral à Madagascar. Image de Rémi Bardou.

« Les dégradations environnementales à Madagascar font couler beaucoup d’encre », a indiqué Rémi Bardou, biogéographe à l’Université du Michigan et auteur principal de la nouvelle étude, qui rappelle que nombre de personnes croient que la déforestation de l’île date de l’arrivée des premiers habitants, il y a environ 11 000 ans. Si le biogéographe souligne que ce mythe de la destruction généralisée est erroné, il est toutefois vrai que les humains ont commencé à couper le bois des mangroves il y a longtemps sur l’île. Les estimations de la superficie de forêt de mangroves restante varient toutefois considérablement – allant de 2 000 kilomètres carrés (km2), ou 772,2 milles carrés (mi2), à 3 000 km2 (1 158,3 mi2).

Rémi Bardou a commencé à cartographier les mangroves malgaches lors de son mémoire de maîtrise en France, lorsqu’il se concentrait uniquement sur la partie nord-ouest de l’île. En 2013, en se rendant sur place, il constate que « beaucoup de communautés côtières dépendent des mangroves » et « sont réellement impliquées dans leur entretien et leur protection ». « J’ai voulu savoir ce qui se passait réellement au niveau des dynamiques positives et négatives », a-t-il précisé.

Pour ce faire, Rémi Bardou s’est intéressé à l’imagerie satellite du programme Landsat de la NASA, qui a débuté en 1972 avec le lancement de Landsat 1. Le plus récent, Landsat 9, a été lancé en septembre 2021. La qualité des images Landsat s’étant améliorée au fil du temps, la comparaison des nouvelles images avec les anciennes peut être une tâche délicate, en particulier dans les zones tropicales où les terres sont souvent obscurcies par la couverture nuageuse.

La superficie totale des mangroves à Madagascar a augmenté de 5 % entre 2009 et 2019. En 2019, les mangroves couvraient 2 699 km2 (1 042,09 mi2) de l'île. Image de Rémi Bardou.
La superficie totale des mangroves à Madagascar a augmenté de 5 % entre 2009 et 2019. En 2019, les mangroves couvraient 2 699 km2 (1 042,09 mi2) de l’île. Image de Rémi Bardou.

Rémi Bardou a parcouru la base de données à la recherche d’images les plus claires possibles (pendant la saison sèche, entre mai et septembre). Il a finalement pu comparer des images datant de 1972, 1989, 1999, 2009 et 2019, ce qui lui a permis d’observer l’évolution de la superficie des mangroves de Madagascar sur près d’un demi-siècle.

« Il s’agit d’une période vraiment impressionnante », a déclaré la chercheuse de la NASA Temilola Fatoyinbo. « C’est formidable de pouvoir utiliser les archives Landsat sur une période aussi vaste ».

Une observation de l’ensemble de la période laisse entrevoir des résultats peu réjouissants et révèle une diminution de la couverture des mangroves d’environ 8 % entre 1972 et 2019 à Madagascar. Mais une analyse plus détaillée montre un ralentissement de la disparition des mangroves au fil du temps. En effet, entre 2009 et 2019, l’étude révèle même une augmentation de la couverture des mangroves de 5 %. En 2019, les mangroves couvraient une superficie de 2 699 km2 (1 042,09 mi2) à Madagascar.

« Il est vrai que les mangroves ont été fortement déboisées à Madagascar », a affirmé Bardou. « Mais depuis 2010, on note de plus en plus de dynamiques positives  ».

En outre, c’est à l’intérieur des aires protégées que les mangroves se sont le plus reconstituées, avec une augmentation de 8,7 %, contre 3 % seulement en dehors de celles-ci. Le réseau des aires protégées de Madagascar a été créé dans les années 1930 et a connu un nouvel élan dans les années 1980. Entre-temps, d’autres efforts de conservation menés par des organisations à but non lucratif ou des organisations communautaires ont vu le jour. Lalao Aigrette a indiqué que son ancienne organisation, Blue Ventures, avait replanté plus de 9 millions de mangroves entre 2014 et 2022.

Rémi Bardou a commencé à cartographier les mangroves malgaches alors qu'il travaillait sur son mémoire de maîtrise en France. En 2013, lors de son voyage à Madagascar, il constate que « de nombreuses communautés côtières dépendent des mangroves » et « sont réellement impliquées dans leur entretien et leur protection ». Image de Rémi Bardou.
Rémi Bardou a commencé à cartographier les mangroves malgaches alors qu’il travaillait sur son mémoire de maîtrise en France. En 2013, lors de son voyage à Madagascar, il constate que « de nombreuses communautés côtières dépendent des mangroves » et « sont réellement impliquées dans leur entretien et leur protection ». Image de Rémi Bardou.

Dans le district d’Ambanja, ville côtière du nord de Madagascar, 13 groupes communautaires se sont réunis pour donner naissance à la Fédération Miaramientagna, qui sensibilise au rôle crucial des mangroves et encourage l’utilisation de bois durable issu de plantations d’acacias bruns (Acacia mangium) comme combustible alternatif. La forte demande de charbon de bois, en particulier dans les zones urbaines du nord, constitue en effet l’une des plus grandes menaces pour les mangroves.

« Tout le monde n’a pas les moyens d’acheter du gaz pour cuisiner », explique Lalao Aigrette, et la préférence va au bois issu des mangroves pour la fabrication du charbon de bois.

Le gouvernement a interdit la récolte et la vente de bois issu des mangroves en 2014, mais l’application de la loi continue à faire défaut. Dans certaines régions, les communautés locales veillent elles-mêmes à son application, mais dans d’autres, le gouvernement fédéral manque de ressources financières et humaines pour protéger les mangroves, a déploré Lalao Aigrette.

La reconstitution des mangroves à Madagascar est en ligne avec les résultats obtenus dans d’autres régions du monde. En 2020, Temilola Fatoyinbo a coécrit une étude qui révèle que les pertes de superficie de mangroves dues aux activités humaines marquent un certain recul à l’échelle planétaire. La chercheuse explique que cela tient en partie au fait que les mangroves faciles d’accès ont déjà été détruites, et que « la prise de conscience et la perception de l’importance des écosystèmes de mangroves se sont considérablement accrues ».

Les forêts de mangroves, situées dans les zones tropicales de la planète, occupent près de la moitié du littoral malgache. Image de Rémi Bardou.
Les forêts de mangroves, situées dans les zones tropicales de la planète, occupent près de la moitié du littoral malgache. Image de Rémi Bardou.

À mesure que les efforts de protection des mangroves se poursuivent, Temilola Fatoyinbo s’attend à ce que les palétuviers qui prospèrent dans les eaux salées continuent de se développer le long du littoral des pays tropicaux.

S’il reste encore du chemin à parcourir pour garantir la préservation des mangroves de Madagascar et les protéger d’autres menaces – notamment de l’exploitation minière, du développement des stations balnéaires et des tempêtes violentes – de plus en plus fréquentes en raison des changements climatiques, les nouveaux résultats mettent l’accent sur les progrès accomplis grâce à des efforts de conservation concertés, en partenariat avec les communautés côtières.

Lalao Aigrette rappelle qu’« il est essentiel d’autonomiser les communautés locales et de leur donner les moyens de garantir leurs droits sur la gestion des mangroves » pour la protection des arbres eux-mêmes, mais aussi pour préserver le secteur de la pêche. « Car leur vie dépend de la survie des mangroves ».

Reconstitution des mangroves depuis 1972.
Reconstitution des mangroves depuis 1972.
Reconstitution des mangroves depuis 1972.
Reconstitution des mangroves depuis 1972.

Image de bannière: Lalao Aigrette assure des formations sur le recensement des mangroves avec la participation des communautés côtières. Image de Lalao Aigrette pour Mongabay.

Citations:

Bardou, R., Friess, D. A., Gillespie, T. W., & Cavanaugh, K. C. (2024). Assessing mangrove cover change in Madagascar (1972 to 2019): Widespread mangrove deforestation is slowing down. Global Ecology and Conservation, e03022. doi:10,1016/j.gecco.2024.e03022.

Rasolofo, M. V. (1997). Use of mangroves by traditional fishermen in Madagascar. Mangroves and Salt Marshes. Retrieved from https://link.springer.com/article/10.1023/A:1009923022474.

Goldberg, L., Lagomasino, D., Thomas, N., & Fatoyinbo, T. (2020). Global declines in human‐driven mangrove loss. Global Change Biology, 26(10), 5844-5855. doi:10.1111/gcb.15275.

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Cet article a été publié initialement ici par l’équipe de Mongabay Global le 14 août 2024. 

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