- Interviewée par Mongabay, Rosalie Matondo, Ministre de l’économie forestière de la République du Congo, confie les défis rencontrés par son pays.
- Le Congo subit les effets du changement climatique à travers des événements météorologiques extrêmes, des pluies diluviennes qui causent des inondations et des érosions;
- La Ministre aborde les trois types de crédits carbone que son pays souhaite mettre sur le marché carbone;
Dans un entretien à Mongabay, Rosalie Matondo, Ministre de l’économie forestière de la République du Congo confie que face aux effets du changement climatique, son pays s’engage à un programme d’afforestation et de reboisement pour mettre en place des plantations à grande échelle.
Mongabay : Quels sont les défis actuels auxquels est confrontée la République du Congo ?
Rosalie Matondo : Le Congo subit de plein fouet les effets du changement climatique à travers des événements météorologiques extrêmes, des pluies diluviennes, qui causent des inondations, des érosions, et nos populations sont très touchées par cela. Les résolutions, que nous prenons au niveau international, doivent impacter nos vies, parce qu’il faut lutter ensemble contre le changement climatique. Seul, on ne peut rien faire. C’est pourquoi, nous avons besoin de cette coopération multilatérale pour des échanges d’expériences, des échanges de pratiques, et aussi pourquoi pas, pour des contributions financières dont nos pays ont besoin.
Mongabay : Fin 2023, des pluies extrêmes ont généré des inondations. Au Congo, face au nombre de de sinistrés estimé à 1,8 millions, le gouvernement a décrété l’état d’urgence. Quels types de mesures mettez-vous en place pour protéger la population ?
Rosalie Matondo : Écoutez ! C’est très difficile, parce qu’on avait pensé à déplacer les populations dans les zones de terres fermes, mais ces populations ne veulent pas. C’est leur habitat originel ; ça nous pose énormément de problèmes. Imaginez-vous des enfants qui ne peuvent pas aller à l’école du fait que les écoles sont inondées, imaginez-vous cela. Le gouvernement a pris la résolution, avec la banque congolaise de l’habitat, de repenser les modèles de nos villes à travers les villes vertes et résilientes, c’est-à-dire qu’il faut un aménagement du territoire, et nous y travaillons avec Monsieur le Ministre en charge de l’Aménagement du Territoire, afin de proposer des villes futures résilientes aux effets du changement climatique. Ces villes doivent être à côté des forêts plantées, et là aussi, le Congo a une longue expérience des plantations forestières datant de plus de 50 ans, et donc nous avons créé des réserves foncières de l’Etat ou nous avons de l’eau de forêt artificielle, planté 2000 hectares et à côté de ces forêts créées des villes résilientes. Mais notre ministère travaille aussi depuis des années sur la végétalisation des zones sensibles. Nous travaillons sur les berges du fleuve Congo, zones sensibles, nous travaillons pour stabiliser les têtes d’érosion dans certaines de nos villes, parce que les populations vivent la catastrophe ; il y a des vies humaines, des maisons qui tombent dans les ravins.
Mongabay : Est-ce que, jusqu’à présent, ça serait fructueux ?
Rosalie Matondo : Écoutez ! Il faut y croire et faire de petits pas. On ne peut pas dire que nous avons eu gain de cause à travers les conférences ou les fora auxquels nous assistons, mais je crois que le plaidoyer paie toujours. Et vous avez vu que, lors de la COP 27 on avait lancé un fonds sur les pertes et dommages. Et donc ce fonds va aider à soutenir les pays qui ont des impacts pour l’adaptation des effets liés au changement climatique.
A la COP 28, on a insisté pour que ce fonds-là soit disponible. Il y a des pays qui ont déjà apporté leur contribution à ce fonds. Donc, il faut y croire et faire de petits pas. Le Congo par exemple, a lancé le country package, avec en tête la France pour le Congo, et puis l’Union Européenne qui a soutenu l’initiative. Il y a des organisations comme la Fondation des OS qui a apporté sa contribution, il y a l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) qui a apporté sa contribution. C’est pourquoi je dis qu’il faut y croire et faire de petits pas dans cette lutte contre le changement climatique. Pour le Congo, la rencontre de l’Assemblée des Nations Unies pour l’Environnement (l’UNEA) est le cadre approprié pour faire d’abord connaître ce que le Congo fait en termes de gestion durable de nos écosystèmes forestiers. N’oubliez pas que le Congo est un pays forestier à 69 % et que nous avons commencé des programmes de gestion durable de nos forêts depuis plus de 20 ans.
Mongabay : Qu’est-ce que la République du Congo propose pour lutter contre le changement climatique ?
Rosalie Matondo : Les forêts naturelles et les forêts plantées sont véritablement des solutions, que nous pouvons adopter pour la lutte contre le changement climatique, pour des sources de revenus, pas seulement pour les États, parce que quand on crée des puits de carbone, on peut être sur le marché de carbone, mais aussi pour les communautés, le paiement pour services environnementaux peut permettre de lutter contre la pauvreté.
Les plantations et les forêts naturelles sont de véritables solutions pour lutter contre le changement climatique, parce que ça permet de séquestrer le carbone, qui nous fait tant de mal, qui fait que la température est aujourd’hui élevée dans nos contrées. Les évènements climatiques, nous les vivons déjà dans tous les pays. De toutes les façons, nous savons que l’Afrique est vulnérable, qu’elle n’a pas été la cause des émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère . Mon pays vit des effets des inondations, des zones entières ou les enfants ne peuvent pas aller à l’école, où les familles et les communautés ne peuvent pas aller au champ parce que tout est inondé. Nous voulons réellement que les outils financés mis en place au niveau international puissent atteindre nos pays pour que nous créons des villes vertes résilientes où les populations peuvent vivre en sécurité.
Mongabay : Un an après le sommet des trois bassins du Congo, vous avez organisé une autre réunion internationale sur l’afforestation. Quels sont les sujets discutés au cours de cette rencontre ?
Rosalie Matondo : Pour le Congo, l’idée est que chaque pays adopte à un programme d’afforestation et de reboisement pour mettre en place des plantations à grande échelle, des plantations pour les communautés locales. N’oubliez pas surtout que le bois-énergie est la source d’énergie domestique en Afrique et donc que les gens prélèvent ce bois-là en forêt ; c’est une cause de la déforestation. Si nous voulons lutter contre cette cause , il faut créer des plantations pour alimenter les grandes villes en bois énergie. N’oublions pas aussi qu’en Afrique, par exemple, nous faisons de l’agriculture itinérante sur brûlis. Donc, il faut proposer des initiatives ou des itinéraires techniques agricoles, d’agroforesterie ou un mélange d’arbres et les cultures vivrières ou l’élevage.
Nous pensons que c’est une véritable solution que nous pouvons proposer au monde. Ce n’est vraiment pas quelque chose de nouveau ; nous le faisons, mais nous voulons un cadre de concertation qui nous permet d’adopter une stratégie mondiale que chaque pays va décliner en plan d’action nationale.
Mongabay : Quelle est la stratégie du Congo en matière de plantation d’arbres ?
Rosalie Matondo : Nous pouvons créer un écosystème forestier à travers les plantations, les produits qu’on prend en forêt naturelle ; nous pouvons domestiquer ces produits en plantant. C’est une source renouvelable. La plantation d’arbre, c’est ce qu’on voulait vraiment faire par la sensibilisation à tous les niveaux. Que les politiques comprennent, que les scientifiques nous apportent leur connaissance, que la population autochtone aussi comprenne qu’on veut tirer un grand bénéfice de la plantation d’ arbres, parce que la densité à la plantation est plus élevée et nous pouvons produire des produits plus densément en forêt naturelle où il y a de Principes de gestion durable qui nous empêche de déforester, qui nous empêche de couper à grande échelle les arbres.
Mongabay : Est – ce que les peuples autochtones sont inclus dans cette stratégie ?
Rosalie Matondo : C’est obligatoire, surtout dans nos pays forestiers. Vous le savez bien, les peuples autochtones sont des peuples qui vivent depuis des millénaires dans des zones forestières et qui vivent de ces forêts. La forêt est considérée comme leur garde-manger, et donc nous devons les mettre ensemble avec nous, les impliquer. C’est incompréhensible pour une population autochtone de leur dire qu’il faut planter des arbres, parce qu’ils vivent déjà dans cet environnement de forêt. Mais nous leur disons aujourd’hui que ce sont les grandes villes qui ont besoin des ressources qui viennent de ces forêts. Si nous ne mettons pas l’alternative de plantation, nous allons perdre la superficie de forêt. Donc, les peuples autochtones doivent le comprendre, elles doivent nous accompagner pour que l’arbre qui était originellement en forêt, aujourd’hui nous pouvons le planter.
Mongabay : Le Congo s’est lancé dans le marché des crédits carbone. Qu’est-ce que cela rapporte au pays ?
Rosalie Matondo : Exactement. Nous avons trois types de crédits carbone à mettre sur le marché carbone. Le premier crédit que nous avons mis sur le marché carbone concerne effectivement le fait que le Congo a adopté l’aménagement forestier avec une exploitation à faible impact. Dans nos concessions forestières, le plan d’aménagement exige qu’uniquement 1 à 3 arbres soit exploité à l’hectare. Et ça, c’est un effort, c’est-à-dire que le concessionnaire, l’exploitant forestier, ne rentre pas pour couper les arbres qu’il veut couper en forêt. Non. Il suit un plan d’aménagement qui lui exige qu’on exploite 1 à 3 arbres à l’hectare. Donc, cet effort-là est compensé par les crédits carbone et ce sont les premiers crédits carbone que le Congo a vendu à la Banque Mondiale. Nous avons fait cela dans le cadre du mécanisme REDD+ et nous aujourd’hui nous avons le premier paiement de ces crédits Carbone.
Il y a le fait que le Congo a aujourd’hui près de 27% de son territoire affecté à la conservation de la biodiversité. Dans ce cadre, le pays a décidé qu’on ne coupe pas les crédits carbone forestier des zones inondées. Cela permet de vendre soit la séquestration de carbone (puits de carbone, forêt naturelle) ou tout simplement on peut vendre les crédits carbone biodiversité.
Troisième type de carbone, c’est le carbone des zones de haute valeur de biodiversité. Aujourd’hui, le Congo a signé des conventions avec certains partenaires comme le Centre de Recherche Forestière Internationale (CIFOR), et nous espérons y arriver pour la vente des crédits carbone des zones à haute valeur de biodiversité.
Mongabay : Quelles sont les difficultés que le Congo rencontre dans ce marché de carbone?
Rosalie Matondo : C’est un marché virtuel où les mécanismes sont difficiles à identifier ; les mécanismes sont lents. Même si le pays a signé des conventions avec des partenaires, jusqu’à présent , nous n’avons pas déterminé les méthodologies adoptées pour les crédits carbone biodiversité.
Le marché carbone est encore difficile surtout en Afrique où on voit que les crédits carbone ne nous parviennent pas facilement. Nous avons les zones de tourbière, le Congo a à peu près 6 millions d’hectares de zones de tourbière. Par exemple, le pays dispose de zones forestières inondées où il y a une accumulation de litière, on peut valoriser ce carbone qui s’est accumulé depuis des siècles et des millénaires.
Mais la problématique à ce niveau est comment concilier le développement avec ces politiques de gestion durable des écosystèmes ou de préservation des écosystèmes? Vous avez été au Congo, vous voyez que les pays africains en général, le Congo en particulier, ont besoin de développement. Et pour se développer, on a besoin des ressources naturelles. Tous les pays l’ont fait ; nous, nous sommes à l’orée de développement de nos pays ; nous le voulons de tout notre cœur. Maintenant, comment concilier la conservation des écosystèmes avec les politiques de développement, de lutte contre la pauvreté pour les populations qui vivent dans ces zones?.
Cependant, s’agissant de la zone de tourbiere où la Ministre a affirmé que la république du Congo dispose d’à peu près 6 millions d’hectares des zones , nous avons trouvé que, depuis 2014, une ‘équipe de scientifiques, composée de chercheurs de l’Université de Leeds, la Wildlife Conservation Society-Congo et de l’Université du Congo-Brazzaville Marien Ngouabi, a estimé que la tourbière découverte au Congo Brazzaville couvre entre 100.000 et 200.000 kilomètres carrés, et pourrait contenir des milliards de tonnes de végétation partiellement décomposée.
Pour le bassin du Congo central, dans une nouvelle étude publiée dans Nature Geoscience, une équipe internationale de chercheurs a mis en évidence de vastes tourbières dans le centre du bassin du Congo, couvrant 16,7 millions d’hectares, soit plus de cinq fois la superficie de la Belgique. Par endroits, la tourbe peut atteindre 6,5 mètres de profondeur.
Mongabay : Est-ce que vous avez mis en place un mécanisme de compensation ou de valorisation des ressources naturelles ?
Rosalie Matondo : C’est là toute la question du partage du bénéfice, quand il s’agit des crédits carbone. Très souvent, on refuse de le faire, parce que ceux qui viennent nous proposer ce marché carbone nous exigent un plan de partage de bénéfice. Seulement, nos pays ne gagnent que 15% ou 20%. C’est énorme. Donc, cette justice du financement à l’international, nous la voulons. Nous voulons qu’il soit justice dans la répartition de ces financements au niveau de tous les continents. On ne peut pas accepter que, tout le temps, l’Afrique reste à 1%, 2% des financements qui parviennent dans les pays.
Mongabay : Certes, vous avez une belle initiative forestière, mais est ce qu’il y a un dispositif de contrôle et de suivi de ce que les partenaires au développement ont promis à votre pays ?
Rosalie Matondo : Quand un pays s’est résolu à affecter 1 milliard 300 mille hectares pour la conservation, ce n’est pas de la blague. Ça veut dire que nous avons laissé de côté ce qu’on pouvait exploiter dans ces surfaces-là. C’est des zones forestières, c’est une forêt dense. On pouvait se dire qu’on peut couper le bois et cela va nous donner des ressources, mais on a affecté ces surfaces à la conservation de la biodiversité. Donc, c’est un grand engagement ; on ne vient pas dans les fora et les conférences pour tromper le monde. Mais non… On n’a pas besoin de cela. C’est volontaire, les politiques que nous menons sont volontaristes et nous voulons que les gens viennent voir réellement de quoi il s’agit. Mais, en même temps, quand ils vont voir la réalité du terrain ; il faut qu’ils voient aussi l’autre face de la pièce, c’est-à-dire les populations. Qu’est-ce que nous donnons à ces populations qui vivent à travers ces politiques de conservation ? Quelle compensation pouvons-nous avoir à dire à nos peuples, oui, il faut conserver, parce que vous aurez le bénéfice ?
Image de banniére : Un agriculteur s’est réveillé pour trouver sa ferme inondée en octobre 2022. Certains parties de l’Afrique vivent un “fouet climatique” avec des périodes successives de conditions météorologiques extrêmes telles que la sécheresse et les inondations. Image par Sadiq Mustapha via Wikimedia Commons (CC BY-SA 4.0).