- Depuis des années, des organisations de défense des droits humains accusent l’UNESCO d’être indifférente ou complice d’expulsions illégales de communautés et d’allégations de torture, de viol et de meurtre sur plusieurs sites du patrimoine mondial.
- Ces sites comprennent des hauts lieux de la biodiversité en Afrique, notamment la zone de conservation de Ngorongoro en Tanzanie et le Parc national d’Odzala-Kokoua en République du Congo.
- Même si l’UNESCO ne participe pas activement à ces violations des droits humains, des organisations disent que plusieurs aspects de ses politiques et de sa structure permettent des violations : une absence de mécanismes solides destinés à faire respecter les obligations en matière de droits humains, ses demandes faites aux pays de contrôler la croissance des populations dans les sites patrimoniaux et la politique interne de l’agence.
- L’UNESCO conteste fermement les accusations portées contre la Convention et le Comité du patrimoine mondial, qui ont pris des engagements plus forts en faveur des droits humains, disant que de telles institutions multilatérales sont, en fait, les meilleurs alliés pour défendre les droits humains.
Depuis des siècles, les Massaïs vivant dans la zone de conservation de Ngorongoro se déplaçent en grande partie librement sur les vastes étendues de savane à la recherche d’eau et de pâturages, sans aucune restriction. Mais, en 1979, quand l’UNESCO est entrée en scène, beaucoup de choses ont changé.
Notamment, la mise en place de nouvelles réglementations relatives à l’utilisation des terres, qui ont eu « des effets conséquents sur les habitudes de pâturage » et ont « anéanti » leurs modes de vie, a dit Andrew Simon Msami, Directeur des programmes de l’organisation de défenses des droits humains tanzanienne PINGO’s Forum. Il a dit à Mongabay que les Massaïs n’ont pas été inclus dans les décisions en matière de gouvernance et de développement qui touchaient leurs droits et que depuis, plusieurs tentatives visant à les expulser avaient été faites, malgré une « résistance déterminée » des communautés.
Selon un rapport de l’organisation de défense des droits des peuples autochtones Survival International, l’UNESCO a soutenu l’expulsion illégale et les mauvais traitements de populations autochtones dans de nombreux sites du patrimoine mondial, y compris la zone de conservation de Ngorongoro et le Parc national d’Odzala-Kokoua National en République du Congo. Cette ONG et d’autres organisations de défense des droits humains affirment que l’agence des Nations unies a attribué à de nouveaux parcs le statut admiré de patrimoine mondial, malgré la connaissance de cas répétés de torture, de viol et de meurtre par des gardes de parc. Elles expliquent que les raisons de ces attributions discutées incluent une absence de mécanismes prévus à l’UNESCO pour faire respecter les obligations en matière de droits humains, ses demandes faites aux pays de contrôler la croissance des populations dans les sites patrimoniaux et la politique interne de l’agence.
« L’UNESCO ne prend pas un bâton pour battre et expulser les populations autochtones elle-même », Fiore Longo, Responsable principal du plaidoyer et de la recherche à Survival International, a dit à Mongabay. « Cependant, notre rapport montre que l’UNESCO encourage les autorités à suivre une “approche forteresse” de la conservation afin de “protéger” les sites du patrimoine mondial de “l’empiétement humain” ».
Un porte-parole de l’UNESCO a dit à Mongabay que l’agence conteste fermement les accusations portées par ces organisations à l’encontre de la Convention du patrimoine mondial. Les structures multilatérales comme la Convention du patrimoine mondial ne sont pas la cause des problèmes, a écrit le porte-parole dans un courriel. « Bien au contraire, elles constituent les meilleurs alliés pour défendre, mettre en lumière, surveiller et faire effectivement avancer les droits des populations autochtones ».
L’approbation de l’agence des Nations unies constitue une incitation pour de nombreux pays, car elle apporte un prestige international et du soutien, attire les touristes et les sources de financement. Le Fonds du patrimoine mondial donne aux États jusqu’à 3 millions de dollars par an, pour la conservation et la protection des sites du patrimoine mondial, ce qui n’est pas négligeable, étant donné que de nombreux pays du Sud global reçoivent peu d’aide internationale ou de financement pour la biodiversité et le climat.
« La valeur de cette inscription n’est pas sans importance pour de nombreux pays », John Knox, ancien rapporteur spécial des Nations unies sur les droits humains et l’environnement, a dit à Mongabay. « Elle est prestigieuse. Les gens sont plus susceptibles de visiter un parc s’il est inscrit sur la liste des sites du patrimoine mondial. Ce que dit le Comité du patrimoine mondial sur ces sites est important ».
Rosalie Matondo, ministre de l’Économie forestière du Développement durable et de l’Environnement de la République du Congo, a dit la même chose. Si la communauté internationale reconnaît un site comme le Parc national d’Odzala-Kokoua, a-t-elle dit à Mongabay, cela rassure les touristes et ceux qui veulent aider le bassin du Congo et continuer à préserver le site du patrimoine.
Cependant, le rôle que l’inscription joue dans le soutien et l’élaboration de projets de développement durable pour les populations locales est disputé. Depuis 2012, 5 % des revenus du parc auraient été versés dans un fond communautaire destiné à soutenir des projets locaux. Mais, d’après Trésor Nzila, Directeur général du Centre d’action pour le développement, « les communautés affirment qu’elles ne voient pas cet argent et qu’elles ne savent pas à quoi il sert ».
Des encouragements sans mesures coercitives
L’UNESCO a la responsabilité de veiller à ce que les sites du patrimoine mondial restent protégés. Toutefois, comme Stefan Disko, un conseiller pour le patrimoine mondial auprès du Groupe de travail international pour les affaires autochtones (IWGIA), l’a expliqué, il appartient à chaque État de faire respecter les valeurs inscrites dans la Constitution de l’agence. Sa politique et ses directives opérationnelles ne contiennent aucun dispositif solide pour pénaliser les États parties qui ne respectent pas les droits, les cultures et les valeurs des populations autochtones dans les sites du patrimoine mondial.
Depuis septembre 2023, l’UNESCO a demandé aux États membres d’obtenir le consentement préalable, libre et éclairé des populations autochtones vivant à l’intérieur des aires protégées. Ceci est conforme aux Directives opérationnelles de la Convention du patrimoine mondial et à la Déclaration des Nations unies sur les droits des Peuples autochtones, à laquelle toutes les agences des Nations unies ont une obligation particulière à adhérer. Mais, d’après l’analyse réalisée par Survival International des documents du gouvernement congolais soumis à l’UNESCO, bien que le gouvernement n’ait pas obtenu le consentement des peuples Baka dans le Parc national d’Odzala, il a tout de même reçu le statut de patrimoine mondial du Comité du patrimoine mondial en septembre dernier.
Nzila a également déclaré à Mongabay qu’il n’y avait pas eu de consultation. « Nous avons dénoncé cette absence de consultation à cette occasion et demandé que le statut ne soit pas accordé », a-t-il dit. Au moment où le parc a été ajouté à la liste, une violence généralisée contre les populations Baka perpétrée par les gardes du parc avait également été bien documentée depuis des années, et incluait des cas de torture et d’agression sexuelle.
Mais Matondo a nié toutes ces allégations. Elle a également dit à Mongabay que Survival International avait payé des membres de la communauté pour dire cela, ce que l’organisation nie.
« Bien sûr que nous avons consulté les populations », a dit Matondo à Mongabay lors d’un appel vidéo. « La consultation était une des conditions sur la liste des critères pour devenir un site du patrimoine. Cela faisait partie de l’ensemble de conditions que nous devions remplir pour que le parc soit intégré et reconnu comme un site du patrimoine mondial. … Si ces conditions n’avaient pas été satisfaites, cela n’aurait pas été possible ».
Elle a déclaré que le gouvernement avait mené une enquête sur ces mauvais traitements avec des consultants indépendants, qui avait conclu que les allégations étaient fausses. Matondo a refusé de divulguer des détails de son enquête à Mongabay. African Parks effectue encore sa propre enquête sur ces allégations.
Une pression pour contrôler la croissance des populations ?
L’UNESCO a dit à Mongabay que la protection des sites du patrimoine mondial doit être mise en œuvre parallèlement à des améliorations des conditions de vie et des moyens de subsistance des communautés locales. Cela doit impliquer un engagement avec elles et en aucun cas être une contrainte dans leur vie quotidienne.
Toutefois, les organisations de défense des droits humains énumèrent plusieurs cas où l’agence a encouragé ou soutenu l’expulsion illégale de communautés de leurs territoires ancestraux au nom de la conservation. L’Oakland Institute, par exemple, dit que l’agence a joué un rôle dans l’expulsion des Massaïs dans la zone de conservation de Ngorongoro en Tanzanie.
En juin 2019, l’UNESCO et ses organes consultatifs ont publié un rapport de mission commun qui indiquait que « la zone de conservation de Ngorongoro doit d’urgence mettre en œuvre des politiques strictes pour contrôler la croissance des populations et son impact ultérieur sur la VUE [valeur universelle exceptionnelle] ». Bien qu’ils aient souligné la nécessité d’équilibrer les besoins des Massaïs avec la conservation, ils ont dit qu’une population plus nombreuse entraîne une augmentation des infrastructures construites, des conflits entre l’humain et l’animal et des conflits fonciers. La mission appelait le gouvernement tanzanien à terminer l’examen de son modèle d’occupation des sols et recommandait la poursuite de la « réinstallation volontaire des communautés » en conformité avec les normes internationales et de la planification familiale pour « réduire [la] population d’ici à 2028 ».
D’après l’Oakland Institute, le gouvernement tanzanien a donc proposé un nouveau modèle d’occupation des sols et un programme de réinstallation qui menacent d’expulsion des dizaines de milliers de Massaïs.
Un porte-parole du Centre du patrimoine mondial de l’UNESCO a dit à Mongabay que l’agence « n’avait, à aucun moment, demandé le déplacement des communautés locales ». Il a ajouté qu’en septembre 2023, elle a adopté une décision qui exprimait sa profonde préoccupation au sujet des violations présumées des droits humains dans la propriété et à ses alentours » et avait réitéré « sa condamnation sans équivoque des expulsions forcées ».
Longo a dit que le classement par l’UNESCO est devenu un moyen de promouvoir l’idée que les populations locales nuisent à l’environnement et que les experts devraient être responsables de la gestion et de la protection des terres, et que donc, pour obtenir ce statut, des « actes oppressifs et parfois violents des gouvernements nationaux contre les communautés locales » sont perpétrés. Les Massaïs de la zone de conservation de Ngorongoro, par exemple, ont été traités en criminels, torturés et battus par le gouvernement tanzanien, d’après le rapport de Survival International.
« Le soutien de l’UNESCO est utilisé pour nous expulser », a dit un chef Massaï, dont le nom n’était pas cité dans le rapport de Survival International pour des raisons de sécurité. « Nous sommes très malades et abasourdis, nous ne savons pas quand nous mourrons ».
D’après Survival International, les Massaïs ont signalé ses problèmes à divers organes de l’ONU, y compris l’UNESCO, et ont demandé une enquête sur les expulsions, les violations des droits humains et le harcèlement. Toutefois, lorsqu’une mission de surveillance a finalement eu lieu en février 2024, les représentants des Massaïs n’en ont pas été informés et l’UNESCO a uniquement parlé à des intervenants nommés par le gouvernement, a déclaré PINGO’s Forum dans un communiqué de presse.
La politique
Disko de l’IWGIA a dit à Mongabay qu’il est important de faire la distinction entre l’UNESCO, l’agence des Nations unies qui est responsable de rédiger des propositions de sites ou de nouvelles directives, et le Comité intergouvernemental de la protection du patrimoine mondial culturel et naturel de valeur universelle exceptionnelle, également appelé Comité du patrimoine mondial, qui est constitué de 21 représentants des États parties.
Les propositions sont basées sur des informations fournies par les organes consultatifs de l’UNESCO : le Conseil international des monuments et des sites, l’UICN et le Centre international d’études pour la conservation et la restauration des biens culturels. Le Comité du patrimoine mondial se réunit une fois par an pour prendre des décisions en fonction de leurs conclusions.
« C’est toujours le Comité [du patrimoine mondial] qui prend la décision définitive de l’approbation d’un site », a dit Disko. « Théoriquement [le Comité] devrait suivre les conseils des experts, parce qu’ils ont visité le lieu, ils ont vu la situation sur le terrain et ils peuvent dire si le site ne respecte pas les critères ».
Toutefois, il a dit que la plupart du temps, « c’est très politique ». « Il y a beaucoup de marchandage autour des intérêts politiques et des intérêts économiques des États, et le comité ignore, la plupart du temps, les recommandations des organes consultatifs pour des raisons politiques ».
Des recherches ont montré que le processus de sélection des sites du patrimoine est poussé par la politisation, alors que les inscriptions de nouveaux sites sont marquées, dans certains cas, par un lobbying agressif, des manœuvres politiques et des transactions. Au cours de la 44e session du comité du patrimoine mondial le 26 juillet 2021, un porte-parole du Forum international des peuples autochtones sur le patrimoine mondial, a fait remarquer que cette culture de prise de décisions « affaiblit fortement la crédibilité de la convention et de l’UNESCO, et l’efficacité des stratégies de protection ».
Pis encore, Disko a expliqué qu’en règle générale, les nominations ne sont pas publiées au préalable, ce qui veut dire que les populations autochtones ne peuvent pas examiner ce qui est dit dans ces réunions à propos de leurs territoires avant qu’une décision soit prise. Il n’y a aucune transparence, a-t-il dit à Mongabay. La société civile, par exemple, ne peut pas avoir accès à ces fichiers et contester les informations qu’ils contiennent.
Lorsqu’une violation des droits humains est signalée à l’UNESCO, selon les protocoles de l’agence des Nations unies, il est prévu qu’elle renvoie l’affaire à l’État membre concerné. Les États parties tenus de soumettre régulièrement des informations à l’UNESCO, ce qui permettra ensuite, par l’intermédiaire de rapports sur l’état de conservation (SOC) créés par les États, au Comité du patrimoine mondial d’évaluer une situation et de décider des mesures nécessaires pour résoudre les problèmes actuels.
Une de ces mesures peut être l’inscription d’un site sur la liste du patrimoine mondial en péril. Toutefois, d’après les organisations de défense des droits humains, l’UNESCO a souvent fermé les yeux sur ces violations et n’a ainsi pas observé ses directives, plutôt que de retirer de la liste du patrimoine mondial un site dans lequel les droits, territoires et moyens de subsistance des populations autochtones ne sont pas respectés.
Disko a précisé qu’il pense que le retrait de ces sites de la liste n’est « pas vraiment raisonnable », car cela « va à l’encontre de la logique de toute la convention », qui est censée fournir un niveau supplémentaire de protection à ces sites.
« Ce n’est pas dans l’esprit de la convention », a-t-il dit. « C’est seulement que le tourisme, l’argent et tous ces intérêts financiers ont pris le dessus et, dans de nombreux cas, ils ont perdu de vu l’objectif original ».
Même si l’UNESCO n’a pas le pouvoir d’arrêter ou de poursuivre en justice ceux qui violent des droits humains, « elle régit son propre processus », a dit Knox, « qui inclut non seulement l’inscription, mais aussi le fait d’établir des rapports sur un site, après son inscription au patrimoine et d’évaluer la situation et de dire si le site respecte les critères du patrimoine mondial ».
« Je ne veux pas laisser entendre que le Comité du patrimoine mondial est d’une certaine façon complice à chaque fois qu’il y a un problème de violation des droits humains dans un parc national ou une aire protégée, même si c’est un lieu inscrit au patrimoine mondial », a ajouté Knox. « Mais historiquement, il n’a porté aucune attention aux questions de droits humains dont nous parlons ».
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Image de bannière : Une communauté Massaï dans la zone de conservation de Ngorongoro. Image de Omar Gurnah via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).