- Une étude de 2024 révèle l'impact des cendres volcaniques sur les sargasses, ces algues brunes flottantes de l'Atlantique tropical, éclairant la dynamique de ces écosystèmes marins.
- La composition stable des sargasses en 2021, dominée par Sargassum fluitans III, une des trois espèces principales de sargasses holopélagiques (algues passant tout leur cycle de vie en pleine mer sans jamais s'attacher au fond), est cruciale pour leur valorisation à long terme.
- L'exposition aux cendres volcaniques a modifié la composition élémentaire des sargasses, soulignant l'importance des événements environnementaux dans leur évaluation.
- Cette recherche interdisciplinaire souligne la nécessité des efforts continus pour comprendre, prévoir et valoriser les sargasses face au changement climatique.
L’année 2021 a marqué une décennie d’échouages massifs de sargasses holopélagiques sur les côtes des Caraïbes et de l’Afrique de l’Ouest. Ces algues brunes flottantes, jadis confinées à la mer des Sargasses, située dans l’océan Atlantique nord, sont devenues un phénomène récurrent et préoccupant pour les régions tropicales de l’Atlantique. Une étude, publiée le 28 mai 2024 dans la prestigieuse revue américaine PNAS, jette un nouvel éclairage sur ce phénomène complexe, en explorant les changements de composition de la biomasse des sargasses au cours d’une année particulièrement mouvementée.
Bien qu’elle n’ait pas participé à cette recherche, Émilie Eveque, Ingénieure en recherche et développement en biologie marine au sein de Lineup Ocean (une startup française qui accompagne et prépare les collectivités littorales et leurs habitants à la résilience côtière), interrogée par courriel par Mongabay, souligne les trois objectifs principaux de cette étude : examiner les potentiels changements saisonniers dans la biochimie des sargasses, évaluer l’impact du traitement des algues sur la matière première et analyser la composition des sargasses en contact avec les cendres volcaniques.
Carla Botelho Machado et Robert Marsh, chercheurs principaux de cette étude, mettent en lumière l’ampleur du problème. Ils indiquent que «depuis 2011, les pays des Caraïbes et d’Afrique de l’Ouest ont été affectés par des millions de tonnes d’échouages de sargasses, impactant les écosystèmes côtiers, les économies et la santé humaine ». Cette observation révèle l’urgence à comprendre et à gérer ce phénomène aux multiples facettes, notamment écologiques (impact sur les écosystèmes marins et côtiers), économiques (effets sur le tourisme et la pêche), sanitaires (dégagement de gaz toxiques lors de la décomposition), sociales (perturbation des activités côtières) et scientifiques (compréhension de la dynamique de croissance et de propagation des algues).
L’étude se distingue par son approche interdisciplinaire, combinant des techniques de télédétection, de modélisation océanique, d’analyses biochimiques et d’observations sur le terrain. Cette méthodologie a permis aux chercheurs d’examiner, non seulement les variations saisonnières dans la composition des sargasses, mais aussi l’impact potentiel d’un événement géologique majeur : l’éruption en avril 2021 du volcan La Soufrière à Saint-Vincent, une île de la mer des Caraïbes.
L’un des résultats les plus intrigants de cette recherche concerne l’interaction entre les sargasses et les cendres volcaniques. Les auteurs avancent l’hypothèse fascinante que «les sargasses flottantes et les cendres volcaniques ont partagé la surface de la mer pendant environ 50 jours, approximativement 100 jours avant d’atteindre la Jamaïque ». Cette observation ouvre de nouvelles perspectives sur la dynamique complexe des écosystèmes marins et leur réponse aux perturbations environnementales.
L’analyse détaillée de la composition biochimique et élémentaire des sargasses échouées en Jamaïque tout au long de l’année 2021 a révélé des informations précieuses. Notamment, elle a montré une stabilité relative de la composition biochimique au fil des mois, la prédominance du morphotype Sargassum fluitans III et des changements significatifs dans la teneur en certains éléments suite à l’exposition aux cendres volcaniques. Corroborant ces résultats, Émilie Eveque note que le «sargassum fluitans III est le morphotype dominant des échouages en Jamaïque» et que «la composition des sargasses en 2021 est homogène, sans variations saisonnières majeures ». Cette stabilité de composition est un élément crucial pour comprendre la dynamique de ces algues et envisager leur valorisation potentielle.
L’impact des cendres volcaniques sur la composition élémentaire des sargasses est particulièrement fascinant, car il révèle la capacité remarquable de ces algues à absorber et à intégrer rapidement des éléments de leur environnement, offrant ainsi un aperçu unique des interactions complexes entre les événements géologiques et les écosystèmes marins. Émilie Eveque résume ces résultats en indiquant que « les sargasses exposées aux cendres volcaniques montrent une teneur en P, Al, Fe, Mn, Zn, Ni (phosphore, aluminium, fer, manganèse, zinc et nickel) plus élevée avec une diminution de As (arsenic) ». Une telle observation démontre l’importance à considérer les événements environnementaux dans l’évaluation de la qualité et de la sécurité des sargasses pour différentes applications, telles que leur utilisation comme engrais pour les sols agricoles, leur incorporation dans l’alimentation animale, leur transformation en biocarburants, leur exploitation pour l’extraction de composés bioactifs pour l’industrie cosmétique ou pharmaceutique, ou encore leur utilisation comme matière première pour la production de bioplastiques.
Les chercheurs soutiennent que «cette observation donne de nouvelles perspectives sur l’assimilation des éléments par les sargasses sous différentes influences, comme les cendres volcaniques ». C’est une découverte qui pourrait avoir des implications importantes pour la compréhension de la biochimie des sargasses et leur rôle dans les cycles biogéochimiques marins.
L’étude met également en lumière l’importance des méthodes de traitement des échantillons pour l’analyse de la composition des sargasses. Émilie Eveque souligne l’importance de ces résultats pour l’industrie, notant que «les changements de la composition biochimique entre les différentes méthodes de traitement doivent être pris en compte pour la valorisation, notamment dans le secteur agro-alimentaire ». Cela renforce la nécessité d’adapter les protocoles de traitement en fonction des applications visées.
Les auteurs de l’étude insistent par ailleurs sur la nécessité de poursuivre les efforts de recherche et de développement. Ils expliquent que « puisque les conditions environnementales et les méthodes de traitement influencent la composition de la biomasse, les efforts doivent se poursuivre pour améliorer la compréhension, la prévision, la surveillance et la valorisation des sargasses, d’autant plus que les échouages de sargasses ne montrent aucun signe de diminution.»
Dr Eric Gaume, Expert en hydrologie et Directeur du département GERS (une des composantes de recherche de l’université Gustave Eiffel en France), interrogé par courriel par Mongabay, apprécie la rigueur méthodologique de l’étude, notamment l’utilisation de l’aire sous la courbe (AUC) pour évaluer la capacité prédictive du modèle. Il affirme que « l’usage de ce critère AUC est le signe que les incertitudes ont été considérées avec sérieux (c’est un bon signe). Le modèle n’est pas parfait (l’AUC du modèle parfait est 1), mais a un très bon pouvoir prédictif ». Cette approche rigoureuse renforce la crédibilité des résultats de l’étude et souligne l’importance à prendre en compte les incertitudes dans la modélisation des phénomènes environnementaux complexes.
La collaboration internationale qui a rendu cette étude possible est un modèle pour les futures recherches sur les problématiques environnementales globales. L’implication de chercheurs de l’université de York et de l’université de Southampton au Royaume-Uni, ainsi que de l’université des West Indies à la Barbade et en Jamaïque, démontre l’importance d’une approche collaborative et transfrontalière pour aborder des défis écologiques d’une telle ampleur.
Les résultats de cette étude ont des implications pratiques importantes pour les décideurs politiques, les gestionnaires de l’environnement, les chercheurs et les innovateurs dans les régions affectées. Ils fournissent une base scientifique solide pour élaborer des stratégies de gestion et d’atténuation des impacts des échouages de sargasses, tout en ouvrant de nouvelles pistes pour le développement de technologies de valorisation de la biomasse algale.
Cependant, l’étude soulève également de nouvelles questions sur l’influence des changements climatiques sur la dynamique des sargasses à long terme, les implications écologiques de l’enrichissement en éléments traces (éléments chimiques présents en très faibles quantités dans un organisme ou écosystème) suite à des événements volcaniques et l’impact de ces changements sur les écosystèmes marins et côtiers.
Gaume souligne l’importance de ces questions, en particulier dans le contexte du changement climatique. Il note que « la vulnérabilité des nappes phréatiques est également sensible aux changements climatiques, notamment par les modifications des précipitations et de l’évapotranspiration ». Bien que ce commentaire concerne les aquifères, il met en lumière la nécessité de considérer les impacts à long terme des changements environnementaux sur tous les écosystèmes, y compris les écosystèmes marins affectés par les sargasses.
En conclusion, cette étude représente une avancée significative dans notre compréhension du phénomène complexe des échouages de sargasses dans l’Atlantique tropical. Elle illustre parfaitement l’importance d’une approche scientifique interdisciplinaire pour aborder les défis environnementaux contemporains.
Alors que les régions côtières des Caraïbes et de l’Afrique de l’Ouest continuent de faire face aux impacts des échouages massifs de sargasses, cette recherche offre, non seulement des informations précieuses pour la gestion de ce phénomène, mais aussi des perspectives prometteuses pour transformer ce qui est actuellement perçu comme une nuisance, en une potentielle ressource.
Image de bannière : Une étude montre l’impact des cendres volcaniques sur les sargasses, ces algues brunes flottantes de l’Atlantique tropical et éclaire, par ricochet la dynamique de ces écosystèmes marins. Image de cristiani.
Citation:
Machado, B. C., Marsh, R., Hargreaves, K. J., Oxenford, A. H., Maddix, G-M., Webber, F. D., Mona Webber, M., & Thierry Tonon, T. (2024). Changes in holopelagic Sargassum spp. biomass composition across an unusual year, PNAS, 121 (23) e2312173121. DOI : https://doi.org/10.1073/pnas.2312173121.