- La partie Est de la RDC abrite à elle seule environ la moitié de la population mondiale des gorilles des montagnes, des espèces sous menace de disparition selon l'Union international de conservation de la nature (UICN).
- Alors la guerre à l'Est du Congo hypothèque l'avenir des gorilles de montagne, les communautés locales travaillent sans relâche pour assurer la survie de ces primates.
- L'Institut congolais pour la conservation de la nature affirme avoir perdu le contrôle total sur les gorilles des montagnes au sein du Parc national des Virunga.
- Les acteurs de la société civile affirment que les guerres répétitives dans l'Est de la RDC représentent une menace contre la biodiversité dans la région.
Depuis novembre 2021, les Forces armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) affrontent le Mouvement armé M23, dans la partie orientale du pays. Les premiers combats entre le M23 et l’armée congolaise, ont commencé dans le territoire de Rutshuru, au cœur du Parc national des Virunga
Olivier Ndoole Bahemuke de l’organisation Alerte congolaise pour l’environnement et les Droits de l’homme (ACEDH) affirmeque la guerre a eu des répercussions et aura des conséquences encore sur la diversité biologique du Parc national des Virunga, en particulier sur les gorilles des montagnes, évalués aujourd’hui à plus de 350, d’après l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN). « Les combats en cours, dans le Parc national des Virunga sont une menace sérieuse pour la population des gorilles des montagnes, et les parties prenantes au conflit devraient assumer leur responsabilité dans la protection de ces espèces phares », a-t-il signalé à Mongabay dans un entretien sur Zoom.
Le Parc national des Virunga abrite plus d’un tiers de la population mondiale des gorilles des montagnes (Gorilla Beringei Beringei). Cependant, cette aire protégée fait l’objet d’intenses opérations militaires depuis plus de 3 ans, suite aux combats qui opposent les forces gouvernementales aux combattants du M23. Pour pallier tout imprévu dans ce patrimoine mondial de l’UNESCO, le parc a pris des mesures pour renforcer la politique de conservation. Il a entre autres outillé certains membres des communautés locales avec des méthodes de conservation. Ceux-ci accompagnent les écogardes dans les missions quotidiennes pour suivre l’évolution des gorilles et les protéger des dangers. « Nous avons formé et encadré quelques paysans afin qu’ils puissent participer eux-mêmes aux efforts de conservation en temps de guerre comme en temps de paix. C’est une forme de conservation participative », dit Bienvenue Bwende, Chargé de communication de l’ICCN au sein du Parc national des Virunga. Celui-ci loue les acquis de cette approche, car, selon lui, cela a permis aux communautés de suivre elles-mêmes les gorilles dans le secteur Mikenodu parc en cette période de combats. Pour des raisons sécuritaires, ajoute Bienvenue Bwende, les équipes de l’ICCN ont du mal à se déployer dans certaines zones.
En Avril 2024, le Conseil territorial de la jeunesse de Rutshuru avait dénoncé l’interdiction par le M23, de tout accès des agents de l’ICCN dans le secteur de Rwindi, au cœur du parc, théâtre des opérations militaires. Durant la seule année de 2022, le parc a enregistré six nouvelles naissances de gorilles, selon l’ICCN. « Les initiatives de conservation communautaire étaient prises depuis plusieurs années. Elles se sont surtout avérées incontournables durant cette période de guerre », affirme Bienvenu Bwende de l’ICCN, ajoutant que ce sont les « membres de la communauté » qui font une « partie importante » du travail, que faisaient les éco-gardes au sein de l’écosystème forestier avant l’intensification de la guerre.
Le document intitulé ‘’Gorilles de Grauer et Chimpanzés de l’Est de la RDC’’ indique que les conflits de longue durée et l’insécurité en RDC ont entraîné une présence de rebelles et de civils dans les forêts, y compris dans les aires protégées. Ce document ajoute que cette situation a « considérablement réduit la capacité des organisations de conservation à surveiller et à protéger les populations de gorilles de Grauer ». Les communautés locales, en dépit des moyens insuffisants et ayant pris connaissance de l’importance de la sauvegarde de la faune et de la flore, font de leur mieux pour conserver les gorilles de montagne.
Il s’agit notamment de surveiller les gorilles et de se rassurer qu’ils demeurent dans leur habitat naturel, éviter toute activité illégale contre eux, notamment le braconnage ou la commercialisation de ces primates. « Nous faisons de notre mieux pour savoir où passent les gorilles la nuit, nous faisons des patrouilles pour voir s’il y en a tombés dans les pièges des braconniers, pour identifier les gorilles malades ou pour voir s’il y en a qui ont mis bas », dit un membre de la communauté, qui a préféré garder l’anonymat. Celui-ci dit qu’ils n’ont aucun soutien de taille, notamment financier et logistique pour mener à bien leur mission de conservation communautaire. Leurs initiatives sont hypothéquées en raison de l’insuffisance des moyens financiers et d’autres soutiens logistiques de la part des partenaires qui ont d’ailleurs du mal à accéder à la zone pour des raisons sécuritaires.
En temps normal, en moyenne, selon Bwende, les éco-gardes accompagnés par certains membres de la communauté, effectuent 3000 patrouilles sur une surface de 25000 kilomètres par an, soit près de 2.315 mille terrains de football (aire de jeu).
« Ce sont les moyens de bord utilisés par les communautés riveraines du parc pour protéger les gorilles de tout risque et cela n’est pas du tout suffisant », note un acteur impliqué dans les efforts de conservation communautaire. Des difficultés restent à noter et certains gorilles sont morts depuis début 2022. « A Rumangabo, à près de 45 kilomètres au Nord de Goma, dans le territoire de Rusthuru, il y avait 5 gorilles et ils sont morts faute de nourriture parce qu’on les nourrissait comme des humains. 50 % des aliments étaient achetés dans le marché à Goma et 50 % était des herbes coupées dans le parc par des personnes qui étaient engagées pour ce travail », confie à Mongabay un éco-garde, qui a préféré garder l’anonymat. Une information qui n’a pas été confirmée par l’ICCN et la Division provinciale de l’environnement. « Lorsque les combats ont pris une ampleur entre Rumangabo-Rugari-Kibumba, chacune des personnes engagées pour faire le suivi des gorilles avait fui. Les efforts communautaires ne sont pas à même de répondre aux besoins vitaux des gorilles », ajoute un pisteur des gorilles qui a préféré garder l’anonymat pour éviter des embrouilles avec l’ICCN et les rebelles, et qui participe aujourd’hui au refoulement des gorilles tentant de quitter le parc pour venir dans les milieux résidentiels.
Gorilla Doctors est une plate-forme des médecins chargés de faire le suivi des gorilles en RDC, au Rwanda et en Ouganda. Elle fait recours à la médecine vétérinaire et à la science pour la conservation des gorilles dans ces trois pays des Grands-lacs.
En RDC, l’organisation participe à conserver les gorilles à l’état sauvage, dans leur habitat naturel. « Nous faisons le suivi de la santé des gorilles, on fait la recherche, on fait des interventions ; si les gorilles sont malades, on les soigne et s’il y a des décès, on fait l’autopsie pour partager les infos avec des scientifiques locaux, nationaux et internationaux en cas de besoin », dit Eddy Syaluha de Gorilla Doctors au Nord-Kivu.
Suite à la guerre, les efforts de conservation de l’ONG Gorilla Doctors ont été entravés. Ils ne font presque plus le suivi sanitaire régulier de ces primates, ce qui hypothèque l’avenir de ces espèces rares, évaluées à plus de 1000 selon de récentes estimations du Fond mondial pour la nature (WWF). Ce qui complique davantage la situation de ces grands singes, qui, en 2016, ont été classés en danger critique d’extinction d’après l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) basée à Gland, en Suisse. « Depuis novembre 2021, on n’a pas fait le travail dans le secteur Mikeno. On n’est plus entrés en forêt, les gorilles sont abandonnés à leur triste sort », dit le docteur vétérinaire Eddy Syaluha, arguant que c’est un impact négatif sur leurs activités.
Le mouvement militaire M23, qui occupe la quasi-totalité du territoire de Rutshuru, se dit attaché à des idéaux de la protection de la nature et qui n’entrave pas les efforts visant à conserver les gorilles des montagnes. « Nous sommes passionnés par la préservation de la nature, car cela y va de notre vie. Nous avons vécu avec des gorilles. Pour nous, les gorilles sont nos compagnons, des amis. Nous aidons l’ICCN à faire son travail », a déclaré au téléphone Willy Ngoma, Porte-parole militaire du M23 à la question de savoir leur responsabilité de protection des écosystèmes des Virunga, notamment les gorilles des montagnes. Celui-ci ajoute que, malgré qu’ils ne puissent pas apporter des soins aux gorilles des montagnes comme il se doit, ils s’arrangent à leur niveau pour protéger certains membres de la communauté, qui prennent soin de ces grands singes. « De même que chacun a son rôle pour protéger ce patrimoine, notre rôle ne consiste pas à soigner ces espèces menacées. Nous les protégeons contre les risques de braconnage. Ce que nous faisons, c’est nous assurer que ceux qui prennent soin des gorilles des montagnes font leur boulot, sans obstruction et sans interférence », dit-il. Celui-ci indique que pour éviter les activités de braconnage, il est interdit aux soldats du M23 de consommer la viande de brousse.
De son coté, Joel Mbusa, Zoologiste vivant à Goma se dit inquiet que la guerre en cours ait affecté les efforts de sauvegarde des écosystèmes. Ce qui met en danger les gorilles des montagnes, qui, par nature, aiment la quiétude, autant que les humains. Selon lui, le parc qui abrite une biodiversité importante, et qui est inscrit sur le patrimoine mondial de l’UNESCO, devrait faire l’objet d’une protection tous azimuts. « Lors de la guerre dans les Virunga, les espèces animales et végétales sont les premières victimes. A mon humble avis, les gorilles sont menacés dans ces espaces de combats, à Rutshuru surtout. Comme il est difficile aux chercheurs d’accéder à ces zones, les gorilles et autres espèces sont exposés, dit-il. Il appelle les parties prenantes à user de sagesse et à ne pas mêler les animaux aux conflits politiques et militaires.
Début décembre 2023, lors de la COP28 à Dubaï, aux Emirats Arabes unis, Eve Bazaiba, ministre congolaise de l’Environnement et de développement durable, avait dénoncé la destruction du Parc national des Virunga par les groupes armés, mettant un accent particulier sur l’activisme du groupe armé M23, qui contrôle la quasi-totalité du territoire de Rutshuru. Alphonse Migheri, Responsable de la section conservation à la Division provinciale de l’environnement au Nord-Kivu, estime que la guerre contribue à la destruction de la biodiversité des Virunga.
Celui-ci fustige que les différents traités internationaux et textes nationaux accordant un statut de neutralité aux agents de conservation ne sont pas mis en application par les belligérants aux conflits. La faune et la flore ne sont plus entièrement sous contrôle, ce qui représente un danger pour l’avenir du parc, estime-t-il. « Les efforts de conservation s’avèrent compliqués en cette période de combats. Dans le secteur Sud du parc, nous signalons que la carbonisation et l’exploitation agro-pastorale des espaces sont inexploitables », dit-t-il, rappelant que sa structure a du mal à faire appliquer les textes fondamentaux sur la protection de l’environnement.
Selon Bienvenue Bwende de l’ICCN, le Parc des Virunga a enregistré 5000 touristes rien qu’en 2017 et la plupart étaient intéressés par les gorilles de montagne. Il dit ne pas connaitre exactement les revenus que cet engouement touristique a généré en 2017. Il croit que la cessation des combats dans cette aire protégée pourrait encore relancer les activités de conservation, ce qui pourra favoriser le tourisme qui est suspendu dans le Parc national des Virunga ett dans les territoires de Rutshuru et Nyiragongo, depuis le début de la guerre en novembre 2021.
Image de Bannière : Les gorilles des montagnes du Parc national des Virunga constituent des victimes indirectes des conflits armés au Nord-Kivu en RDC. Image de John C. Cannon/Mongabay.