- Une nouvelle étude révèle que les chimpanzés recherchent des plantes aux propriétés médicinales reconnues pour traiter leurs différents maux.
- La découverte est importante, car elle documente un cas rare où une espèce animale a vraiment été observée en train d’ingérer une plante pour traiter son affection plutôt que pour s’alimenter.
- L'étude a permis d'identifier 13 espèces de plantes utilisées par les chimpanzés de la forêt de Budongo, en Ouganda, et d’orienter ainsi les efforts en matière de conservation des grands singes.
- Cette découverte pourrait également contribuer au développement de nouveaux médicaments pour l’espèce humaine.
Une nouvelle étude révèle que les chimpanzés sauvages recherchent des plantes aux propriétés médicinales reconnues pour traiter spécifiquement les affections dont ils sont atteints.
Si la plupart des animaux consomment des aliments aux propriétés médicinales dans leur régime alimentaire habituel, peu d’espèces ont été observées en train de pratiquer l’automédication d’une manière, qui suggère qu’elles possèdent certaines connaissances sur les propriétés curatives des plantes, dont elles se nourrissent.
Jusqu’à présent, pour les chercheurs, le défi a été de faire la distinction entre la consommation normale d’aliments ayant une valeur médicinale reconnue et l’ingestion de ces aliments dans le but de traiter une maladie.
« L’automédication est étudiée depuis des années, mais il a toujours été difficile de réaliser des progrès dans ce domaine, car le niveau de preuve est très élevé lorsqu’il s’agit de démontrer qu’une ressource peut être utilisée en tant que médicament », écrit la chercheuse de l’Université d’Oxford au Royaume-Uni et auteure principale de l’étude, Elodie Freymann, dans un courriel adressé à Mongabay.
Pour relever ce défi, les chercheurs ont adopté une approche multidisciplinaire dans leur étude, intégrant des données comportementales, un suivi de la santé des animaux et des tests pharmacologiques sur un éventail de plantes consommées par les chimpanzés. L’étude a réuni 13 chercheurs, dont des primatologues, des ethnopharmacologues, des parasitologues, des écologistes et des botanistes.
Selon l’étude, les données pharmacologiques interprétées seules sont importantes, car elles permettent d’identifier la présence de ressources médicinales dans le régime alimentaire des chimpanzés. Cette étude s’est également appuyée sur des données d’observation et sur un suivi de la santé des chimpanzés pour déterminer si ces derniers avaient recours à l’automédication de manière délibérée.
Pendant huit mois, les chercheurs ont suivi les comportements alimentaires de deux communautés de chimpanzés (Pan troglodytes) habitués à la présence des populations humaines vivant dans la forêt de Budongo, en Ouganda.
Ils ont prélevé des échantillons de parties de plantes, que des recherches antérieures avaient signalées comme pouvant être liées à l’automédication des chimpanzés : écorce, bois mort et moelle amère.
Les chercheurs ont prélevé des échantillons de 13 espèces de plantes connues pour être consommées au moins de manière occasionnelle par les chimpanzés de Budongo, et ont effectué des tests pour définir leur activité antibactérienne et anti-inflammatoire (les tests de propriétés antiparasitaires n’étaient pas inclus dans l’étude).
Les chercheurs ont également suivi l’état de santé des chimpanzés à l’aide d’analyses d’urine et fécales et ont surveillé les individus présentant des blessures, des infestations parasitaires ou d’autres types d’affections connues.
Ils ont observé que les chimpanzés, souffrant de blessures ou d’autres affections telles que des infestations parasitaires, des symptômes respiratoires, des analyses d’urine anormales ou des diarrhées, consommaient des plantes ou des parties de plantes dont les tests en laboratoire avaient révélé des propriétés curatives.
« Dans notre étude, nous documentons des cas de chimpanzés blessés ou souffrant d’infections bactériennes, qui ont délibérément choisi des plantes bioactives », explique Elodie Freymann. « Nous décrivons également des cas d’individus blessés, qui ont choisi des plantes rarement consommées aux propriétés anti-inflammatoires reconnues et démontrées, suggérant qu’ils pourraient ingérer des plantes pour aider à la cicatrisation de leurs plaies, ce qui constitue une découverte. »
En outre, contrairement aux études précédentes, qui se concentraient sur des ressources végétales uniques, celle-ci a permis d’identifier 13 espèces présentant un potentiel médicinal.
« Grâce à cette étude, nous avons pu considérablement élargir notre domaine de connaissances sur les répertoires médicinaux des chimpanzés. Cette étude met également en évidence les répertoires médicinaux uniques de deux communautés de chimpanzés, dont les comportements d’automédication n’avaient jamais été analysés jusqu’à présent », a souligné Elodie Freymann.
La chercheuse estime que l’identification de plantes susceptibles de présenter des valeurs curatives pour les chimpanzés est importante pour leur protection.
« Si nous arrivons à déterminer quelles plantes permettent aux chimpanzés de rester en bonne santé dans la nature, nous pourrons mieux les préserver et assurer aux chimpanzés un accès continu à leur armoire à pharmacie sauvage », a-t-elle ajouté. « En revanche, si ces plantes disparaissent, nos cousins primates risquent de se trouver exposés à des agents pathogènes contre lesquels ils ne pourront plus se défendre. »
Selon Elodie Freymann, cette piste de recherche est importante, car « nous pourrions identifier, grâce aux chimpanzés, les plantes qui possèdent des valeurs médicinales, et cela pourrait nous aider à découvrir de nouveaux médicaments pour l’espèce humaine ».
L’étude vient compléter un nombre croissant de recherches sur les primates, qui utilisent des plantes médicinales pour traiter des maladies. Dans un autre rapport récent, un orang-outan sauvage de Sumatra, blessé au visage, a été observé en train de soigner sa blessure à l’aide d’une plante aux propriétés cicatrisantes démontrées. Erin Wessling, coresponsable du groupe de travail sur les cultures des chimpanzés auprès de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), l’autorité mondiale de conservation de la faune et de la flore, a indiqué que si ces types de comportements d’automédication ont suscité un intérêt croissant, c’est entre autres parce qu’ils sont relativement rares et qu’ils ne peuvent être identifiés que chez les espèces qui ont été étroitement surveillées sur une longue période.
« Il faut des années pour parvenir à observer les singes dans la nature à un niveau de détail aussi exigeant, et encore plus d’années pour distinguer avec certitude la consommation de plantes médicinales en tant que composantes du régime alimentaire des primates des cas d’automédication », a-t-elle noté.
Erin Wessling, qui n’a pas participé à l’étude, a indiqué à Mongabay que, certes, l’on savait que les chimpanzés utilisaient des plantes à des fins médicales, mais aujourd’hui les scientifiques ont atteint un stade qui leur permet de démontrer que l’automédication est un comportement répandu et diversifié et qu’elle est pratiquée pour soigner différentes affections.
Selon elle, l’étude de Budongo « démontre très bien que le domaine de la conservation de la nature ne se limite pas à des chiffres et à des données. Il importe vraiment de réfléchir à la manière dont les organismes interagissent avec les écosystèmes dans lesquels ils évoluent, et même les éléments les plus rares de ces écosystèmes peuvent s’avérer essentiels à la survie d’un organisme ».
« En outre, des résultats tels que ceux-ci permettent de mieux comprendre la valeur intrinsèque des chimpanzés et démontrent ce que nous soupçonnions depuis longtemps, à savoir que les chimpanzés sont capables de reconnaître et de traiter une maladie à l’aide de plantes qui ont des propriétés médicinales naturelles (et mesurables) », a indiqué Erin Wessling.
« Cette étude souligne que nous avons encore beaucoup à apprendre sur le milieu naturel, et pas seulement sur nos cousins les singes, et nous donne une raison de plus de les protéger et de leur assurer un avenir. »
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Citations:
Freymann E, Carvalho S, Garbe LA, Dwi Ghazhelia D, Hobaiter C, Huffman MA, et al. (2024). Pharmacological and behavioral investigation of putative self-medicative plants in Budongo chimpanzee diets. PLOS ONE, 19(6), e0305219. doi:10.1371/journal.pone.0305219