- A Ouagadougou, le plus grand barrage est menacé de pollutions plastiques et cela menace l’économie de la pêche ainsi que la biodiversité aquatique.
- Certaines espèces de poissons ont disparu en raison de ces pollutions et de l’ensablement du barrage.
- Des pêcheurs s’attèlent à protéger le barrage à travers des actions de curage et de plantation d’arbres.
- Le Ministère en charge de l’eau déploie une stratégie pour faire du barrage de Tanghin un site touristique en sauvegardant sa biodiversité.
« Les sachets plastiques étouffent les poissons dans ce barrage, souvent ils se débattent dans les sachets jusqu’à crever. » Ces propos sont d’Ousmane Nana, un jeune pêcheur de 26 ans domicilié à Ouagadougou, la capitale burkinabé.
Cela fait 6 ans qu’il gagne sa pitance quotidienne à travers la pêche, qu’il fait dans le plus grand barrage de la ville, encore appelé barrage de Tanghin, le quartier qui l’abrite.
A l’aube de ce matin de juin 2024, nous le retrouvons sur sa barque au milieu du barrage avec son filet à la recherche de poissons. De sa pirogue de fortune, il descend, aidé par un long bois qui lui sert de pagaie. L’air fatigué, la culotte dégoulinant encore d’eau, le jeune pêcheur nous accueille. « Bonjour, soyez les bienvenus dans mon bureau », nous salut Ousmane, sourire aux lèvres. Pourtant derrière ce grand sourire matinal, se cache une autre réalité que le pêcheur du jour nous dévoile.
« Je pêche dans ce barrage depuis 2018, j’arrivais à tirer mon épingle du jeu avec la vente de poissons avec les revendeurs qui jouxtent la voie. Mais aujourd’hui, la donne a carrément changé. Le barrage est inondé et pollué de déchets plastiques venant des quatre coins de la ville, et les poissons sont devenus difficiles à pêcher », se désole Ousmane, qui voit désormais son chiffre d’affaires régresser. « Avant, je rentrais avec au minimum 30 0000 F CFA par jour. Mais actuellement, c’est difficile de vendre pour 5 000 FCFA », affirme-t-il. C’est dire que la pollution plastique dans ce barrage influe négativement l’économie de ces pêcheurs, sans oublier la biodiversité aquatique.
La pollution plastique dans le barrage de Tanghin entraîne la disparition de certaines variétés de poissons
Des bouteilles usées, des seaux et bidons en plastique ou encore des sachets trimballés par la pluie et le vent. Voici le décor que présente ce barrage, situé en plein centre-ville de Ouagadougou. La pollution plastique a inondé les lieux, impactant négativement la biodiversité aquatique.
« Il y avait plusieurs espèces de poissons dans ce barrage. Des capitaines, des sardines, des tilapias et même des silures. Ils ont tous disparu. Avant, c’étaient de grands poissons qu’on pêchait. Mais depuis, il n’y a que des petits poissons », nous confie Ousmane, la mine serrée.
En plus des poissons qui sont désormais rares, difficile aujourd’hui d’apercevoir les crabes, les grenouilles, les tortues ou encore les crocodiles, qui étaient autrefois présents dans le barrage.
« Ici, l’ennemi commun des pécheurs et de la biodiversité, c’est la pollution plastique. Chaque année, c’est le même spectacle : la danse macabre des sachets et bouteilles plastiques et autres déchets sur les eaux du barrage », confie Aziz Guigma, lui aussi pêcheur dans ce barrage de Tanghin.
« Quand il pleut, certains sortent de vieux matelas, de vieux tissus et des vêtements usés pour les jeter dans les caniveaux qui les conduisent jusque dans le barrage, C’est tout ça qui provoque l’ensablement et la perte de la biodiversité », affirme Aziz avant de poursuivre : « Pendant la saison sèche, quand il n’y a pas d’eau, on peut creuser jusqu’à plusieurs mètres et trouver des sachets, qui malheureusement ne pourrissent pas ».
Dans ce barrage, on dénombre plus d’une soixantaine de pêcheurs, qui gagnent leur vie à travers la pêche. En plus d’eux, il y a les revendeurs, toujours assis aux alentours du barrage, pour accoster les clients qui veulent du poisson frais sorti directement du barrage de Tanghin. Ici, le poisson se vend entre 2000f et 15 000f en fonction de la qualité et de la forme.
Dame Kadidia, revendeuse de poissons au grand marché de Ouagadougou, remarque aussi que les temps ont bien changé. « Cela fait plusieurs années que j’achète du poisson. Avant il y avait assez de poissons. On prenait souvent jusqu’à 35 kg de poissons, voire plus et c’était de gros poissons. Mais, présentement, avoir même 10 kg, c’est un exploit ».
Face à la situation, des pêcheurs s’activent pour protéger le barrage de Tanghin
La soixantaine de pêcheurs, qui travaille dans ce barrage se concerte régulièrement pour mener des actions de nettoyage. Selon l’un des responsables trouvés sur place, plusieurs actions sont menées pour lutter contre la pollution plastique.
« Nous nous organisons pour nettoyer régulièrement le barrage, mais très honnêtement, les déchets plastiques sont difficiles à gérer. Le moindre vent ou la moindre pluie, et les revoilà dans le barrage en grande quantité. Nous curons le barrage et plantons aussi des arbres autour du barrage pour empêcher son ensablement », raconte Seydou Koumaré, l’un des responsables d’une association qui lutte contre les déchets plastiques dans le barrage.
La gestion du barrage de Tanghin, une priorité pour le CLE Massili Nord
Pour la protection du barrage de la ville de Ouagadougou, c’est le Comité Local de l’Eau (CLE) de l’Agence de l’Eau de Nakambé, structure du ministère en charge de l’eau qui est responsable. Interpellé sur la pollution plastique dans le barrage de Tanghin, Tounbayi Gnoumou Président du CLE Massili Nord ? nous donne ces explications.
« Nous sommes bien conscients de la pollution plastique dans ce barrage. C’est malheureux et les causes sont nombreuses. De façon générale, le barrage de Tanghin est considéré comme le barrage de réception des déchets de la ville de Ouagadougou, ce qui n’est pas normal. En plus de l’action de l’homme, il y aussi le vent et les eaux de ruissellement, qui emmènent les déchets plastiques dans le barrage », se désole le président du comité local de l’eau qui dit avoir entrepris des actions avec son équipe pour rendre le barrage salubre.
Pour lui, « au Burkina, le plastique est beaucoup utilisé au regard de sa maniabilité et de sa résistance, mais malheureusement après son usage, il manque sa valorisation à travers un dispositif de collecte et de transformation. C’est vraiment l’une des causes du peuplement des déchets plastiques dans ce barrage », soutient-t-il avant de poursuivre que « cela n’est pas sans conséquence pour la santé humaine, puisque la pollution plastique entraîne l’éclosion des moustiques, des bactéries, des virus et d’autres insectes indésirables ».
« La pollution plastique du barrage occasionne la mort des espèces aquatiques, qui jouent pourtant un rôle important dans le cycle général de la biodiversité dans ce milieu », affirme le président du Comité local de l’eau du barrage de Tanghin, qui ajoute « les plastiques contribuent au comblement des barrages, au pourrissement de l’eau, favorisent aussi les inondations et contribuent à la dégradation des cours d’eau «.
Des pistes de solutions proposées par le Comité local de l’eau pour lutter contre la pollution plastique du barrage
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A en croire Tounbayi Gnoumou, plusieurs actions sont mises en œuvre pour lutter contre la pollution plastique dans le barrage de Tanghin.
« Nous menons entre autres des actions de sensibilisation avec les pêcheurs, les maraîchers et les riverains de façon générale. A cela, s’ajoute le combat contre la jacinthe d’eau, les activités de reboisement pour protéger les berges des déchets plastiques, la plantation d’arbres épineux pour bloquer le passage des sachets et l’installation des panneaux de sensibilisation », soutient le président du Comité local de l’eau
« Cette image des déchets plastiques flottant sur les eaux du barrage est un spectacle déplorable et interpelle les Ouagalais. La vision du Comité local de l’eau est de parvenir à faire du barrage de tanghin dans les années à venir un site touristique », affirme-il.
En attendant des mesures de revalorisation du plastique à travers le pays, les pêcheurs combattent, coûte que coûte, le plastique, à chaque instant.
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Image de banniére : Pollutions plastiques dans le barrage de Tanghin. Image d’Abel Yerbanga pour Mongabay