- Une nouvelle génération d'agriculteurs émerge en Côte d'Ivoire, déterminée à promouvoir une agriculture durable respectueuse de l'environnement.
- Josiane Lobar, diplômée en Comptabilité et gestion, s'est lancée dans l'agriculture durable avec son entreprise Jalholding, produisant du riz local.
- L’Ivoirien Tia Gueu Rock, également acteur majeur de l'agriculture durable, se consacre à la production, la transformation et la distribution de produits agricoles, notamment du riz, pour promouvoir une agriculture respectueuse de l'environnement.
- L'agriculture durable à travers la culture du riz en Côte d'Ivoire, vise à obtenir des rendements élevés tout en préservant l'environnement à long terme, en incluant la gestion efficace de l'eau, la préservation des sols, la rotation des cultures, le compostage, et d'autres pratiques respectueuses de l'environnement.
Depuis plus de 8 ans en Côte d’Ivoire, une nouvelle génération d’agriculteurs émerge, déterminée à révolutionner les pratiques agricoles traditionnelles en adoptant un modèle plus respectueux de l’environnement, axé sur l’agriculture durable, une pratique agricole basée sur le respect des normes économiques, environnementales et écologiques. Ces jeunes agriculteurs s’engagent à préserver les ressources naturelles tout en garantissant une production alimentaire de qualité, avec l’objectif de provoquer un changement de fond dans le secteur agricole ivoirien.
Une dépendance en riz qui coûte cher à la Côte d’Ivoire
Selon la plateforme d’information financière et économique relatif à la Bourse dans les 8 Pays de l’UEMOA dénommée Sika Finance, la Côte d’Ivoire est le premier importateur de riz sur le continent africain, et a dépensé 440,32 milliards FCFA pour l’acquisition d’ 1 312 776 tonnes de riz, afin de répondre à une demande intérieure estimée à 2,5 millions de tonnes en 2023. La production intérieure ne répondant pas à la forte demande du pays, ce qui le rend dépendant des importations.
Face à cette situation qui dure depuis des années, de jeunes agriculteurs ont pris l’initiative de contribuer à l’autosuffisance en riz en Côte d’Ivoire. C’est le cas de Josiane Lobar, fille d’agriculteur titulaire d’un master en comptabilité et gestion, qui depuis 7 ans, s’est lancée dans l’agriculture avec Jalholding, son entreprise spécialisée dans l’agroalimentaire. Elle produit, transforme et distribue son riz local durablement cultivé.
Interrogée par Mongabay sur les motivations derrière son engagement pour une culture de riz durable, Lobar explique : « C’est un projet que j’ai pensé en 2016, et que j’ai réussi à lancer en 2017, à force de travail et d’économies. Auparavant, j’accompagnais des agriculteurs en leur donnant des semences et des intrants. C’est d’ailleurs ce que je continue de faire, mais nous avons aujourd’hui nos propres bas-fonds depuis un an, et ces bas-fonds nous permettent de maîtriser la production du début jusqu’à la fin, de produire de façon durable et de préserver notre environnement ». Elle souligne également l’importance du contrôle strict des pratiques agricoles. « Aujourd’hui, qui parle de production responsable, nous ramène au contrôle de tout ce que nous utilisons dans notre production. Ce qui nous permet aussi de fournir du riz de qualité, parfumé naturellement, pauvre en sucre et surtout recommandé aux personnes souffrant de diabète et d’hypertension », précise-t-elle.
Dans les villes de Yamoussoukro, Sinfra, Oumé, Katiola et Bouaké, localisées au centre, au centre-ouest et au nord de la Côte d’Ivoire, Tia Gueu Rock, également connu sous le nom de Stéphane Sucré sur les réseaux sociaux, est aussi un acteur majeur de l’agriculture durable en Côte d’Ivoire. Possédant respectivement plusieurs terres allant de 60 hectares à 350 hectares, ce jeune entrepreneur d’une trentaine d’années se consacre aussi à la production, la transformation et la distribution de divers produits agricoles, en particulier le riz. Pour lui, promouvoir l’agriculture durable est essentiel pour réaliser sa vision : « Mon objectif est de laisser un héritage, de bâtir un empire autour des produits de première nécessité, de générer des revenus, et de continuer à œuvrer même après ma disparition. J’ai créé une entreprise avec une équipe dynamique pour commercialiser ma marque de riz local en Côte d’Ivoire et à travers l’Afrique ». Il souligne que le riz est l’aliment le plus consommé par les ivoiriens, après l’attiéké (semoule de manioc). « Un Ivoirien peut varier ses plats, mais il mangera toujours du riz au moins une fois par jour. Nous consommons plus de 2 000 000 de tonnes de riz chaque année. C’est un aliment indispensable, et il est toujours judicieux d’investir dans ce secteur, car il offre des perspectives de revenus illimitées », dit-il.
Agriculture durable et préservation des ressources naturelles
« Dans le contexte de la culture du riz, l’agriculture durable aide à obtenir des rendements élevés tout en préservant l’environnement pour garantir la durabilité à long terme. Cette pratique agricole importante inclut la gestion efficace de l’eau, la préservation des sols, la rotation des cultures, le compostage pour des engrais organiques, la gestion des résidus de récolte, l’optimisation de l’utilisation des fertilisants pour les nutriments du sol, le contrôle des maladies et des ravageurs, ainsi que les aspects économiques et sociaux », explique Moussa Sié, Ingénieur Agronome, Directeur de Recherche CAMES en Génétique et Amélioration des plantes, ex chef de programme génétique à Africa Rice. Pour lui, la recherche se fixe trois principaux objectifs pour la création de nouvelles variétés de riz, à savoir « la productivité, la stabilité de la production et la qualité (format commercial, organoleptique) », indique Sié. Il ajoute que « l’agriculture durable, contrairement à l’agriculture intensive ou conventionnelle, nécessite de mettre, à la disposition des producteurs, des variétés de riz qui valorisent des milieux pauvres, donc utilisatrices de moins d’engrais, moins d’eau, et moins de pesticides, ce qui va moins impacter l’environnement, surtout avec l’abandon de la monoculture. L’agriculture durable, par le biais de techniques de gestion de l’eau et des sols, permet de préserver ces ressources essentielles. En adoptant des pratiques telles que l’irrigation efficace, l’utilisation de matières organiques, la rotation des cultures et la gestion intégrée des ravageurs, les producteurs de riz peuvent, non seulement améliorer la durabilité de leurs systèmes agricoles, mais aussi contribuer à la conservation des écosystèmes naturels et à la protection des ressources pour les générations futures », souligne-t-il.
Un avis que partage Tia, qui affirme que l’agriculture durable implique un traitement minutieux des sols pour favoriser leur fertilité : « Nous traitons les sols avec une étude de sols approfondie, afin que ces sols soient toujours fertiles pendant plusieurs années. En procédant ainsi, nous repoussons la sécheresse en favorisant la pluviométrie ». Pour lui, prioriser la mécanisation agricole contribuerait à créer des emplois et à réduire le chômage, tout en développant les régions. Il déplore cependant le manque d’implication des jeunes dans l’agriculture, attribuant cette tendance historique à une préférence pour les métiers de bureau. « Depuis le temps de notre premier président, Félix Houphouët Boigny, la population ivoirienne a toujours voulu travailler dans des bureaux. Être bureaucrate était synonyme de réussite pour elle. Du coup, la nouvelle génération a évolué avec cette mentalité. C’est la raison du manque de jeunes dans l’agriculture. Nous créons plusieurs emplois au niveau de la production et de la transformation. Il existe une fédération nationale des marques de riz dont FENADRIZ et 14 autres marques de riz, la grande majorité sont juste des distributeurs. Les marques de riz, qui travaillent sur la production, la transformation et la distribution, ne sont malheureusement pas nombreuses », déplore-t-il.
Pour Lobar, l’agriculture durable offre une plus grande visibilité sur les rendements de chaque récolte, contrairement aux pratiques traditionnelles. Elle insiste sur l’importance de l’utilisation responsable des intrants et de la bonne préparation du sol pour assurer des productions de qualité. « Nous contrôlons tout, du début jusqu’à la fin. Que ce soit pour les dosages d’engrais ou pour les herbicides, que nous utilisons pour nettoyer les sols. Nous travaillons avec des techniciens, qui nous aident dans le dosage de nos produits. Donc, à la fin, on sait à quel moment on doit intervenir avec les engrais. Parce qu’on ne met pas les engrais n’importe comment. Il y a des périodes bien définies, où nous devons intervenir avec les engrais », confie Lobar. Elle ajoute que l’agriculture durable permet de connaître le tonnage des productions. « Les avantages avec cette méthode, c’est qu’on a la possibilité de connaître le tonnage des productions à chaque récolte. Quand le dosage est bien fait, et qu’on se dit qu’on doit avoir 4 tonnes à la fin de la production, on aura nos 4 tonnes. Ce qui n’est pas le cas avec la production de riz traditionnelle. Là, le paysan ne maîtrise rien. Il ne maîtrise même pas les dosages. L’idée est d’utiliser des produits de façon responsable, afin d’atteindre l’objectif qu’on s’est fixé ».
De nombreux défis à relever en faveur des producteurs et transformateurs locaux
Bien que le riz soit l’une des premières denrées consommées en Côte d’Ivoire, les agriculteurs sont nombreux à être confrontés à des difficultés, notamment à la faible productivité. « Nous avions envisagé l’irrigation, mais pour notre première récolte, nous avons réussi grâce à la saison des pluies. Là où il y avait trop d’eau, nous avons utilisé l’irrigation pour la gérer. Et dans les zones sèches, nous avons tracé des chemins pour l’eau. Cependant, pour la deuxième récolte, nous avons rencontré des difficultés. Certains endroits manquaient d’eau, notamment là où nous cultivions du riz. Malheureusement, la récolte y a échoué, impactant négativement notre production dans ces zones. L’objectif n’a pas été atteint là-bas, et nous pensons ne pas avoir relevé ce défi. Mais pour les prochaines récoltes, nous prenons des mesures pour atteindre nos objectifs », indique Lobar. Elle ajoute que « grâce à notre expérience, nous avons pu créer des emplois pour les jeunes de la région, en les engageant comme ouvriers rémunérés mensuellement à Abengourou. Les jeunes ont progressivement appris la culture du riz et ont pris plaisir à la découvrir. Cultiver du riz dans un bas-fond n’est pas facile, mais grâce à notre accompagnement, les jeunes ont développé une expertise dans ce domaine », indique-t-elle.
Elle précise qu’ « en fournissant des conseils, des intrants, un suivi technique et des équipements, nous avons pu renforcer l’autonomie des agriculteurs que nous soutenons, y compris dans des campements de la région, en sensibilisant d’autres agriculteurs aux bonnes pratiques. Nous visitons différents villages, coopératives et échangeons avec les riziculteurs, expliquant nos attentes en termes de production responsable pour atteindre nos objectifs ».
Pour Tia, la riziculture est un secteur vaste avec de nombreux projets à n’en point finir, mais qui manque d’accompagnement : « On fait ce qu’on peut pour réaliser nos projets. Dans ce secteur, il faut vraiment être accompagné financièrement. Pour le moment on travaille par fonds propres du coup, c’est difficile de se projeter. On avance pas à pas », dit-il.
Pour l’Ingénieure agronome Sié, adopter l’agriculture durable assure aux agriculteurs, non seulement, une production alimentaire plus stable et durable, mais protège aussi l’environnement et leurs moyens de subsistance contre les défis climatiques et environnementaux. Il souligne que « les jeunes pourront ainsi prendre conscience de la nécessité de produire bien et propre, en favorisant la protection de l’environnement. Ainsi, ils céderont un héritage aux générations futures ».
Préserver la diversité végétale en Afrique, un impératif pour l’avenir de la biodiversité
Image de bannière : Josiane lobar en pleine recolte dans sa plantation riz. Image par Ella Djiguimde pour Mongabay.