- Sur les pentes arides de la montagne de Koutoukpa, au cœur de la préfecture d'Amou (sud-ouest du Togo), la ferme de Komi Bosso faisait face à un défi majeur : le manque d'eau.
- Installé dans cette région depuis une dizaine d’années, Komi BOSSO a refusé de se laisser abattre par les difficultés climatiques. En observant la nature, il a eu une idée audacieuse : utiliser le reboisement pour attirer la pluie et revitaliser son terrain.
- Avec passion et persévérance, Komi a entrepris de planter des arbres, transformant progressivement le paysage. Grâce à cette initiative, il redonne vie non seulement à sa ferme, mais aussi à toute la montagne, prouvant que l'engagement écologique peut être une réponse puissante aux défis environnementaux.
Il ne reste plus que quelques heures avant d’arriver à la ferme maraîchère « Wekele », terme qui en Akposso, veut dire : « On va le faire ».
Malgré la puissance du moteur, c’est péniblement que notre voiture arriva à l’heure prévue. Il a plu des cordes et les paysages se ressemblent. Finalement, nous arrivons à Koutoukpa au Sud-Ouest du Togo, épuisés. Le compteur affiche 17 km parcourus depuis la ville d’Atakpamé dans la région des plateaux. La voiture s’immobilise, marquant la fin du trajet.
À présent, il faut marcher une vingtaine de minutes dans un étroit sentier, entouré de champs verdoyants d’où s’échappe une odeur fraîche d’humus, pour arriver à notre destination : la ferme de Komi Bosso.
Les cris des oiseaux au loin et le chant des maraîchers travaillant sur les planches ajoutent une note vivante à ce spectacle champêtre. La senteur de la terre humide monte à nos narines, se mélangeant avec celui de l’humus, apportant une fraîcheur vivifiante.
Komi, informaticien de profession, a décidé, il y a une dizaine d’années, d’abandonner sa passion pour les Nouvelles Technologies de l’Information (NTIC) et de se consacrer à l’agriculture, inspiré par le célèbre mantra : « la terre ne trompe jamais ».
« Soyez les bienvenus », dit, en éwé, le promoteur de la ferme en interrompant sa discussion avec ses collaborateurs. Vêtu de ses habits champêtres, un chapeau de paille négligemment posé sur la tête, l’homme de 32 ans, pieds nus, avait l’air parfaitement décontracté.
En ce mois de mai, le ciel est couvert et le temps, humide. C’est la saison des pluies, communément appelée hivernage. Attendue par les producteurs, son arrivée marque le lancement des différentes activités agricoles. Mais, contrairement aux habitudes répandues dans le milieu, Komi Bosso a décidé de faire le maraîchage. « Quand j’ai grandi, je me suis dit qu’il fallait que je me batte pour ma communauté et mon pays, parce qu’en voyant les autres jeunes de mon âge, aucun n’avait de l’entrain pour travailler la terre. Mais moi, j’ai voulu travailler la terre, et c’est pourquoi je me suis lancé dans le maraîchage », dit-il. « Nous faisons une culture diversifiée, je dirais presque tout : les carottes, les concombres, la pastèque. Nous faisons également de l’igname, de l’arachide, du maïs, de la betterave, du poivron, un peu de tout », poursuit-il
Sauver sa ferme et la montagne de Koutoukpa
La ferme de Bosso située sur la montagne de Koutoukpa souffrait d’un manque d’eau chronique. Les sols, secs et poussiéreux, peinaient à retenir l’humidité, rendant toute tentative de culture extrêmement difficile. Les jeunes plantes se fanaient rapidement sous le soleil. « Les premières années ont été vraiment difficiles », dit Komi Bosso. « Nous manquions cruellement d’eau. Chaque jour, nous parcourions des kilomètres à la recherche d’eau. C’était une question de survie. Je voyais mes cultures se flétrir et mourir. La terre était dure comme de la pierre, et les rares pluies n’étaient pas suffisantes pour redonner vie à nos champs. J’étais désespéré et je savais qu’il fallait trouver une solution, sinon tout ce que j’avais construit allait disparaître », explique-t-il.
Face à ce constat alarmant, Komi a eu une idée audacieuse : utiliser le reboisement pour inverser la tendance. Aujourd’hui, il a reboisé 450 plants sur une superficie d’un hectare, aidé par le Comité Villageois de Développement (CVD) et des ressources personnelles pour acquérir les plants. « Avant le reboisement, mon revenu agricole était en baisse, à peine je faisais la culture de trois légumes, mais avec le reboisement, je suis passé de trois légumes à plusieurs légumes », dit-il. « J’ai pensé que si nous pouvions planter des arbres, cela pourrait améliorer la situation. Les arbres aident à retenir l’eau dans le sol et peuvent même attirer plus de pluie. C’était un pari risqué, mais je n’avais rien à perdre ».
Avec détermination, Komi a commencé à planter des arbres sur la montagne de Koutoukpa. Il a mobilisé les membres de la communauté de son ethnie « Akposso », et les a encouragés à se joindre à son projet. « Nous avons planté 550 arbres l’année dernière », dit-il. « Et bien que le chemin soit encore long, nous avons déjà vu des améliorations. Le sol est plus humide, les plantes poussent mieux, et nous avons même eu plus de pluie cette saison. C’est un signe que nous sommes sur la bonne voie ».
L’agronome et environnementaliste Kossi Tsoekem Guenou qualifie cette pratique d’essentielle pour compenser la perte de couverture végétale et les effets néfastes du changement climatique, particulièrement dans des régions comme le sud du Togo, où les précipitations peuvent être irrégulières. « La pratique du reboisement peut compenser le manque de pluie et permettre de faire face au changement climatique. Les pratiques de reboisement adaptées peuvent aider à réguler la pluie et à améliorer les conditions environnementales », dit-il.
Des espèces d’arbres adaptées
Le reboisement entrepris par Bosso à Koutoukpa est stratégiquement conçu pour faire face au manque de pluie et aux défis du changement climatique. En choisissant des espèces d’arbres adaptées à des conditions arides, il a contribué à restaurer la biodiversité tout en améliorant la rétention d’eau dans le sol.
Parmi les espèces qu’il privilégie, figurent les arbres à feuillage persistant tels que l’acacia, l’acajou du Sénégal (Khaya senegalensis), le peuplier d’Afrique (Gmelina arborea), le fraké (Terminalia superba), le Poivre de Guinée ( Xllopia) et le tamarinier ( Dialium guineense), ainsi que l’oranger, qui sont réputés pour leur capacité à survivre dans des environnements secs. « Je savais que je devais être rigoureux dans la sélection des plants qui doivent être reboisés, car le résultat positif m’importait le plus. Raison pour laquelle je me suis renseigné auprès de certains agents forestiers », dit-il avec un ton plein d’assurance.
En plantant ces arbres, le jeune maraîcher de Koutoukpa a créé un microclimat plus humide et encouragé la régénération naturelle de la végétation locale. Cette approche de reboisement résiliente au climat est essentielle pour renforcer la résilience de la ferme de Komi face aux conditions météorologiques changeantes et pour assurer sa durabilité, selon Sébastien Balouki, Expert agroforestier et Président de l’Association Reboisons Vite le Togo. « Premièrement, la taille des arbres joue un rôle crucial. Les arbres de grande taille, avec leurs vastes canopées, peuvent intercepter plus d’humidité de l’air ambiant. Cette humidité condensée peut ensuite être libérée dans l’atmosphère, contribuant à la formation de nuages et éventuellement à la précipitation. Les forêts denses et hautes créent des microclimats humides, augmentant ainsi les chances de pluie.
Deuxièmement, l’âge des arbres est un autre facteur important. Les arbres matures ont des systèmes racinaires bien développés, qui peuvent extraire de l’eau des profondeurs du sol, transpirant cette eau à travers leurs feuilles dans un processus appelé évapotranspiration. Enfin, les espèces d’arbres à feuillage dense et large ont une plus grande surface pour l’évapotranspiration, ce qui permet une plus grande libération de vapeur d’eau dans l’atmosphère », explique Balouki. Pour Badabate Diwediga, Chercheur en changement climatique et utilisation des terres à l’université de Lomé au Togo, les effets et impacts du reboisement sont à plusieurs niveaux, notamment l’adoucissement du climat par l’amélioration de la pluviométrie et autres services écosystémiques. « De facto, le reboisement devrait avoir ces co-bénéfices, quelle que soit la pratique. Cependant, il faut noter que les reboisements à vocation de restauration des paysages sont plus avantageux à moyen et long termes, comparativement à ceux destinés à une exploitation de bois. Tout est question des modes de gestion », affirme-t-il.
A la question de savoir si toutes les espèces ligneuses sont susceptibles de contribuer à l’atténuation du changement climatique (séquestration et stock de carbone) et peuvent attirer la pluie si la reconstitution forestière est effective, il dit que « certaines espèces ligneuses présentent une croissance rapide et peuvent donc être promues et adaptées aux efforts de restauration. Il faut miser surtout sur les essences natives et tenir compte des contraintes environnementales et socioéconomiques locales. Par la forêt, ou du moins par l’amélioration de la couverture végétale ligneuse, l’on peut espérer améliorer la pluviométrie locale ». Guenou recommande, pour sa part, de sélectionner des espèces d’arbres adaptées au climat et au sol du sud Togo, selon les techniques de plantation et de « défricher le site tout en conservant les espèces endémiques existantes et utiliser des protège-plants ».
Combattre les feux de brousse
L’un des principaux défis auxquels Bosso fait face est la menace constante des feux de brousse. Ces incendies, souvent déclenchés par des pratiques agricoles traditionnelles ou par négligence, ont déjà anéanti quelques fois ses efforts. « Les feux de brousse sont notre plus grand ennemi. Nous avons planté 550 arbres, mais à cause de ces incendies, il n’en reste que quelques-uns. Ces feux ne détruisent pas seulement les jeunes plants, ils affectent également la biodiversité locale, le sol et les ressources en eau », dit-il.
Pour surmonter ce défi, Komi et sa communauté travaillent, non seulement à sensibiliser les habitants aux dangers des feux de végétation, mais aussi à mettre en place des pare-feux et des systèmes de surveillance pour protéger les nouvelles plantations. « La lutte contre les feux de brousse est cruciale pour assurer la réussite à long terme de nos efforts de reboisement et la résilience écologique de la montagne de Koutoukpa », dit-il. Guenou indique que les principales mesures de prévention et de lutte contre les feux de brousse incluent la prévention, la sensibilisation du public sur les risques et les comportements à adopter, la gestion des zones à risque (débroussaillage, création de pare-feu), la surveillance accrue pendant les périodes à haut risque (saison sèche, canicule). « Tout en reconnaissant leur rôle dans certains écosystèmes, la prévention et la gestion des feux de végétation sont essentielles pour réduire leur impact destructeur», précise-t-il.
Maintenir le cap par une participation communautaire
Marchant entre les rangées de ses jeunes plants, Komi, avec ses mains tannées par le soleil et le travail de la terre, touche délicatement les feuilles encore fragiles des arbres qu’il a plantés. Le jeune Akposso affirme être déterminé à poursuivre ses efforts de reboisement sur la montagne de Koutoukpa, malgré les feux de végétation. « Je suis conscient des bénéfices à long terme de cette pratique de reboisement pour ma ferme et la communauté environnante. Je ne compte pas abandonner de sitôt », dit-il. Guenou préconise d’intégrer des espèces d’arbres résistantes aux incendies et de mener des campagnes de sensibilisation pour impliquer les communautés locales. « Il est crucial de former la communauté sur les techniques de reboisement, de mettre en place un système de suivi pour évaluer la croissance des arbres et ajuster les pratiques selon les besoins. Il serait également utile de collaborer avec des programmes et des organisations déjà engagés dans le reboisement au sud du Togo, en adoptant ces pratiques. Le reboisement, peut non seulement compenser les variations de précipitations, mais aussi améliorer les conditions environnementales et socio-économiques de la région du Sud Togo », recommande le scientifique. Komi espère que son initiative inspirera d’autres jeunes maraîchers à suivre son exemple et à adopter des pratiques durables pour lutter contre la désertification et améliorer la résilience de leurs terres agricoles.
Image de bannière : Avec l’aide des membres de sa communauté, Komi Bosso plante des espèces d’arbres adaptées à des conditions arides qui ont contribué à restaurer la biodiversité de la montagne de Koutoukpa et les sols cultivables. Image de Hector Sann’do Nammangue.