- En Afrique centrale, la pression de la sécheresse depuis la zone sahélienne déplace de nombreux éleveurs, parfois hors des limites de leurs pays d’origine.
- L’élevage transhumant est pourtant reconnu, depuis 2023, comme un patrimoine culturel de l’humanité qu’il faut protéger. Depuis 2013, les chefs d’Etat de la sous-région ont alors décidé de le préserver des invasions des politiques et des hommes d’affaires.
La transhumance est au cœur des conflits, parfois mortels, que les Etats de l’Afrique centrale essaient de gérer à travers une politique commune depuis 2022. L’accès aux ressources naturelles, comme l’eau et les pâturages, constitue la principale cause des conflits entre éleveurs et agriculteurs.
L’avancée de la sécheresse, du Sahel vers la zone équatoriale de l’Afrique, force au déplacement de nombreux éleveurs depuis plus de deux décennies. Du Niger à la République démocratique du Congo (RDC), en passant par le Cameroun et le Tchad, les éleveurs transhumants et paysans se disputent constamment les ressources naturelles et versent dans des violences parfois mortelles.
Les transhumances ont lieu, chaque année, à l’arrivée de la saison sèche au Cameroun, au Niger et au Tchad, vers des espaces verdoyants de l’Afrique centrale, particulièrement en Centrafrique. Chaque année, par exemple, 5 000 troupeaux arrivent dans le Nord de la Centrafrique, d’après un reportage de la télévision française France 24. Les éleveurs ne connaissent pas de frontières entre Etats et campent sur certaines terres des communautés avec lesquelles ils entretiennent des relations des plus conflictuelles.
Ces conflits arrivent souvent lorsque les bétails surgissent dans des champs et dévastent les cultures ou lorsque les éleveurs y mettent le feu, comme ce fut le cas en janvier 2024 à Boualy, une ville située au Nord de Bangui, la capitale de la Centrafrique. « Je les ai virés avec des cailloux et des bâtons. Les éleveurs n’étaient pas contents. Ils ont détruit mon champ. La plupart des éleveurs ne distinguent pas les champs et les couloirs de transhumance », a expliqué Julienne à France 24.
Les incidents du même genre se produisent en République démocratique du Congo, autour de la ligne de l’Equateur, dans le nord du pays, où les éleveurs Mbororo, armés, se sont installés depuis 22 ans. Là, les paysans refusent toute cohabitation et les refoulent constamment dans une autre région du pays ou vers le Soudan du sud. Les statistiques manquent sur leurs effectifs exacts. Mais en 2007, l’ONG néerlandaise PAX les a évalués à 16 500 éleveurs conduisant 160 000 têtes de vaches dans les seuls territoires de Dungu, Faradje, Ango et Pokont en RDC.
Dans cette région forestière , au nord de la RDC où la pauvreté touche la majeure partie de la population, l’apprentissage de l’élevage aurait pu constituer une intéressante opportunité, de l’avis d’un spécialiste agropastoral, qui a préféré garder l’anonymat étant donné, la sensibilité de la question dans la région. Mais toute collaboration avec les éleveurs étrangers est interprétée comme une complicité avec l’étranger dans une région où les guerres à répétition alimentent la question de nationalité entre Congolais. « Les Mbororo ne se préoccupent pas des populations qu’elles trouvent et de leurs modes de vie », dit Léonard Adrupiako qui préside la Nouvelle société civile du Congo dans le territoire de Faradje, une entité administrative inférieure à la province dans le nord de la RDC. Il explique, à l’issue d’une consultation menée par son association en 2023 auprès des paysans, qu’il y a urgence que ces éleveurs repartent de la région pour éviter des violences.
Les champs et les routes de transhumances suivent les points d’eau
Les routes de la transhumance et les pâturages mènent aux points d’eau, les mêmes qu’utilisent les champs, dans les zones d’affluence des éleveurs transhumants. Les routes de transhumance semblent pourtant peu maîtrisées, et les déplacements des troupeaux peu suivis au niveau des pays de la sous-région. Pour Serge Riazanoff, qui dirige la plate-forme française de conseils scientifiques pour l’observation VisioTerra, ce déficit peut être comblé en recourant à l’imagerie satellitaire 2D/3D.
Avec sa technologie, à partir de l’analyse d’une photo de troupeau sur un territoire donné, il est possible d’identifier la proximité avec des zones agricoles ou de détecter des routes de transhumances. Un centre de surveillance pourrait ainsi envoyer des alertes, sur le téléphone , aux éleveurs ou aux agriculteurs en vue d’éviter la dévastation des champs. Mais il faudra, pour cela, selon lui, une maîtrise du cadastre agricole à qui une telle technologie peut assouplir le travail. Il sera possible de « comprendre un peu quels sont les corridors privilégiés » et d’envisager une collaboration, explique Riazanoff à Mongabay.
Pour Timea Szarkova, Responsable pays de Concordis international, une ONG britannique qui œuvre à la cohésion sociale entre les éleveurs et les agriculteurs en Centrafrique, le plus important est de considérer aujourd’hui les opportunités qu’offre le phénomène de transhumance transfrontalière aux populations plutôt que d’en rester aux seuls conflits. « On veut que les communautés ne recourent pas à la violence en cas de conflit, et qu’elles continuent à relancer la confiance entre elles-mêmes », indique Szarkova à Mongabay. Les points d’eaux et le vol de bétail, d’après son observation, constituent les principales sources de conflits, outre la destruction des champs. « Cela nous est arrivé qu’un groupe n’a pas attaqué un village [où se trouvaient] des membres qui avaient volé du bétail. Parce que nous avions résolu ce conflit », dit Szarkova.
D’autres acteurs encore, à l’instar d’Africa Parks en Centrafrique, œuvrent à apaiser les conflits entre les communautés riveraines des aires protégées et les migrants éleveurs.
Un patrimoine à protéger, y compris du « néo-pastoralisme »
Sur le plan économique, d’après l’expert de la transhumance de la CEEAC (Communauté Economique des Etats d’Afrique Centrale), Baschirou Moussa Demsa, lors de sa présentation à la réunion du PFBC à Kinshasa le 4 juin 2024, l’élevage sous transhumance représente 3% du PIB de la sous-région. Dans la droite ligne de la Déclaration de N’Djamena adoptée le 26 mai 2013 , l’élevage transhumant est à préserver. Ils le considèrent comme « un vecteur remarquable de structuration des territoires », d’après cette déclaration, et recommandent de développer ses activités légitimes. Bien plus, en décembre 2023 à Kasane au Botswana, l’UNESCO a reconnu la transhumance comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité.
Cependant, cet élevage intéresse depuis plus d’une décennie des riches et des politiques qui financent les éleveurs nomades et grossissent les tailles de troupeaux, accentuant ainsi la pression sur les ressources disponibles. Cette pratique est appelée le « néo-pastoralisme ». La Déclaration de N’Djamena s’en inquiète et prend position pour l’élevage traditionnel à protéger. « C’est une activité assez rentable et ça arrive que ces grands propriétaires, néo-bergers, dirigent des troupeaux qui peuvent arriver même à 10 000, 15 000 bœufs », explique Szarkova de Concordis international présent en Centrafrique.
Pour protéger leurs investissements, les « néo-bergers » n’hésitent pas de donner des armes aux éleveurs, aggravant ainsi les violences et la méfiance des paysans et éleveurs sédentaires vis-à-vis des transhumants.
Faibles réponses à l’échelle des Etats et de la sous-région
Ainsi, les victimes des perturbations climatiques alimentent-elles des conflits en Afrique centrale. Ces conflits se distinguent cependant du « caractère conflictogène » de l’élevage transhumant, fait remarquer Dr Baschirou Moussa Demsa, lors d’une intervention à la 20e réunion du PFBC (Partenariat pour les forêts du bassin du Congo) à Kinshasa, le 4 juin 2024.
Ainsi, en juin 2021, par exemple, un malentendu entre éleveurs et agriculteurs avait dégénéré en violences ayant coûté la vie à 14 personnes en Centrafrique. Dans le nord de la RDC, les incidents mortels et des villages brûlés par des éleveurs Mbororo sont couramment rapportés dans la presse et dénoncés par la société civile.
L’Afrique centrale dispose en plus des frontières poreuses. Surtout, elle fait face à une faible gouvernance foncière et administrative. Le nord-est de la RDC, et celui de la Centrafrique, sur laquelle porte l’étude « Les Peuls Mbororo dans le conflit centrafricain » d’avril 2021 pour l’IFRI (Institut français des relations internationales) de Thierry Vircoulon, spécialiste des conflits dans la région, constituent des zones déshéritées par les pouvoirs publics. En même temps, pour ce qui est de la Centrafrique précisément, la pression humaine sur les ressources naturelles s’accroît. C’est ainsi que « les communautés ont pris l’habitude de défendre leurs intérêts, les armes à la main », alors que « l’administration et sa capacité d’arbitrage entre les intérêts des communautés ont disparu ; et une insécurité omniprésente transforme la brousse en une version africaine du Far West », note l’IFRI dans la même étude.
La CEEAC prépare cependant une politique commune de gestion de la transhumance transfrontalière. Ces responsables et experts se rencontrent de plus en plus, notamment depuis deux ans. Ainsi, la Centrafrique envisage de baliser les couloirs de transhumance et d’établir des points d’eau, a récemment expliqué un administratif à France 24. Ce dernier pays, le Niger et le Tchad, en outre, envisagent de mettre en place d’ici à 2025, une force armée commune pour sécuriser les couloirs de transhumance qui attirent les criminels, selon ce même média.
En attendant les actions des Etats, la pression climatique persiste. Dans la région pastorale Adamawa du Cameroun, il y a eu peu de pluies jusqu’en avril 2024, période pourtant de grandes précipitations. « C’est très grave au Cameroun. Nous n’avons jamais vu cela. Cela touche non seulement les éleveurs mais aussi pour les agriculteurs. Il y a une grande inquiétude au Cameroun actuellement », explique Abdoulaye Nana, Président de l’Association pour la promotion de l’élevage au Sahel, dans un message vocal à Mongabay sur WhatsApp, en mai 2024.
Pour lui, il importe de tenir compte du fait que les éleveurs se déplacent par besoin de survie.« Dans tous les cas, nous sommes des Africains. La notion de frontière ou de nationalité, il faudrait y mettre un bémol. Ce que nous pouvons demander aux Etats, c’est de prendre en compte les spécificités de la population qui se déplace d’un pays à l’autre, et qui ne connaît pas la frontière », dit Abdoulaye Nana.
L’homme et la biodiversité sous la menace de la chaleur en Afrique de l’Ouest
Image de bannière : La transhumance transfrontalière des éleveurs Mbororo à travers l’Afrique alimentent les tensions entre les communautés dans plusieurs Etats du continent. Image de thinkingafrica.