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Affaire Sosucam au Cameroun : des militants associatifs convoqués par la police à la suite de leurs révélations à Mongabay

Un ex employé de Sosucam qui se consacre désormais à l'agriculture pour ses besoins de subsistance, et qui est victime des opérations d'épandage de la société. Image de Mongabay.

Un ex employé de Sosucam qui se consacre désormais à l'agriculture pour ses besoins de subsistance, et qui est victime des opérations d'épandage de la société. Image de Mongabay.

  • Des membres de l’association #OnEstEnsemble, engagés aux côtés du Syndicat des travailleurs saisonniers de la filière canne à sucre de la Haute-Sanaga, ont répondu à une série de convocations des services de la police et du ministère de l’Administration territoriale, parfois en violation de la législation camerounaise.
  • Les interpellations font suite à une enquête de Mongabay publiée en janvier dernier sur les accidents de travail et les allégations de pollution environnementale dans les plantations de la Société sucrière du Cameroun (SOSUCAM).
  • Il leur est reproché de soutenir les actions du syndicat des travailleurs saisonniers, qui nuisent, selon les autorités camerounaises, aux intérêts de cette agro-industrie filiale du groupe français Somdiaa.
  • Un haut responsable de la police avoue subrepticement avoir agi suite à une plainte de la SOSUCAM, alors que les militants de la société civile déclarent n’avoir pas été notifiés au préalable.

Des membres de la société civile au Cameroun ont été harcelés et interpellés à cinq reprises par la police et les autorités, depuis la publication d’une enquête à Mongabay. L’article, qui dévoile les conditions de travail dans les plantations du leader de la production de sucre camerounais, la Société sucrière du Cameroun (SOSUCAM), contient les dénonciations de ces militants. D’après un commissaire de la police, les autorités agissaient suite à une plainte par l’entreprise et un soupçon des motivations de l’organisation civile.

Nous avons contacté SOSUCAM afin d’en savoir plus sur leur implication dans les multiples convocations, mais nos sollicitations sont restées lettre morte.

Ces interpellations sont devenues presqu’une routine habituelle, remarque Adonis Febe, cadre de l’association camerounaise #OnEstEnsemble. Le 22 avril 2024, Febe s’est présenté au commissariat spécial de la ville de Nkoteng, située à 115 kilomètres au nord de Yaoundé, pour y être auditionné après avoir reçu une convocation signée du commissaire de police Divine Forsi. C’était la cinquième fois depuis la parution de l’enquête de Mongabay en janvier dernier, dit-il.

En compagnie d’autres responsables de l’association, ils ont répondu à des convocations similaires à la Délégation générale à la sûreté nationale (DGSN), au siège de la police camerounaise basée à Yaoundé, ainsi qu’à la Sous-préfecture de Nkoteng, un service administratif rattaché au ministère de l’Administration territoriale, quelques fois sans notification formelle.

Selon Adonis Febe, ces convocations se sont souvent faites à travers de simples appels téléphoniques des agents de la police, ce qui constitue une violation du Code de procédure pénale camerounais. Cela a été le cas, le 3 avril 2024, à la direction des renseignements généraux de la DGSN à Yaoundé, où ils ont été auditionnés pendant presque une journée entière. Les responsables de #OnEstEnsemble auraient seulement appris les raisons de leur interpellation une fois au siège de la police, à savoir une plainte de la SOSUCAM en raison de « [leurs] actions, qui nuisent aux intérêts de cette société », dit Adonis dans un entretien téléphonique avec Mongabay.

« Ils nous ont auditionné sur PV (procès-verbal), et à la fin, ils ont exigé que nous nous engagions à ne plus accompagner les travailleurs saisonniers et les riverains [des plantations de SOSUCAM] », dit-il.

Une ferme agricole affectée par les opérations d'épandage de la SOSUCAM. Image de Mongabay.
Une ferme agricole affectée par les opérations d’épandage de la SOSUCAM. Image de Mongabay.

L’association leur a fait savoir que, jamais, ils ne prendraient un tel engagement, parce qu’il y a une convention qui lie #OnEstEnsemble aux travailleurs saisonniers. Ceci dans le but de les accompagner dans la construction efficace de leur syndicat. En ce qui concerne les riverains des plantations, ils ont expliqué que les riverains des plantations de SOSUCAM font partie intégrante de leur organisation. Il s’agit d’une antenne locale de #OnEstEnsemble basée dans le département de la Haute-Sanaga.

« Ceci étant, on ne peut pas s’engager à rompre, de façon unilatérale, un contrat sans au préalable discuter avec les autres parties », déclare Febe.

Le mariage qui fâche

Il est reproché à #OnEstEnsemble, une association créée le 2 juin 2017, de soutenir les actions du Syndicat des travailleurs saisonniers de la filière canne à sucre de la Haute-Sanaga, qui a produit en novembre 2023 un rapport sur la prévalence des accidents de travail dans les plantations de la SOSUCAM. SOSUCAM est une filiale du groupe français SOMDIAA (Société d’organisation de management et de développement des industries alimentaires et agricoles), qui exploite six plantations de canne à sucre à travers l’Afrique.

A la suite de ce rapport, Mongabay a publié l’enquête qui révèle les mauvaises pratiques de la SOSUCAM en matière de gestion des accidents de travail, mais aussi des allégations de crimes environnementaux, qui lui sont reprochés dans le cadre de ses activités. Après, la série d’interpellations des militants associatifs a commencé.

Dans le cadre de son enquête, Mongabay avait adressé une demande d’interview à la SOSUCAM, qui est restée sans réponse. Après la publication de l’article, le Directeur général de la société, Jean-Pierre Champeaux, a été interpellé par l’organisme anglais Business & Human Rights Resource Centre, qui suit plus de 10 000 entreprises dans le monde. A la suite de cette interpellation, le 13 février 2024, le manager français Champeaux a produit un droit de réponse sans pour autant nier les faits relevés dans l’article.

Mais il a toutefois indiqué que la « SOSUCAM se réserve le droit d’exercer des poursuites judiciaires, suite à la teneur de certains témoignages ». Une annonce qui a été suivie par les multiples convocations envoyées par la police à notre source. Par contre, à voir, la société et le syndicat sont déjà impliqués dans de nombreuses initiatives qui indisposent l’entreprise.

Le commissaire de police, Roland Tata Dogo, en service à la direction des renseignements généraux de la DGSN, a conduit l’une des auditions des leaders associatifs. Il avoue subrepticement, dans un entretien téléphonique avec Mongabay, que la SOSUCAM est étroitement liée aux nombreuses convocations adressées aux membres de la société civile à travers la police. Il confirme aussi, que les convocations ont commencé suite à une plainte de l’entreprise.

Mbandjock au bord de la rivière Sanagá, proche de Nkoteng. Son principal secteur d’activité économique est la Société Sucrière du Cameroun, une filiale française de SOMDIAA, qui se consacre aux plantations de canne à sucre. À gauche, au sud de la rivière, on peut voir la zone urbaine en blanc. Les plantations apparaissent en vert clair et en orange. La savane boisée dense est en vert foncé. Savane de prairie est gris rougâtre. Image de Oton Barros (DSR/OBT/INPE).

« L’association #OnEstEnsemble nous a dit qu’elle a constaté que les travailleurs saisonniers [de la SOSUCAM] souffraient dans le cadre de leur métier, et qu’elle a voulu les assister », a déclaré le policier avant d’entamer une série d’interrogations sentencieuses, qui ont constitué la trame de cette audition. « L’association a aussi des intérêts derrière, sinon comment est-elle financée ? Est-ce qu’ils se contentent seulement d’aider les populations qui souffrent ? Est-ce que leur motivation reste seulement sur le fait d’assister les populations ? Est-ce que leur association est vraiment légale ? Est-ce qu’elle est à jour ? », a-t-il poursuivi.

En dépit de son silence, la SOSUCAM a, à la suite de notre publication, exclu temporairement le président du syndicat des travailleurs saisonniers, Mahamat Zoulgue. Celui-ci a été notifié le 9 avril 2024 de sa mise à pied disciplinaire avec incidence financière par Jean-Pierre Champeaux, et est accusé d’« incitation à la révolte » dans les plantations de la société à Nkoteng. Il a néanmoins réintégré les effectifs par la suite.

Mongabay a également appris de sources anonymes, au sein de l’entreprise, que, suite à l’accident de travail ayant entraîné la mort de l’un de ses employés, Mballa Olomo, les autorités judiciaires locales ont ouvert une enquête. Deux cadres travaillant dans le service de la production, André Nang et Ambara Thabené, sont accusés de cet homicide, selon les sources. Ils avaient été interpellés et placés en détention provisoire, avant d’être libérés quelques temps après.

Une vue d'une plantation de canne à sucre exploitée par la SOSUCAM à Nkoteng. Image de Mongabay.
Une vue d’une plantation de canne à sucre exploitée par la SOSUCAM à Nkoteng. Image de Mongabay.

 

Image de bannière : Un ex employé de Sosucam qui se consacre désormais à l’agriculture pour ses besoins de subsistance, et qui est victime des opérations d’épandage de la société. Image de Mongabay.

Cet article a été publié sur le site global de Mongabay le 23 juillet 2024. Consultez la version anglaise ici.

Lire sur Mongabay à ce propos : Au Cameroun, la croissance de l’agro-industrie sème l’espoir et le désespoir au sein des communautés

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