- L'activité humaine, à travers l'électrocution, le braconnage et l'empoisonnement, décime les oiseaux migrateurs surpassant les causes naturelles.
- Les pylônes électriques se transforment en pièges nocturnes pour les oiseaux migrateurs. L'électrocution est la principale cause de décès.
- La demande illégale de viande et de plumes continue de ravager ces populations aviaires.
- Isoler les lignes électriques, arrêter les éoliennes pendant les migrations et renforcer les lois sont des actions vitales pour préserver ces espèces et l'équilibre des écosystèmes.
Les oiseaux migrateurs, ces voyageurs entre l’Afrique, l’Asie et l’Europe, qui rythment les saisons, se heurtent de plus en plus à l’ennemi redoutable que représente l’activité humaine. C’est la conclusion d’une récente étude menée dans le cadre du projet SAVE Flyways, dirigée par BirdLife International et publiée dans la revue The Biological Conservation en avril 2024. Elle sonne l’alerte et souligne que les menaces d’origine humaine surpassent désormais les dangers naturels, décimant ces oiseaux nécessaires pour l’équilibre de l’écosystème.
Les chercheurs ont analysé le corridor migratoire afro-eurasien, qui couvre des régions en Afrique, en Europe et en Asie, notamment des pays comme l’Espagne, la France, l’Allemagne, la Turquie, l’Arménie, Israël, l’Égypte, le Kenya, l’Éthiopie, et jusqu’au sud de l’Afrique. Ils ont constaté que sur 1704 décès enregistrés entre 2003 et 2021 dans 91 pays et 45 espèces suivies, y compris des rapaces, des cigognes et des grues, l’électrocution, le braconnage et l’empoisonnement sont les principales causes de mortalité des oiseaux, surpassant les dangers naturels.
L’homme est responsable de près de la moitié de ces tragédies. Juan Serratosa, Chercheur à la BirdLife International et co-auteur de l’étude, explique que « la mortalité induite par l’homme est plus élevée que la mortalité naturelle ». Il avance aussi que « l’infrastructure énergétique est une menace majeure et qu’elle cause beaucoup de mortalité pour ce groupe d’espèces, de même que le braconnage et l’empoisonnement ».
Ainsi, selon les auteurs de l’étude, l’expansion des infrastructures énergétiques apparaît comme le principal facteur de cette hécatombe aviaire. Près de la moitié des décès recensés sont liés à l’électrocution causée par les lignes électriques non sécurisées. Les pylônes électriques, ces sentinelles silencieuses du progrès, se transforment en pièges mortels pour les oiseaux migrateurs qui, dans leur vol nocturne, percutent les câbles ou s’y électrocutent.
Outre les infrastructures, les menaces d’origine humaine prennent d’autres formes des plus ordinaires. Le braconnage, alimenté notamment par la demande illégale de viande et de plumes, continue de décimer des populations entières d’oiseaux. L’empoisonnement, qu’il soit accidentel ou volontaire, constitue également un danger redoutable, notamment pour les espèces qui se nourrissent de carcasses ou de pesticides.
S’il n’existe pas assez de données pour isoler l’Afrique de l’Ouest en particulier, la tendance générale en Afrique est identique, selon Joseph Kwasi Afrifa, Chercheur à la Ghana Wildlife Society, membre de BirdLife International, dont le travail se concentre sur la conservation des oiseaux migrateurs à grande échelle. « Ce ne sont pas seulement les gens qui tuent ces oiseaux ou qui les chassent. Il y a parfois des causes qui les poussent à se défendre afin de surmonter les problèmes parce qu’un oiseau en vol mange leurs poussins ».
Sauver les oiseaux migrateurs pour préserver la biodiversité
Les pays en développement, notamment africains, pour soutenir leur progrès connaissent une extension des réseaux de production énergétique. Selon Serratosa, le développement des réseaux électriques risque probablement, dans les prochaines années, de produire ou d’augmenter plus d’électrocution . A l’en croire, cela se produit déjà, par exemple, au Kenya et en Éthiopie . Or pour l’heure, ces pays ne prennent pas encore réellement en compte ces préoccupations. Camille Tchankpan, Orthinologue travaillant sur la conservation des oiseaux au Bénin et au Togo et Président de “Oiseaux et Horizons-ONG” au Bénin, explique qu’aucune précaution n’est prise au Bénin et au Togo pour protéger les oiseaux des risques d’électrocution. « Bien que les installations électriques soient indispensables à notre société, il est crucial de considérer leurs impacts négatifs sur la faune aviaire.
Des mesures concrètes et urgentes sont nécessaires pour inverser cette tendance alarmante et protéger ces espèces essentielles à l’équilibre de nos écosystèmes », a-t-il dit. D’après l’étude, l’isolation des lignes électriques, l’arrêt temporaire des éoliennes durant les périodes de migration, la lutte contre le braconnage et l’empoisonnement par le renforcement des lois et la sensibilisation des communautés sont des actions qui, bien que complexes, représentent des solutions viables pour sauver les oiseaux migrateurs .
De plus, la protection des oiseaux migrateurs ne saurait être le combat d’une poignée d’individus. Elle exige une mobilisation collective à tous les niveaux, des communautés locales aux organisations internationales en passant par les acteurs de la société civile et surtout un engagement ferme des gouvernements. Et ce pas, de nombreux pays l’ont désormais franchi, selon Vicky Stones, Coordinatrice scientifique des Voies de migration (Flyways Science Coordinator), chez BirdLife International et co-auteure de l’étude. « De nombreux gouvernements se sont engagés à protéger les oiseaux migrateurs en vertu de la CMS (Convention sur la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage ), et ce qui est nécessaire, c’est une intensification significative de l’action, qu’il s’agisse de faire respecter la tolérance zéro en matière de braconnage d’oiseaux ou de planifier une infrastructure énergétique sûre pour eux », dit Stones.
Elle souligne, pour finir, la nécessité d’une volonté politique pour la mise en œuvre des solutions à l’infrastructure électrique. « Nous savons quels designs d’infrastructure énergétique sont sûrs pour les oiseaux, et il existe des outils pour aider à planifier l’infrastructure énergétique afin de minimiser l’impact sur les oiseaux migrateurs. Il existe des solutions à l’infrastructure électrique existante dangereuse, qui peuvent réduire considérablement les décès, mais cela nécessite une volonté politique », conclut-elle.
Les oiseaux chantent à nouveau dans la forêt sacrée de Titiyo au Togo
Image de bannière : Un défaut de conception approuvé par les agences gouvernementales et l’absence de réglementations gouvernementales visant à assurer la sécurité des oiseaux et des lignes de transmission sont responsables de cette électrocution massive des rapaces. Image par WSCC Mongolia
Citation:
Serratosa, J., Oppel, S., Rotics, S., Santangeli, A., & al. (2024). Tracking data highlight the importance of human-induced mortality for large migratory birds at a flyway scale, Biological Conservation, Volume 293, 110525, ISSN 0006-3207.