- Les inondations qui touchent les régions du lac Tanganyika détruisent les cultures et exposent les victimes à une crise alimentaire certaine.
- D’après le Programme alimentaire mondial (PAM), 21 000 ha inondés sont des terres cultivées. Or, les eaux ne se retirent pas depuis pratiquement le début de la saison pluvieuse dans la région.
- Les victimes risquent de dépendre encore de l’aide humanitaire, alors que les importations alimentaires risquent d’augmenter.
Les inondations, qui touchent le Burundi, le Kenya, la République démocratique du Congo (RDC) et la Tanzanie, compromettent la sécurité alimentaire de ces 4 pays de la région des Grands lacs africains. Puisque, depuis novembre 2023, les cultures sont submergées et pourrissent alors que les eaux ne reculent presque pas.
Dans les régions de l’Est de la RDC meurtries par d’interminables violences armées depuis 1994, dont font partie le Sud-Kivu et le Tanganyika, le Programme alimentaire mondial (PAM) redoute une catastrophe humanitaire. Au moins 471 000 personnes vivent dans des zones inondées, d’après le PAM qui indique, en plus, que sur 451 000 hectares inondés, 21 000 sont des terres cultivées. Plus de 163 000 se trouvent dans le Tanagnyika, d’après le bureau de l’ONU aux affaires humanitaires, OCHA.
« La situation du Tanganyika est lamentable. Tout le littoral du lac et celui de la rivière Lukuga sont inondés et, à présent, nous avons plus de 2000 ménages sans-abris. Leurs maisons sont soit inondées, soit emportées [par les eaux] sous l’œil impuissant de l’autorité [le gouvernement provincial, Ndlr]. Car l’un expédie les affaires courantes en attendant l’investiture de l’autre, qui ne peut rien faire », explique Aimée Muteni, Coordonnatrice adjointe de la société civile du Tanganyika contactée sur WhatsApp.
Cette activiste des droits de l’homme déplore que les déplacés se trouvent à ce jour « abandonnés à leur triste sort » à cause de la paralysie des gouvernements, depuis le long processus d’élection des Gouverneurs et Vice-gouverneurs de province, ainsi que la formation du gouvernement national, à Kinshasa. Pour sa part, le maire de la ville de Kalemie située à proximité du lac Tanganyika, David Mukeba Mbombo, dit ne pas disposer de moyens pour assister les victimes et assure qu’un émissaire de la présidence de la RDC est arrivé sur place pour observer la situation en vue d’une réponse gouvernementale. En attendant, indique le maire, ses services ont désigné un autre site pour relocaliser les victimes des inondations.
Alors que les maladies hydriques se propagent « sans précédent », selon Muteni, les cultures pourrissent sous les eaux du lac en furie. « La plaine de la Rugumba de Kalemie, le territoire de Moba qui est le poumon économique de la province, et le territoire de Kabalo situé à 320 km à l’ouest de Kalemie, sont tous touchés par les inondations. Les routes de desserte agricole [sont] impraticables, le port de Moba [est] englouti, le chemin de fer délabré, ce qui annonce déjà l’insécurité alimentaire. On ne peut se tourner que vers la Tanzanie [pour les importations, Ndlr] avec toutes les conséquences », regrette Aimée Muteni.
Une situation précaire au départ
En RDC, les inondations qui touchent plusieurs villes et centres ruraux, de Uvira dans le Sud-Kivu à Kalemie au Tanganyika, plus au sud, compliquent une situation alimentaire déjà précaire dans cette région qui essaie de sortir d’une décennie d’instabilité. Depuis 2013, à cause de l’activisme des groupes armés qui sévissent, de milliers de personnes ont fui leurs villages et se sont réinstallés à la moindre accalmie parfois de très courte durée, accentuant ainsi une crise alimentaire à ce jour toujours pas encore résorbée dans certaines parties.
A Kalemie où, par exemple, les eaux du lac ont envahi les zones habitées proches de la rivière Lukuga, les habitants ont construit dans les zones inondables sans en être exclus. La rivière Lukuga, exutoire du lac qui déverse ses eaux dans le fleuve Congo, n’a pourtant pas non plus été curée depuis plusieurs décennies.
Par ailleurs, les inondations se répètent, toujours plus inquiétantes, depuis 2019, dans cette région congolaise du littoral du lac Tanganyika. Dans les pays limitrophes, le Burundi, la Tanzanie, notamment, les effets des inondations restent aussi alarmants qu’en RDC.
Au Burundi, plus de 180 000 personnes ont été touchées d’octobre 2023 à mars 2024, avec un impact sur près de 40 000 hectares de champs cultivés, soit 10 % des superficies des cultures vivrières du pays pour la saison culturale 2024. D’après le média local Iwacu, les volontaires commencent à être réinstallées loin des zones inondables.
Risques pour la biodiversité
Rivières non curées et habitations en zones inondables, selon Privato Ilunga qui dirige l’ONG Les Bâtisseurs basée à Kalemie. Ces facteurs expliquent que le quartier DAV, au nord de la ville de Kalemie, soit le plus touché par les inondations. « A ce jour, sur ma plage, les eaux se sont retirées jusqu’à 35 m », explique Ilunga, contacté au téléphone le 12 mai 2024 par Mongabay. En outre, le 13 mai, le maire de la ville a assuré que les eaux envahissent encore les magasins, dans le quartier commercial. Il confirme la disparition des parties des quartiers DAV et Kataki 2 relatée dans un rapport de la Division de l’action humaine établie à Kalemie.
Pour Adams Cassinga, qui œuvre pour la conservation avec l’ONG Congo Conserv, les conséquences de ces inondations peuvent être nombreuses sur les écosystèmes. Elles partent de la perte de l’habitant à la perte de la biodiversité jusqu’à la propagation des maladies hydriques, mais aussi parmi les animaux sauvages. « Les changements dans les habitats aquatiques peuvent affecter les populations de poissons et d’autres espèces aquatiques, ce qui peut avoir un impact sur les communautés locales qui dépendent de la pêche pour leur subsistance », explique Cassinga. Pour lui, il faut aussi redouter désormais que les inondations des toilettes en zones résidentielles ne contaminent les eaux avec, à la clé, la dispersion des déchets solides et produits chimiques.
Phénomène El Niño
Mais, cette catastrophe naturelle s’explique aussi par le phénomène El Niño, de l’avis du PMA et du Climatologue Jean-Pierre Djibu, Professeur à l’université de Lubumbashi. Pour ce dernier, à la suite de ce phénomène, se forment rapidement des cumulonimbus à l’origine des orages qui peuvent parfois déverser d’importantes quantités d’eaux. Selon le PAM, ce phénomène est à l’origine d’une importante élévation du niveau du lac Tanganyika, soit 776,46 m, le niveau le plus élevé du lac en 2023, à 776,72 m au 8 mai 2024.
« Des phénomènes inhabituels, tels que des tornades, ont été observés, provoquant le chavirement de plusieurs bateaux, dont le dernier en date est le bateau Mama Benita en provenance du port de Kigoma en Tanzanie, avec à son bord plus de 40 personnes, 5 véhicules et plusieurs milliers de tonnes de marchandises », indique le rapport de février du PAM sur ce phénomène climatique.
D’après le rapport de l’administration humanitaire provinciale dans la province du Tanganyika, qui date d’avril 2024, dont Mongabay a reçu une copie, les territoires de Kabalo, Kongolo sont les plus touchés par les inondations.
Pour le PAM, le phénomène El Niño exige de mettre en place un système d’alerte précoce impliquant les comités locaux de prévention et de gestion des risques de catastrophes. En outre, il envisage un renforcement des capacités de petits producteurs des bassins inondables avec des itinéraires techniques et des cultures adaptées et résilientes. Pour l’administration publique, au niveau national tout comme au niveau local, il n’y a pas encore de mobilisation pour en limiter les effets de la crise alimentaire quoique désormais certaines pour les déplacées.
Les inondations menacent la sécurité alimentaire en Afrique centrale et de l’Est
Image de bannière : Des pieds de bananiers aux abords des habitations envahis par les eaux. Image par Tarinipre Francis/Mongabay.