- Madagascar manque considérablement de personnel dans ses aires protégées, avec seulement un tiers des effectifs recommandés mondialement, soit un agent par 37,3 km² au lieu de 13 km².
- Ce manque de personnel affecte particulièrement la protection des aires protégées. Une stratégie efficace de surveillance de ces espaces doit inclure non seulement un bon nombre d'agents, mais aussi une forte motivation et une implication locale.
- Au Bénin, la gestion des forêts implique une forte participation des communautés locales, qui fournissent une part importante de la main-d'œuvre dans certaines aires protégées.
- Selon certains experts, la surveillance des aires protégées repose davantage sur une stratégie efficace que sur un effectif élevé, de sorte que la présence des agents sur le terrain soit maximisée pour créer l'illusion d'une surveillance omniprésente. Toutefois, la stratégie doit être soutenue par des moyens adéquats pour les agents afin d'assurer leur motivation et efficacité.
Selon une récente étude publiée dans la revue Conservation and practice, Madagascar fait face à un manque drastique de personnel dans ses aires protégées. L’étude indique que les effectifs de main-d’œuvre, indispensables pour protéger la riche biodiversité du pays, représentent un tiers seulement de ce qui est recommandé au plan mondial, soit un seul agent par 37,3 km2, alors que la gestion efficace des aires protégées nécessite d’avoir un employé pour 13 km2.
C’est la première étude à documenter les ressources humaines des aires protégées dans le contexte des systèmes de gouvernance, des institutions de gestion et des contributions de main-d’œuvre externe à Madagascar.
Ladite étude indique que le déficit de personnel influe sur le fonctionnement des aires protégées à plusieurs niveaux, mais surtout sur la gestion sur le terrain. Domoina Rakotobe, Chercheure au Département de géographie de l’université d’Antananarivo et co-auteure de l’étude, explique à Mongabay que « certains manques, au niveau administratif ou du management, sont souvent compensés par l’appui au niveau des sièges des organisations gestionnaires d’aires protégées. Par contre, au niveau terrain, le manque de personnel est ressenti très fortement surtout pour la surveillance et l’application de la loi ». Rakotobe travaille, depuis une quinzaine d’années, sur des projets liés au renforcement des capacités des gestionnaires des aires protégées, à Madagascar et dans plusieurs pays d’Afrique. Elle affirme que «lorsqu’il y a peu de personnel sur terrain, des rangers, il est difficile de couvrir toute la zone à protéger, le rapportage des activités illégales est plus lent et il est difficile de se mobiliser rapidement, par exemple en cas de feu ».

L’intégration des communautés locales
Au Bénin, la gestion des forêts est principalement assurée par la Direction générale des eaux et forêts et chasse. Cette structure est responsable de la définition et de la mise en œuvre des politiques et réglementations forestières, sous l’égide du Ministère du Cadre de Vie et des Transports, en charge du Développement Durable (MCVTDD). Cette direction administre la majorité des domaines forestiers classés (58 massifs forestiers), qui sont des patrimoines nationaux appartenant à l’État central.
De façon générale, plusieurs spécialités interviennent dans la gestion des aires protégées. Elles vont de l’administration, à la police forestière en passant par les chercheurs, le génie forestier, les rangers, etc. Aussi, les aires protégées collaborent-elles considérablement avec les communautés locales. Ces dernières participent à divers niveaux telles que les patrouilles, la surveillance de la biodiversité et la conduite d’activités de restauration écologique.
Rakotobe et ses collègues montrent l’importance de la contribution des communautés locales aux activités de gestion des aires protégées. Dans certaines catégories d’aires protégées, elles contribuent jusqu’à 52 % de la main d’œuvre. Il s’agit d’une réalité dans de nombreux pays africains notamment le Bénin. Dans ce pays d’Afrique de l’Ouest, les forêts classées et autres aires protégées représentent environ 25 % du territoire national et la loi portant régime général des forêts organise et encourage depuis 1993 la participation des populations riveraines à la gestion des aires protégées.
Personnel insuffisant dans les massifs forestiers béninois
La forêt sacrée de Pahou au sud du pays qui s’étend sur une superficie de 765 hectares (soit près de 1070 fois la taille d’un terrain de football), compte sept agents de la police forestière, 3 gardiens (des civils), recrutés et rémunérés par les communautés riveraines réunies à travers le comité intervillageois de co-gestion, grâce aux recettes issues de la vente des produits forestiers. Un personnel pas tout à fait suffisant pour le Capitaine Ibrahim Jabarou, Conservateur adjoint de deuxième classe et Coordonnateur de la cellule technique d’aménagement forestier de la forêt classée de Pahou. « En tenant compte du ratio effectif et espace à couvrir, ce n’est pas suffisant. Donc, on fait avec. Mais si l’approche participative dans laquelle nous sommes marche bien, c’est que tous les villages, toute la population est en même temps chargée de la surveillance », a-t-il indiqué. Jabarou dit à Mongabay que « ces gardiens nous appuient dans la protection de la forêt. Donc, ils font la surveillance avec nous, ils sont des guides, ils sont des pisteurs, comme ils sont au sein de la population, ils ont l’information, ils nous filent l’information, et nous, on agit ».
La stratégie au coeur de la surveillance
Brice Sinsin, Professeur à la Faculté des sciences agronomiques et Directeur du Laboratoire d’Ecologie Appliquée de l’université d’Abomey- Calavi au Bénin, estime que la question de la surveillance des aires protégées n’est pas liée qu’à l’effectif. « On dit que plus l’aire est grande, plus il faut d’effectifs. Non, je crois qu’en matière de surveillance, c’est beaucoup plus une question de stratégie. La stratégie, c’est une réflexion intellectuelle pour pouvoir asseoir une bonne action en réponse aux problèmes qui se posent. Ce qu’on essaie de faire, c’est d’être suffisamment présent, de brouiller la présence des agents sur le terrain, au point où on aura l’impression qu’on est partout. Mais ne liez pas la surveillance à l’effectif », a martelé Sinsin. Il insiste, toutefois, qu’une bonne stratégie n’exclut pas les moyens à mettre à la disposition des agents.

« Il faut aussi que les moyens suivent la stratégie. Donc je crois que c’est beaucoup plus une question de stratégie et de motivation des agents. Quelqu’un qui a le ventre affamé, vous avez beau lui mettre une mitrailleuse derrière le dos, il ne sera pas du tout motivé à aller débusquer le braconnier », a précisé Sinsin.
Rakotobe pense que l’attachement au lieu est un facteur supplémentaire de motivation des agents. « Au cours de notre recherche, nous avons trouvé un facteur de motivation très intéressant: l’attachement au lieu, que ce soit pour les employés salariés ou les communautés locales. En d’autres termes, le désir de protéger un endroit est lié à sa valeur sentimentale: c’est le lieu où l’on a grandi, ou la famille vient ou y vit encore. Chacun veut contribuer à sa protection durable. Cela a plusieurs implications comme favoriser le recrutement local dans les aires protégées, encourager l’éducation environnementale basée sur le lieu, renforcer l’appropriation locale et nationale de la conservation », dit Rakotobe.
L’étude propose enfin l’élaboration d’une politique de ressources humaines (RH) plus inclusive ainsi que des efforts accrus pour atteindre les ratios de dotations recommandées, soit une multiplication par huit des effectifs, au cours des 7 prochaines années. L’évolution des politiques de ressources humaines afin de mieux impliquer les communautés locales renforcerait la résilience des aires protégées, en comblant les déficits de personnel de manière rentable et durable pour atteindre l’objectif “30 millions d’ici 30”.
L’exploitation des drones pour préserver la biodiversité à Madagascar
Citation:
Rakotobe, D. J., & Stevens, N. J. (2024). Closing staffing gaps in Madagascar’s protected areas to achieve the 30 by 30 conservation target. Conservation Science and Practice, e13118. https://doi.org/10.1111/csp2.
Image de bannière : Les éco-gardes du Cameroun. La protection des aires protégées nécessite une surveillance accrue de ces espaces, ce qui requiert un nombre suffisant de ces agents.Image par Sonia V. Etok