- Alors que les menaces pesant sur les rhinocéros africains ne cessent de s'intensifier, une étude met en lumière le rôle essentiel des cadres institutionnels et des politiques économiques dans la préservation de ces emblématiques pachydermes.
- Selon les auteurs de cette étude, droits clairs, tarification réfléchie et partenariats public-privé peuvent renforcer la conservation, mais avec une approche globale priorisant la survie des populations.
- L'étude révèle des disparités entre les pays selon leur adoption de la décentralisation et la diversité institutionnelle, souligne la primauté de la survie des espèces sur les considérations économiques.
La conservation des rhinocéros africains est un enjeu crucial pour la préservation de la biodiversité et des écosystèmes du continent. Ces majestueux animaux, dont les populations ont été décimées par le braconnage et la perte d’habitat, jouent un rôle vital dans le maintien de l’équilibre environnemental. Cependant, les efforts déployés pour assurer leur survie se heurtent à des défis complexes comme le braconnage, la perte d’habitat naturel due à l’expansion des activités humaines, les conflits d’intérêts et la difficulté de concilier la conservation avec les besoins économiques des populations locales. Relever ces défis nécessite de tenir compte de tous les aspects liés (environnementaux, sociaux, économiques, politiques, culturels…) et de rassembler les connaissances et expertises de différentes disciplines comme l’écologie, l’économie, le droit, ou encore l’anthropologie.
C’est dans cette optique qu’une étude publiée en mars 2024 dans la revue Ecological Economics, menée par Michael ‘t Sas-Rolfes et Richard Emslie, a examiné les influences interactives des propriétés, des prix et des politiques des institutions de marché sur la conservation des rhinocéros africains. Michael ‘t Sas-Rolfes, Economiste de la conservation et Chercheur associé à l’université d’Oxford, et Richard Emslie, Chercheur à l’université de Stellenbosch en Afrique du Sud et membre du Groupe de spécialistes du rhinocéros d’Afrique de l’UICN, ont combiné leurs expertises en économie, droit et écologie pour cette recherche.
Leur étude apporte la lumière sur l’importance cruciale des droits de propriété clairs, sécurisés et transférables dans la conservation des rhinocéros. Comme l’affirment les auteurs, « les droits de propriété formels forts favorisent les initiatives individuelles de conservation des terres privées par le biais de divers processus psychologiques ». L’étude souligne également l’utilité de classifier les biens et ressources en quatre catégories distinctes – privés, toll (accès payant), communs et publics – en fonction de leurs attributs d’exclusivité et de rivalité. Cette typologie influence grandement les modalités de gestion et les incitations à la conservation.
Au cœur des recommandations de l’étude, figure également le rôle primordial des politiques de fixation des prix (notamment les tarifs d’accès et d’utilisation des aires protégées, les tarifs des safaris…) dans la préservation des rhinocéros. Des prix reflétant fidèlement les coûts et les bénéfices sociaux liés à ces animaux peuvent encourager une utilisation durable des ressources et dissuader le braconnage. Cependant, ces mécanismes économiques ne peuvent être pleinement efficaces que s’ils sont associés à des mesures visant à lutter contre les facteurs aggravants tels que la corruption, manque de transparence et de partage d’informations entre autorités, ONG, entreprises privées, communautés locales… et les conflits d’intérêts, qui peuvent saper les efforts de conservation. Selon Michael ‘t Sas-Rolfes et Emslie, «parce que les rhinocéros d’Afrique ont à la fois des attributs de biens publics et privés, un ensemble diversifié d’arrangements institutionnels (impliquant à la fois des acteurs publics et privés) est le plus susceptible d’être optimal ».
L’analyse historique menée dans le cadre de cette étude révèle également des disparités frappantes entre les pays de l’aire de répartition des rhinocéros africains, répartis en trois catégories selon leur succès en matière de conservation. La première catégorie, comprenant l’Afrique du Sud, la Namibie, le Kenya et le Zimbabwe, a adopté d’importantes réformes de décentralisation et une diversité institutionnelle significative, permettant à leurs populations de rhinocéros de prospérer grâce à des partenariats avec des acteurs non étatiques. La deuxième catégorie regroupe cinq pays dont les populations indigènes de rhinocéros ont failli disparaître avant d’être renflouées par des réintroductions. Enfin, la troisième catégorie rassemble onze pays où les populations indigènes ont été braconnées jusqu’à l’extinction, illustrant les défis persistants de la conservation. Les auteurs soulignent que «la performance des régimes de propriété étatique, d’entreprise, communautaire et autres régimes de propriété collective est influencée par les incitations organisationnelles internes».
Les conclusions de l’étude appellent à une réévaluation en profondeur des stratégies de conservation des rhinocéros africains. Elles mettent en avant la nécessité d’adopter des cadres institutionnels robustes, garantissant des droits de propriété clairs et une tarification appropriée des ressources naturelles. Mais ces mesures ne peuvent être pleinement efficaces que si elles s’accompagnent d’une compréhension fine des contextes locaux et d’une implication active des communautés concernées. Les auteurs recommandent une approche intégrée, combinant des mesures de décentralisation, des droits de propriété forts et des incitations économiques judicieuses, comme la voie à suivre pour assurer la pérennité de la conservation de ces espèces emblématiques.
Cependant, Marthe Kouao, Enseignant-chercheur à l’université Félix Houphouët Boigny d’Abidjan en Côte d’Ivoire et Experte en gestion des conflits homme-faune, émet une réserve sur le rôle des propriétés privées dans l’augmentation des populations de rhinocéros. Selon l’experte, «ce succès ne peut être considéré comme acquis et indiscutable que si les menaces pesant sur l’habitat de l’espèce sont effectivement maîtrisées, et que la survie des animaux prévaut sur les considérations économiques de ces initiatives privées». Kouao souligne également que, qu’ils soient publics ou privés, les acteurs impliqués dans la conservation disposent des outils nécessaires pour assurer la survie et la croissance durable des populations de rhinocéros, à condition que la préservation de l’espèce demeure l’objectif primordial guidant leurs activités et leur fonctionnement.
En définitive, cette étude met en évidence la nécessité d’un cadre institutionnel diversifié, impliquant des acteurs publics et privés, pour optimiser la conservation des rhinocéros africains. Des arrangements institutionnels variés, conjuguant des politiques de conservation efficaces, des droits de propriété solides et des prix reflétant les valeurs sociales réelles, constituent la clé pour relever ce défi environnemental majeur. Une approche globale, prenant en compte les spécificités locales et les dimensions économiques, juridiques et écologiques, apparaît ainsi indispensable pour préserver durablement ces joyaux de la faune africaine.
Image de bannière : Les chercheurs appellent à réévaluer en profondeur les stratégies de conservation des rhinocéros africains. Ils demandent d’adopter des cadres institutionnels robustes, garantissant des droits de propriété clairs et une tarification appropriée des ressources naturelles. Image par Mongabay.
Citation :
Sas-Rolfes, M. & Emslie, R. (2024). African Rhino Conservation and the Interacting Influences of Property, Prices, and Policy. Ecological Economics, Volume 220, 108-123. https://doi.org/10.1016/j.ecolecon.2024.108123 .