- Dans une étude publiée par la revue Conservation Letters, des écologistes et scientifiques aux États-Unis, en Afrique et en Europe, révèlent que la conservation du colobe rouge (Piliocolobus), un primate en danger critique d’extinction, contribue à l’amélioration des services écosystémiques forestiers, augmentant le potentiel de stockage du carbone pour compenser les effets du changement climatique.
- L’espèce est essentiellement présente en Afrique dans près d’une vingtaine de pays. Mais dans le massif forestier d’Ebo au Cameroun, elle n’a plus été aperçue depuis plus d’une décennie, et aurait disparu sous la pression de la chasse illégale et de la dégradation de son habitat.
- Le Groupe des spécialistes des primates de l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN) et la Société africaine de primatologie ont élaboré un Plan d’action de conservation de ce primate sur la période 2021-2026 évalué à près de $20 millions et appellent les États et les organisations internationales à investir pour sa mise en œuvre
YAOUNDÉ, Cameroun – Les colobes rouges (Piliocolobus), des primates que l’on retrouve exclusivement en Afrique, traduisent un signe de vitalité des forêts tropicales africaines. Leur disparition pourrait s’avérer préjudiciable pour la biodiversité de ces forêts, à en croire le Professeur Joshua Linder, Anthropologue à la James Madison University dans l’État de Virginie aux États-Unis. Il a codirigé, avec plusieurs autres chercheurs aux États-Unis, en Afrique et en Europe, une récente étude publiée dans la revue Conservation Letters, sur l’urgence de la conservation des colobes rouges.
« Le déclin de la population de colobes rouges (ou roux) est un important signe d’alerte précoce des changements, qui affectent l’écosystème forestier. Après le déclin et la disparition du colobe rouge d’une forêt, si les menaces humaines se poursuivent, d’autres espèces suivront la même trajectoire jusqu’à ce que la forêt soit vidée de ses grands mammifères », dit le primatologue américain dans un entretien par courriel avec Mongabay.
Selon cette étude, les forêts d’Afrique regorgent trois principales espèces de colobes, à savoir le colobe rouge (Piliocolobus), le colobe olive (Procolobus) et le colobe noir et blanc (Colobus). Concernant les colobes rouges en particulier, les scientifiques dénombrent à ce jour 17 espèces, exclusivement en Afrique subsaharienne, de l’Ouest du Sénégal jusqu’à l’archipel d’Unguja à l’Est de Zanzibar en Tanzanie. Leurs habitats sont généralement les forêts tropicales, les mangroves, les zones boisées, ainsi que les savanes sèches, à des altitudes allant jusqu’à 2600 mètres au-dessus du niveau de la mer.
Ces primates sont parmi les espèces les plus braconnées dans les forêts tropicales africaines et figurent d’ailleurs sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN), des espèces en danger critique menacées d’extinction.
Le Professeur Inza Koné, Directeur général du Centre suisse de recherches scientifiques en Côte d’Ivoire (CSRS), a dit à Mongabay dans un entretien par courriel que « les principaux facteurs du déclin des populations de colobes rouges sont la destruction des habitats et le braconnage ». Le primatologue explique en outre que « les colobes rouges, en général, font partie des espèces les plus vulnérables à ces deux facteurs. Ils supportent mal la pression et, en raison de leur taille relativement grande, ils font partie des espèces de primates les plus visées par les braconniers d’autant qu’ils sont relativement faciles à repérer en forêt, en raison de leur comportement souvent bruyant ». Il existe d’ailleurs des zones dans le bassin du Congo où l’espèce n’a plus été aperçue depuis plus d’une décennie.
Frugivore et agent de dispersion de graines favorables à la croissance des forêts
Nkemnyi Standly Nkengbeza, Chercheur à l’Herbier national du Cameroun (HNC), a entamé depuis 2021 des travaux de recherche sur l’écologie et la conservation des primates dans le Massif forestier d’Ebo, une réserve de biodiversité d’une densité de près de 200 000 hectares dans le bassin du Congo, objet de toutes les convoitises, et qui abritent plusieurs variétés de primates. Ses travaux s’inscrivent dans le cadre de son doctorat à l’université de Buea au sud-ouest du pays. Au cours des trois dernières années, le chercheur camerounais a passé au peigne fin cette forêt, et a pu recenser neuf espèces de primates sur les onze qu’on y retrouve. Mais sur sa liste, le colobe rouge n’y figure pas.
« Dans le cadre de ce travail, je collecte les données sur tous les primates de la forêt, pour étudier la diversité et leur statut de conservation (…) Parmi les espèces que j’ai pu identifier, il n’y a pas de Red Colobus (Colobe rouge), malgré nos multiples recherches en forêt », a-t-il dit dans un entretien téléphonique à Mongabay.
Les colobes rouges auraient totalement disparu d’Ebo et n’ont plus été aperçus dans cette forêt depuis 2012, selon les chercheurs. On n’en sait pas également grand-chose, au cours de ces dernières années, sur la destinée des colobes rouges présents dans le Parc national de Korup, au sud-ouest du pays, en raison de la crise sociopolitique qui règne dans la zone depuis 2016.
Les chercheurs affirment pourtant que les colobes, à l’image des éléphants de forêts, jouent un rôle capital dans la croissance des forêts tropicales. « Le colobe, comme d’autres espèces de singes, est frugivore. Forcément, il aide à disséminer les graines de beaucoup d’espèces de plantes et d’arbres forestiers », a expliqué Dr Eric Djomo Nana, Expert en biologie de la conservation, consulté par Mongabay. Le Chef service faune à l’Institut de recherche agricole pour le développement du Cameroun (IRAD) renchérit : « Étant donné que ce n’est pas encore une espèce très bien connue, de même la synergie entre elle et des types d’arbres spécifiques de la forêt n’est pas encore évidente. Mais il en existe, et il est certain que si le colobe disparait, ces arbres aussi vont disparaitre, et ces arbres peuvent avoir des rôles clés dans l’écosystème de l’environnement : régulation du climat, purification des eaux, recyclage de la matière, etc. Donc, sa disparition peut entrainer un bouleversement de tout l’écosystème ».
Un plan d’action de conservation quinquennal
Dans cette étude, les chercheurs regrettent que les États africains et même la communauté internationale de conservation ignorent abondamment l’existence de ces singes et leurs besoins en matière de conservation. Ils croient savoir que cela est dû, en partie, à l’absence de populations de colobes rouges en captivité dans les zoos ou les sanctuaires de faune sauvage, car ils ne survivent pas en captivité et il est donc impossible d’envisager un plan d’élevage dans un zoo. Les colobes rouges ne sont pas, non plus, exposés dans les musées ou mis en valeur dans les documentaires populaires sur la nature. Par conséquent, ils appellent les États et les organisations internationales à investir dans la conservation des colobes rouges pour maintenir la santé des forêts tropicales africaines et réduire la prévalence de la chasse non durable pour la viande de brousse.
Pour ce faire, un élogieux Plan d’action de conservation des Piliocolobus a été élaboré par le Groupe des spécialistes des primates de l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN) et la Société africaine de primatologie. Ledit plan a répertorié 72 sites prioritaires d’intervention dans la vingtaine de pays africains où on recense les 18 espèces de colobes rouges, et préconise des actions qui serviront de boussole pour des stratégies efficaces et durables, afin de prévenir l’extinction des colobes rouges et de préserver les forêts tropicales africaines.
La mise en œuvre de ce plan d’action s’étale sur cinq ans (2021-2026), et le budget est chiffré à $20 millions. En termes d’actions prioritaires à mener, les scientifiques suggèrent que les gouvernements adoptent une approche multifacette qui combine la protection légale par la mise en place ou le renforcement de lois contre la déforestation, la chasse illégale et le commerce d’espèces sauvages. Ils préconisent aussi la gestion des habitats en particulier dans les aires protégées, la recherche scientifique pour générer des connaissances utiles à la conservation de l’espèce et l’engagement communautaire par la sensibilisation et diverses formes d’incitations. Enfin, souhaitent-ils la collaboration internationale pour mutualiser les moyens, partager les meilleures pratiques et mieux coordonner les efforts, en particulier dans les zones transfrontalières, etc.
Image de bannière : Le colobe rouge de Zanzibar (Procolobus kirkii) est une espèce de singe colobe rouge endémique d’Unguja, l’île principale de l’archipel de Zanzibar, désormais classée parmi les espèces en voie de disparition. Image de Harvey Barrison via Wikimedia commons CC 2.0.
Citation :
Linder, M. J., Cronin, T. D., Ting, N., and al. (2024). To conserve African tropical forests, invest in the protection of its most endangered group of monkeys, red colobus, Conservation Letters, e13014, 1-9. https://doi.org/10.1111/conl.13014.