- Les éleveurs Mbororo, venus de l’Afrique centrale vers la République démocratique du Congo (RDC), se sont installés dans le nord du pays où les relations avec les populations autochtones sont tendues depuis plus de deux décennies.
- L’idée de collaboration, pour des enrichissements mutuels sur les techniques d’élevage ne semble pas intéresser les populations locales, mais plutôt leur départ de la région.
- Les conflits à résonnance identitaire, qui alimentent les violences armées dans l’Est du pays, semblent influer sur l’accueil des éleveurs nomades venus d’ailleurs.
Début septembre 2023, plus de 300 ménages comprenant plus ou moins 2000 personnes ont abandonné 3 villages du territoire de Dungu, dans la province du Haut Uele, dans l’extrême nord de la République démocratique du Congo (RDC). Ces personnes fuient les Mbororo, des éleveurs nomades à la recherche des pâturages.
Récemment, le 10 mai 2024, d’après le média congolais Actualite.cd, ces éleveurs se sont installés dans la forêt de Bira et Lau-Est, dans le secteur de Yakoma, dans la province du Nord-Ubangi, en provenance de Bas-Uele. Le même média les signale aussi dans la forêt de Gembere, dans la même région. Leur nombre reste tout de même difficile à établir en raison de leur dispersion sur le territoire nord de la RDC et de l’accès difficile aux statistiques officielles. Toutefois, en 2007, une étude de l’ONG néerlandaise PAX en avait identifié 16.500 dans les territoires congolais de Dungu, Faradje, Ango et Poko avec 160.000 têtes de vache.
Relations tendues
La méfiance caractérise ainsi les relations entre les éleveurs Mbororo et les populations autochtones chez qui transitent leurs troupeaux. « La cohabitation est vraiment difficile », assure Léonard Adrupiako, Coordonnateur de la société civile Forces-Vives du territoire de Faradje, joint au téléphone par Mongabay. La cause principale de ces tensions, parfois violentes et mortelles, est l’accès aux terres.
Le nord de la RDC est une région agricole où l’élevage des bovidés est peu développé. Or, dans la migration du bétail, les animaux dévastent les cultures, occasionnant ainsi des pertes de récoltes pour les agriculteurs. Lors de la transhumance, les troupeaux tracent aussi des itinéraires sous forme de route qui ne sont guère appréciées, de sorte que cela marque les esprits comme étant une destruction des écosystèmes locaux, d’après Léonard Adrupiako.
En plus, l’étude menée par le Centre des recherches des ressources en eau du Bassin du Congo (CREEBac), une ONG congolaise, montre que la pression des cheptels de plusieurs milliers d’animaux sur les eaux est importante. La migration des Mbororo « se fait aussi avec une grande pression sur les ressources naturelles des forêts du Bassin du Congo, notamment les ressources en eau », a déclaré Raphaël Tshimanga à Radio Okapi, le média de la mission onusienne en RDC. Quant aux éleveurs eux-mêmes, en revanche, la sécheresse qui gagne de l’espace au sahel, les a chassés de leurs pays et les a conduits jusqu’en Centrafrique voisine de la RDC, et ils sont à ce titre considérés comme des victimes climatiques.
Dans des groupes de la messagerie WhatsApp, des appels des utilisateurs à ne pas consommer la viande de vache des Mbororo circulent, et témoignent de l’envergure des tensions. En outre, la société civile du territoire de Faradje, situé à environ 350 km de Isiro, la capitale de la province du Haut-Uele, n’a pas apprécié que l’administrateur du territoire ait acheté des vaches aux pasteurs Mbororo et qu’il se soit montré peu pressé de les voir quitter la région alors que cela avait été décidé au cours des réunions conjointes services de sécurité-société civile tenues en 2023. Elle a ainsi demandé son limogeage pour complicité avec les éleveurs, comme l’indique le rapport dont Mongabay a reçu une copie.
A Dungu, à la demande de la population, les mêmes éleveurs ont tenté de quitter le Congo vers le Soudan du Sud, mais l’armée de ce pays leur aurait refusé l’entrée sur son territoire. Ils sont ainsi revenus s’installer au parc national de Garamba situé dans le nord de la RDC, explique l’administrateur du territoire, Marcel Abule Kpineliede, au média congolais Actualite.cd.
Joint au téléphone le 25 mai dernier par Mongabay, Emmanuel Madrandele Mandabah, l’administrateur du territoire de Raradje, assure que depuis deux semaines [semaine du 6 au 12 mai, Ndlr], les Mbororo ont été chassés du territoire et ont établi leur campement le long de la frontière avec le Soudan du Sud.
Pas de cohabitation possible, pas d’apprentissage mutuel
Originaires du Cameroun, du Tchad, de la Centrafrique et du Niger, les Mbororo sont porteurs des savoirs qui font d’eux des éleveurs remarquables. Dans une région agricole comme le nord de la RDC, une collaboration avec les communautés locales pourrait s’avérer enrichissante pour tous, particulièrement pour les populations congolaises, pense un expert agropastoral de la région. Au regard de la sensibilité de la question dans la zone, l’expert préfère évoquer le sujet en gardant l’anonymat.
« Il faut leur apprendre les techniques d’élevage dans le but de maximiser la meilleure production dans l’élevage, parce que la province du Haut-Uele est encore vierge sur le plan de l’élevage. Mais ce sont des peuples nomades, très compliqués [les Mbororo]. Pour les convaincre et se familiariser avec eux, ça demande d’abord beaucoup de stratégies », explique l’expert agropastoral. Pour lui, une telle perspective, ainsi que le fait de payer des tributs aux chefs traditionnels (une pratique courante symbolique dans la région) par les éleveurs, devrait améliorer les relations.
Il reste cependant convaincu, lui aussi, que la destruction des champs des autochtones complique ce rapprochement. « Les bêtes sont en divagation, surtout à l’heure des déplacements vers un autre territoire ou une entité préférée », explique la même source.
Or, pour Léonard Adrupiako de la société civile de Faradje, cette option n’est pas envisageable. Puisque, selon lui, l’idée d’enrichissement mutuel suppose une cohabitation. Pourtant, explique-t-il, les Mbororo ne se préoccupent pas des populations qu’elles trouvent et de leurs modes de vie. Il explique, à l’issue de l’étude menée en 2023 sur la question, qu’il y a urgence que ces éleveurs repartent de la région pour éviter des violences.
Pour l’administrateur du territoire de Faradje, Emmanuel Madrandele Mandabah, les relations ne sont pour autant pas totalement rompues entre éleveurs nomades et autochtones. La population vende la nourriture aux éleveurs qui sont bons payeurs. Puisqu’ils paient plus cher. Un sac de farine de maïs est vendu à 25 000 ou 30 000 francs congolais [environ 10 et 15 USD, Ndlr], contre 15 000 et 20 000 Francs congolais sur le marché. « La population profite de la présence des Mbororo », dit l’administrateur, qui note tout de même que cela déplaît à ceux qui voudraient les voir partir de la région.
Les allées-venues des Mbororo en RDC
En 2019, les Mbororo avaient été chassés de la région, avant d’y revenir en 2023. Du Bas-Uele, où ils sont arrivés depuis leur passage éclair dans l’Ituri, leur point d’entrée en RDC à partir du Soudan du Sud aux alentours de 2002, ils ont gagné le Haut-Uele et récemment le Nord-Ubangi, dans l’extrême nord-ouest. « Ils n’ont pas trouvé de bons pâturages dans l’Ituri et sont partis dans le Haut-Uele. C’est là qu’ils se sont installés, profitant des végétations plus denses et des forêts », explique Trésor Abaingi, habitant de Bunia contacté par téléphone.
A leur arrivée, ils étaient 60 000 avec environ 100 000 têtes de taureaux et vaches. Dans un premier temps, les autorités congolaises ont voulu les refouler, comme le firent l’administration du président Mobutu en 1988 et l’administration coloniale belge en 1940 et dans les années 1960, rappelle le site Web catholique suisse Cath.chcitant l’agence de presse APIC. Mais, l’Union africaine (UA) n’encouragea pas l’initiative et indique, d’après la source précédente, en septembre 2010 à la délégation des experts congolais dépêchés à son siège à Addis-Abeba en Ethiopie, qu’en tant qu’Africains, les Mbororo « avaient droit à l’hospitalité sans bornes de la RDC pour ne pas devenir des apatrides » .En ce moment, le Congo souffre déjà des violences nourries notamment par des étrangers à l’instar de la rébellion ougandaise de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA).
Ce conflit, qui couve depuis plus de deux décennies maintenant, pourrait échapper à tout contrôle, faute d’une réponse adéquate et à cause de l’accumulation des frustrations dans un contexte régional dominé par les conflits au narratif bien axé sur la nationalité congolaise, pense Léonard Adrupiako.
95 000 hectares de terres communautaires octroyées à une société camerounaise peu connue
Image de bannière: La transhumance des éleveurs Mbororo alimente des tensions en République Démocratique du Congo où la cohabitation est difficile voire impossible avec les communautés locales dans les régions occupées par ces pasteurs nomades. Image par Village Aid.