- Le Togo a rapatrié vers le Brésil en février dernier 17 Tamarins-lion dorés communément appelés singes, ainsi que 12 grands perroquets Arara saisis sur ses côtes.
- Les animaux capturés au Brésil étaient destinés à la vente sur le marché international avec de faux permis CITES prétendument délivrés par l'organe de gestion CITES de la Guyane, pays exportateur selon les trafiquants.
- L’arrestation des trafiquants a été facilitée par TWIX WEST AFRICA, une plate-forme de collaboration entre les organismes d'application de la loi engagés dans la lutte contre le commerce illégal d’espèces sauvages, et les activités criminelles qui y sont liées.
Début février 2024, un navire en détresse sur les côtes togolaises a été secouru par les services de la marine togolaise et de la Brigade maritime. À son bord, se trouvaient étrangement 17 Tamarins-lion dorés (Leontopithecus rosalia), communément appelés singes, ainsi que 12 grands perroquets Arara, que tentait de faire traverser par les eaux togolaises un réseau de trafiquants. Après investigation et grâce à l’appui d’un vaste réseau d’acteurs et de la population, cinq (5) trafiquants ont été appréhendés. Parmi eux se trouvent un Togolais faisant office d’intermédiaire, un Brésilien, un Surinamien et un Israélien supposé être le cerveau de ce groupe de trafiquants et qui est parvenu à s’échapper.
Ces animaux, qui étaient destiné à une société béninoise selon les faux documents présentés par les trafiquants, sont classés dans la catégorie « en danger » sur la liste rouge de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature). Il s’agit des espèces menacées par la perte de leur habitat et par leur capture et vivant pour le commerce d’animaux de compagnie exotiques.
Ils sont également inscrits à l’annexe I de la CITES (Commerce international des espèces sauvages), ce qui rend leur commerce international illégal. En effet, les Tamarins-lion dorés sont une espèce rare, exclusivement présente dans la forêt atlantique de l’État de Rio de Janeiro au Brésil, tandis que les perroquets Arara sont endémiques d’une région isolée de l’État de Bahia dans le même pays.
Grâce à TWIX WEST AFRICA
Si le sauvetage du navire en détresse et l’arrestation des trafiquants ont été possibles avec la prompte réaction des services de la marine togolaise, c’est aussi grâce à un outil dénommé “WEST AFRICA TWIX” (Trade in Wildlife Information eXchange).
Géré par TRAFFIC, leader mondial du conseil sur le commerce illégal des espèces sauvages, et développé dans le cadre du programme WABiLED (West Africa Biodiversity and Low Emissions Development) financé par l’USAID, TWIX Afrique de l’Ouest est une plateforme de partage d’informations destinée à aider les agents (conservateurs, douaniers, autorités de gestion CITES, autorités judiciaires) chargés de l’application de la loi en Afrique de l’Ouest à lutter contre la criminalité illégale liée aux espèces sauvages.
De fait, l’arrestation des trafiquants a été facilitée par les acteurs et membres de cette plateforme qui, par coïncidence, participaient à Lomé à un atelier de formation de base pour les enquêteurs de la Wildlife Law Enforcement Task Force (WLETF). Cet atelier de formation s’inscrivait dans le cadre des préparatifs du lancement officiel de TWIX Afrique de l’Ouest.
« West Africa-TWIX a joué un rôle majeur dans cette saisie en alertant ses collègues pour qu’ils soient attentifs aux espèces faisant l’objet d’un trafic en provenance d’Amérique latine et transitant par les côtes ouest-africaines, ainsi que dans le travail de coordination entre les différentes agences qui a facilité le rapatriement de ces espèces vers le Brésil », reconnaît le Colonel Bakai, Point focal intérimaire de la CITES au Togo.
En effet, « capitalisant sur les compétences et l’expertise multidisciplinaires des participants à l’atelier, l’officier en charge de la saisie togolaise a été immédiatement en mesure d’obtenir des conseils et d’exploiter la puissance du réseau West Africa-TWIX pour établir des connexions au-delà des frontières et faciliter le rapatriement des animaux ».
Ainsi, la collaboration entre les services togolais et l’ensemble des acteurs a été un atout efficace dans cette opération de sauvetage des animaux.
«L’ampleur de ce réseau de trafics d’espèces protégées souligne l’importance d’une collaboration internationale dans la lutte contre ce type de crime organisé. L’intervention rapide des autorités togolaises et l’engagement de la population locale ont permis de mettre un terme à cette activité illicite et de sauver les animaux impliqués », déclare le Préfet maritime, le Capitaine de vaisseau Néyo Takougnadi.
Déjà opérationnel en Europe depuis 2005 et en Afrique centrale depuis 2016 entre autres, l’outil TWIX révèle encore une fois son efficacité dans la lutte contre le trafic illicite des animaux sauvages.
« Il est dévastateur d’entendre parler d’animaux en voie de disparition qui sont capturés dans la nature et traités de cette façon par des gangs . La valeur de TWIX, qui existe déjà en Afrique de l’Est, en Afrique centrale, dans la SADC et en Europe, ne pouvait pas être plus claire grâce à cet événement », déclare pour sa part Maliki Wardjomto, Chef de projet pour l’Afrique de l’Ouest-TWIX à TRAFFIC.
Aussi, avec le soutien des acteurs de TWIX Afrique de l’Ouest, dont l’ONG Eagle-Togo, la police brésilienne a pu rapatrier les animaux survivants fin février.
En effet, les espèces saisies ont été remises par le Préfet Maritime, au nom de l’État togolais, le vendredi 23 février 2024, à l’ambassadeur du Brésil au Togo, Nei Bitencourt, accompagné d’une délégation de la police fédérale du Brésil dépêchée pour la circonstance, qui a coordonné et pris des dispositions pour le convoi des espèces dans leur milieu naturel au Brésil.
Initiative émergente de lutte contre le trafic d’espèces sauvages en Afrique de l’Ouest, WEST AFRICA TWIX se compose d’une mailing liste sécurisée pour permettre aux agences/organisations engagées dans la lutte contre le commerce illicite des espèces sauvages de communiquer, mais aussi d’une base de données, également sécurisée, pour centraliser et classer les données de saisies. TWIX se compose aussi d’outils destinés à faciliter l’application effective des lois sur le commerce des espèces sauvages, notamment une base de données des saisies, des guides d’identification et une liste de contacts régionaux.
En raison de la nature confidentielle des informations recueillies, l’outil TWIX n’est accessible qu’aux fonctionnaires chargés de l’application des lois et aux autorités de gestion CITES dans les pays participants.
Togo comme plaque tournante ?
L’arrestation de ce navire, ayant à son bord des animaux menacés d’extinction, suscite de nouveau des interrogations, quant à savoir si le Togo est en passe de devenir une plaque tournante des trafics illicites d’espèces sauvages. De fait, avec le sauvetage des 17 Tamarins-lion dorés, ainsi que des 12 perroquets Arara enregistrés, les autorités togolaises n’étaient pas à leur premier exploit. En décembre 2023, par exemple, une cargaison de 40 singes en provenance de la République Démocratique du Congo (RDC), a été interceptée à l’aéroport de Lomé, grâce aux alertes des activistes d EAGLE (Eco Activists for Governance and Law Enforcement), un réseau de 8 organisations non gouvernementales nationales en Afrique subsaharienne spécialisée dans la lutte contre la criminalité liée aux espèces sauvages.
Le phénomène prend de l’ampleur dans ce pays de l’Afrique de l’Ouest. C’est la conclusion des résultats de l’état des lieux de l’exploitation illicite des espèces de faune et flore, dressée par l’organisation « Born Free USA » des États-Unis d’Amérique dans 6 pays de la CEDEAO, dont le Togo qui a été considéré parfois comme « la plaque tournante » de l’exportation et du « transit » de spécimens d’animaux et de flores sauvages.
Cette étude révèle qu’entre 2007 et 2016, plus de 18 000 kg d’ivoire ont été saisis dans le pays à destination de la Malaisie, de Hong Kong et du Japon. Ce regain des trafics sur les côtes togolaises, inquiète les organisations de la société civile engagées dans la lutte contre la disparition des espèces animales menacées de disparition.
« Bien évidemment, la crainte est visible au Togo, car beaucoup de trafic des espèces ou produits d’espèces fauniques continuent de passer par les frontières terrestres, maritimes et aériennes du Togo avec pour destination finale, soit la Thaïlande, soit la Chine, soit la Malaisie, le Singapour, le Vietnam, etc. », dit Prénam Darius Tcheyi, Coordinateur national de l’ONG EAGLE-Togo.
Cette organisation a joué un rôle clé dans le démantèlement de ce réseau. Son apport et son assistance au ministre de l’Environnement et des ressources forestières (MERF) ont permis de mettre à nu toutes les illégalités de cette exportation, dont les faux permis CITES. De fait, EAGLE-Togo a apporté son assistance permanente aux animaux en état de détresse et aux vétérinaires brésiliens dépêchés pour offrir des soins aux espèces fragilisées.
Pour le Coordinateur de l’ONG EAGLE-Togo, le Togo est visé par les trafiquants en raison des atouts de son port en eau profonde et à cause de la corruption qui est un facteur de porosité de ses frontières. Ce dernier s’inquiète pour l’ampleur, que prend aujourd’hui le trafic d’espèces sauvages menacées de disparition au Togo comme en Afrique.
« Ce trafic des tamarins-lions dorés et perroquets Ara de Lear du Brésil vers le Togo fut pour nous un premier du genre. Mais l’interrogation permanente est de savoir s’il s’agit d’un cas isolés. De manière générale, pour ce qui est du trafic d’espèces sauvages en extinction, il faut reconnaître qu’il prend de l’ampleur avec de nouvelles techniques de camouflage bien conçues. Les éléphants d’Afrique, par exemple, tendent vers l’extinction totale. Et la plupart de l’ivoire est destinée à la Chine, principal marché où la demande est énorme. Les autres espèces leur emboîtent le pas : rhinocéros, grands félins, primates, oiseaux, requins », dit-t-il.
Le Coordinateur national d’EAGLE-Togo fait toutefois noter que les autorités togolaises appuyées par les actions des organisations de la société civile, déploient des efforts depuis plusieurs années, afin d’effacer de l’image d’une plaque tournante du trafic international des espèces ou produits d’espèces fauniques, qui colle à la peau du pays.
« Cette saisie des Tamarins-lions dorés et des perroquets aras suivie d’arrestations, en est un des cas d’illustration. Les regards doivent être beaucoup plus accentués au niveau du port et de l’aéroport qui sont des portes d’entrée et de sortie les plus utilisées par les criminels de faune sous des pratiques frauduleuses », dit-t-il.
Image de bannière : Une famille de Tamarins-lion dorés dans leur habitat naturel. Image de Steve via wikimedia commons CC 2.0.