- Les autorités du Bénin ont pris de nouvelles mesures pour assurer la protection des forêts et de certaines espèces d'arbres.
- Ces nouvelles dispositions corsent l'exploitation des forêts et interdisent l'exportation de certaines essences de bois.
- Des acteurs du secteur du bois et certains experts en protection de l'environnement et de la biodiversité, saluent la décision du gouvernement béninois de sécuriser les aires protégées et l’invitent à aller plus loin pour assurer un meilleur avenir tant à ces espaces naturels, qu’ à la population riveraine.
Le gouvernement béninois a interdit l’exportation du bois et des produits du bois sur toute l’étendue du territoire. Dans le communiqué du Conseil des ministres du mercredi 3 avril 2024, il a décidé d’actualiser les textes réglementant l’exportation du bois dans le pays afin « de préserver et de développer les ressources forestières » et de « promouvoir la transformation locale des bois destinés à la commercialisation ». Désormais, l’exportation du bois des forêts naturelles du domaine classé de l’Etat, de toute essence de bois sous forme de produit forestier non transformé, du bois de toute essence de forêts naturelles, du bois par voie terrestre et du charbon de bois, n’est plus permise, sans l’autorisation préalable des autorités, notamment des services compétents de la Direction générale des Eaux, Forêts et Chasse. Les nouvelles mesures interdisant l’exportation de toutes ces catégories de bois et produits de bois « découlent des orientations stratégiques définies dans la nouvelle politique forestière » du pays adoptée en Conseil des ministres, le 22 février 2023. Cette politique forestière prévoit le reboisement de 150.000 hectares de terres d’ici à 2030, « assorti de la mise en place d’un système résilient de gestion et d’exploitation des espaces forestiers ».
L’Expert climatique et géographe, Bio Bangana, membre du dispositif des jeunes délégués du Ministère du Cadre de Vie et des Transports, en charge du Développement Durable (MCVT), explique à Mongabay que « l’actualisation de ces textes traduit l’engagement du gouvernement pour la préservation de la biodiversité (préservation des forêts et des espèces animales qui y vivent ». Selon lui, « cette décision permet à la longue de contrôler la déforestation, l’exploitation abusive des ressources forestières et de bannir le commerce illégal. Cela permet d’assurer une gestion durable et rationnelle de nos ressources forestières, qui constitue aujourd’hui un puits de carbone. « C’est également un moyen pour le Bénin de pouvoir respecter ses engagements au niveau international en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, comme inscrit dans sa Contribution déterminée au niveau national (CDN) ».
Bangana salue la décision du gouvernement béninois ; car, dit-il, sans cette actualisation des textes, l’exportation de certains bois est devenue un business florissant pour les exportateurs, bien qu’elle soit, de plus en plus, nuisible pour la biodiversité et surtout pour les forêts.
Selon certains acteurs de la filière notamment les exportateurs de bois de teck contactés mais qui ont préféré garder l’anonymat, il fallait que le gouvernement prenne « ses responsabilités » en ce qui concerne l’exportation du bois, « surtout par les étrangers ». Ces acteurs expliquent que les anciens textes comportent des failles ou insuffisances qui ne permettent pas de protéger certaines essences de bois rares ou très demandés.
Au Bénin, les forêts jouent un rôle crucial dans la vie quotidienne des populations l’énergie, la nourriture et les médicaments qu’elles procurent, et par leur faune et leur biodiversité assez importantes. Elles ont également une dimension sacrée et représentent une source de revenus pour de nombreuses communautés. Cependant, entre 2005 et 2015, la superficie des forêts a diminué de plus de 20 %, avec un taux de déforestation restant très élevé, à 2,2 % par an, selon un rapport de la Banque Mondiale, en date de 2020. Plusieurs facteurs expliquent ce phénomène, notamment l’augmentation rapide de la population, la mauvaise gouvernance forestière, l’agriculture sur brûlis, l’exploitation forestière tant légale qu’illégale et l’abattage des arbres pour la production du bois-énergie et pour la cuisson. Les autorités ont pris des dispositions pour corriger le tir. Mais parce que la situation n’est toujours pas reluisante, elles ont décidé d’actualiser les textes régissant l’exploitation du principal composant forestier qu’est le bois, dans le but de solutionner à la fois le problème de la préservation des forêts et celui de la survie de la population locale qui en dépend.
Avant les réformes institutionnelles et juridiques de 1993 (abrogeant les dispositions de la Loi n°87-012 du 21 septembre 1987 portant Code forestier de la République Populaire du Bénin), la gestion des forêts au Bénin était essentiellement assurée par les populations. Cependant, la déforestation et leur dégradation sont devenues des problèmes majeurs, avec les massifs forestiers, qui disparaissent peu à peu pour laisser place à des plantations, des champs et des agglomérations. Les forêts classées subissent une intense exploitation de leurs ressources en raison de l’urbanisation et de l’agriculture intensive, tandis que les forêts sacrées subissent une dégradation due à l’exploitation sélective et au non-respect des interdictions. C’est le cas, par exemple, de la forêt sacrée de Kpassè dans la commune de Ouidah, au sud du Bénin, qui a perdu près de 80 % de sa superficie initiale en raison de l’exploitation du bois et surtout de l’augmentation de la population. La forêt classée de l’Alibori-Supérieur, dans le département de l’Alibori, au nord du Bénin, l’une des plus vastes du pays, subit d’énormes pressions anthropiques dues à la proximité des agglomérations, avec les principales activités pratiquées à savoir l’agriculture dominée par la culture du coton, l’exploitation forestière et le pastoralisme.
Marcel Agbangla, Ingénieur agronome spécialisé dans la gestion des ressources naturelles contribue à la mise en œuvre du projet de restauration et de gestion des forêts sacrées dans la basse vallée du Couffo, au sud du Bénin. Il affirme que « ce n’est pas la première fois qu’il y a une telle interdiction. Et cette décision intervient dans un cadre, où dans un passé récent, il a été constaté l’exportation du bois et surtout de certaines espèces comme le Pterocarpus erinaceus, dit « Kosso en langue fon » par les Indo-parkistanais ». « Ce marché florissant a fait peser sur nos ressources forestières une grande pression, notamment la surexploitation occasionnant la rareté voire la disparition de certaines espèces, dont les valeurs économiques et commerciales sont connues », a-t-il précisé.
« En effet, les essences naturelles ont une faible croissance comparativement aux espèces allochtones plantées. Dans un contexte où on parle de changement climatique, de dégradation de la biodiversité, il est important de changer de paradigme en prenant des mesures visant à freiner la perte de nos patrimoines génétiques, spécifiques et écosystémiques », a indiqué Agbangla.
Il a également estimé qu’ « il faut aussi louer l’interdiction de l’exportation du bois non transformé ». « Assurément, nous (le Bénin, Ndlr) ne sommes pas un pays forestier. Perdre encore des dérivés du bois (encore que la transformation du bois générera de l’emploi et des revenus à ceux qui s’y adonnent), nous met dans une situation un peu délicate. Il vaut mieux valoriser au maximum le peu de ressources que nous avons que d’enrichir les autres pays par nos matières premières », a-t-il expliqué. Il rappelle que « l’interdiction d’exportation ne concerne pas les plantations domaniales et privées du domaine protégé de l’Etat. C’est déjà une volonté du gouvernement à ne pas être uniquement restrictif, mais aussi à encourager la réalisation de plantations privées ou domaniales surtout dans un contexte où le Bénin se donne pour objectif de contribuer à la cible 3 du Cadre mondial de la biodiversité de Kunming Montréal de conserver 30 % des terres, eau et océans ».
Un suivi pour une meilleure efficacité
Bio Bangana explique cependant, que les mesures relatives aux objectifs fixés, aussi louables qu’elles soient, ont besoin d’un suivi rigoureux pour leur efficacité sur le terrain. « Si une gestion rationnelle est mise en place avec des quotas et des mesures préventives, le gouvernement pourra répondre aux besoins locaux en contrôlant les forêts. Cependant, il est crucial qu’une institution ou organisme de surveillance soit mis en place pour un suivi des exploitations et pour éviter la surexploitation et la dégradation des forêts ». Il précise que « ces mécanismes de surveillance et de suivi rigoureux permettront de garantir une exploitation durable des ressources forestières, ainsi que des campagnes de reboisement pour restaurer les zones dégradées ».
Certains acteurs de la filière bois au Bénin, des exploitants et exportateurs locaux estiment que, pour la plupart du temps, les règles sont respectées par les acteurs du domaine, qui « les trouvent même très bien pour nous, car elles nous assurent un business à long terme ». Cependant, ils expliquent que, pour une meilleure compréhension de l’esprit de la loi -afin de ne pas être tenté de l’enfreindre par moment, sous le poids de l’appât du gain au détriment de l’avenir des forêts, il est important que, de temps en temps, les autorités fassent de la sensibilisation, qu’elles expliquent, non seulement les textes, mais aussi le bien-fondé de leur établissement. Les experts en environnement partagent cet avis et, tout en louant le travail de l’Etat, l’invite à aller plus loin.
« Ces mesures du gouvernement ne seront, à mon avis, efficaces qu’avec l’implication de tous les acteurs exploitants des ressources forestières », explique Bio Bangana. « Cette implication nécessite une sensibilisation et une formation au préalable de ses acteurs. Il faut ainsi un temps mort de vulgarisation entre le moment de prise de décision et de sa mise en œuvre pour permettre aux acteurs de s’y conformer et de s’en imprégner. Il est donc essentiel de fournir une formation adéquate aux exploitants forestiers, aux agents de conservation de la nature, aux responsables gouvernementaux et à la population locale sur les pratiques de gestion durable des forêts, les nouvelles réglementations en vigueur et les conséquences de la déforestation. Une sensibilisation accrue sur l’importance de la préservation des forêts et des écosystèmes forestiers est également nécessaire pour encourager une participation active à la conservation de la nature », conclut-t-il.
Quand l’agriculture diversifiée affecte positivement la biodiversité en Afrique
Image de bannière : Des camions chargés de grumes coupées dans une forêt. Image par Mongabay.