- Le braconnage, les saisies et les prix du marché des espèces sauvages, ont considérablement diminué au cours de la dernière décennie.
- L'analyse de plus de 140.000 saisies de trafic d'espèces sauvages entre 2015 et 2021 révèle l'implication complexe de puissants groupes criminels organisés.
- Le trafic d'espèces sauvages passe souvent inaperçu aux yeux du public.
- Le partage de l’information et l’autonomisation des communautés figurent parmi les facteurs cruciaux nécessaires pour ralentir le commerce illégal des espèces sauvages.
Malgré des signes positifs dans la lutte contre la criminalité liée aux espèces sauvages emblématiques, notamment les éléphants et les rhinocéros, ce phénomène n’a pas été considérablement réduit au cours des deux dernières décennies, souligne un nouveau rapport de l’ONU.
Les experts de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) indiquent que la criminalité liée aux espèces sauvages a un impact mondial profond dont les ramifications ne sont pas toujours bien comprises.
Les estimations de l’agence onusienne dans son troisième rapport sur la criminalité liée à la faune et à la flore à travers le monde, montrent qu’en Afrique, par exemple, la collecte illégale de produits dérivés issus d’espèces protégées à des fins commerciales serait à l’origine de l’extinction récente de plusieurs espèces de plantes succulentes telles que l’Agave et le Yucca notamment en Afrique du Sud.
Les parties de la corne de rhinocéros, les pangolins et les éléphants sont parmi les biens illégaux les plus lucratifs issus d’espèces sauvages. Le braconnage de ces produits d’animaux sur le plan mondial est actuellement estimé à 29 %, 28 % et 15 % respectivement.
Sur la liste des espèces menacées, figurent également les crocodiles et les anguilles (5 %), les perroquets et les cacatoès (2 %), alors que les carnivores, les tortues et les serpents occupent chacun 2 % du braconnage et du commerce illégal des espèces sauvages les plus touchés dans le monde entier.
D’après le rapport, cette situation a également entraîné une diminution substantielle des orchidées rares, les espèces nouvellement découvertes étant rapidement ciblées par les braconniers et les trafiquants. L’analyse de plus de 140.000 saisies de trafic d’espèces sauvages protégées entre 2015 et 2021 révèle l’implication complexe de puissants groupes criminels organisés dans l’exploitation d’écosystèmes fragiles dans le monde entier, là où les trafiquants exploitent les lacunes de la réglementation et les faiblesses de l’application de la loi.
Si les analyses récentes du trafic illégal d’éléphants et de rhinocéros ont montré qu’une stratégie globale portant à la fois sur l’offre et la demande a donné de bons résultats, le rapport souligne que cette approche doit également être combinée à une politique plus ciblée, à une réglementation plus stricte du marché et à des actions conjuguées d’application de la loi contre les principaux trafiquants.
Par ailleurs, les experts montrent comment le trafic de certaines espèces sauvages, peut accroître la transmission de maladies qui se propagent des animaux aux humains. Presque tous les pays du monde sont concernés, de près ou de loin, par ce commerce illicite qui touche près de 4 000 espèces de la faune et de la flore sauvages chaque année, souligne le document. Parmi les espèces végétales menacées d’extinction, le rapport cite entre autres les cèdres et autres sapindales dont la menace représente 47 % de l’ensemble de la flore sur le plan mondial, alors que les palissandres sont également la cible des individus à l’origine du commerce illicite d’espèces de bois avec un taux de 35 % contre 13 % du bois d’agar et autres myrtilles.
Les dernières données sur les espèces saisies entre 2015 et 2021 dans 162 pays et territoires indiquent que le commerce illégal touche environ 4.000 espèces végétales et animales, dont environ 3.250 sont inscrites à la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES).
Le Bassin du Congo, réservoir de trafic d’espèces sauvages
Dr Abias Maniragaba, Chercheur à l’université des Laïcs Adventistes de Kigali au Rwandaet spécialisé dans le domaine de la Conservation a affirmé dans un entretien à Mongabay que quand bien même la plupart des pays en Afrique et ailleurs ont adopté différentes mesures pour endiguer les trafics d’espèces sauvages, la situation reste toujours alarmante dans le bassin du Congo. Avec environ 10 000 espèces de plantes tropicales, dont 30 % sont uniques à la région, le bassin du Congo abrite plusieurs espèces menacées, comme les éléphants de forêt, les chimpanzés, les bonobos et les gorilles de plaine. Selon les estimations du Fonds mondial pour la nature (WWF), cet écosystème regorge plus de 400 espèces de mammifères, 1 000 espèces d’oiseaux et 700 espèces de poissons ayant trouvé refuge dans la zone.
En dépit du rôle important qu’il joue dans l’extinction de nombreuses espèces rares telles que les orchidées, les plantes grasses, les reptiles, les poissons, les oiseaux et les mammifères, le trafic d’espèces sauvages passe souvent inaperçu aux yeux du public, selon les experts de l’ONU en matière de prévention de la criminalité liée aux espèces sauvages. « Malgré la bataille en cours contre ces activités illégales, de nombreux espèces sauvages sont toujours menacées par le braconnage, notamment dans le bassin du Congo », a affirmé Maniragaba. Selon lui, la situation actuelle est notamment aggravée par la criminalité transnationale organisée contre les animaux sauvages, qui a aussi de larges ramifications dans le bassin du Congo.
Outre les risques des maladies associées au commerce de ces espèces sauvages, les chercheurs dans le domaine de la conservation interrogés par Mongabay observent que cette situation est aggravée par le fait que le trafic d’animaux et de plantes sauvages se fait actuellement sur Internet, ce qui compromet les efforts actuels de lutte contre ce trafic.
Dommages incalculables à la nature
Pour sa part, la Directrice exécutive de l’ONUDC, Ghada Waly, est persuadée que la criminalité liée aux espèces sauvages inflige des dommages incalculables à la nature et met en péril les moyens de subsistance, la santé publique, la bonne gouvernance et les efforts de lutte contre le changement climatique.
S’exprimant lors de la présentation du rapport en début du mois de mai, la responsable de l’ONUDC a insisté sur la nécessité de faire face à la capacité d’adaptation et à l’agilité du commerce illégal d’espèces sauvages. « Cela exige des interventions fortes et ciblées tant du côté de la demande que de l’offre, des efforts pour réduire les profits et un plus grand investissement dans la collecte de données, l’analyse et le suivi », a-t-elle indiqué.
Certains pays d’Afrique de l’Est, en l’occurrence le Rwanda, l’Ouganda, la Tanzanie et le Kenya ont élaboré une stratégie régionale conjointe de lutte contre le braconnage, le commerce illégal et le trafic d’espèces sauvages et de produits issus d’espèces sauvages, qui est mise en œuvre au niveau régional et national.
Simon Kiarie, Responsable chargé du tourisme au Secrétariat de la Communauté Economique Est Africaine (CEA), dont le siège se trouve à Arusha en Tanzanie, a confié au téléphone à Mongabay que cette stratégie de lutte contre le commerce illicite des espèces sauvages s’articule autour de six piliers clés, dont notamment le renforcement du cadre politique d’une part. D’autre part, les interventions se focalisent sur l’amélioration des capacités de détection et de répression, la recherche et le développement, la participation des communautés locales et le soutien à la collaboration régionale et internationale.
Si les estimations de l’ONU montrent que le braconnage de certaines espèces sauvages comme les rhinocéros et les éléphants est en net recul grâce au démantèlement de grands réseaux de trafiquants et à la suppression de la demande sur des marchés clés, Kiarie reste convaincu que le partage de l’information, l’autonomisation des communautés figurent parmi les facteurs cruciaux nécessaires pour ralentir le trafic.
Télesphore Ngoga, Analyste de la conservation au Conseil de développement du Rwanda (RDB, sigle en anglais), un organe gouvernemental ayant la conservation dans sa mission, affirme pour sa part que les cas de braconnage représentent une menace pour les parcs nationaux au Rwanda malgré une réduction drastique.
Efforts collaboratifs dans la lutte contre le braconnage
Selon une étude récente publiée par un groupe de chercheurs rwandais, les principales causes du braconnage et le commerce illicite des espèces sauvages sont essentiellement l’ignorance, la pauvreté, la culture, la corruption, l’augmentation de la population et la recherche des moyens de subsistance pour les communautés vulnérables avoisinant des aires protégées. L’étude qui se focalise sur le rôle joué par les anciens braconniers dans la conservation de la faune sauvage dans le parc national des volcans au nord du Rwanda montre par ailleurs que grâce aux stratégies mises en œuvre, les cas annuels de braconnage dans ce pays sont passés de 1 000 en 2018 à 600 pièges en 2020.
Des données officielles récentes indiquent qu’environ 150 personnes ont été arrêtées entre août 2020 et septembre 2022 au Rwanda pour des activités illégales menaçant le Parc national de Gishwati-Mukura, situé dans la partie rwandaise du bassin du Congo (Ouest). « La réduction des cas de braconnage est simplement due aux efforts collaboratifs des parties prenantes impliquées dans la lutte contre le commerce illicite espèces sauvages », a déclaré Ngoga dans un récent entretien à Mongabay.
Mylor Ngoy Shutcha, Professeur d’écologie à l’université de Lubumbashi en RDC, rappelle quant à lui que les forêts du bassin du Congo hébergent quelque 30 millions de personnes et fournissent les moyens de subsistance à plus de 75 millions de personnes qui comptent sur les ressources naturelles locales pour divers besoins existentiels. «Malgré les efforts actuels dédiés à la lutte contre le braconnage, il y a encore de nombreux défis à surmonter pour une gestion durable de la faune sauvage dans le bassin du Congo », affirme-t-il en faisant allusion au rapport de l’ONUDC.
Corruption et impunité
Mais le rapport de l’ONUDC souligne que malgré ces efforts, la corruption aggrave encore le sort des plantes et des animaux avec les fonctionnaires fermant souvent les yeux sur les violations. Les affaires de criminalité liée aux espèces sauvages sont rarement poursuivies dans le cadre des accusations pour faits de corruption, ce qui permet aux auteurs d’échapper à toute sanction, affirme le document de 169 pages.
En 2022, une série d’opérations transcontinentales menées par Interpol a abouti à des arrestations, à 2 200 saisies et à l’identification de 934 suspects en lien avec le trafic, l’exportation et l’importation illicites de produits d’espèces sauvages et du patrimoine forestier protégés. En 2021, environ 900 kg d’ivoires d’éléphants ont été saisis dans plusieurs localités du Bénin par les forces de sécurité avec le soutien du programme Appui à l’Application des Lois sur la Faune et la Flore au Bénin ayant pris fin, laissant du coup le terrain vide au trafic qui continue. Plusieurs pays ont signalé des saisies de vêtements et d’accessoires en peau de reptile, affirme Interpol.
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Image de bannière: Plus 4000 espèces sauvages dont des babouins, sont en proie au commerce illégal, selon le rapport de l’ONU. Babouins de la foret naturelle de Nyungwe au Sud-Ouest du Rwanda. Image de Aimable Twahirwa.