- Grâce à sa formation en agroécologie, Emmanuel Eku a réussi à redonner vie à un sol dégradé pour augmenter la productivité d'une ferme dans son village du sud-ouest du Cameroun.
- Grâce à des aides financières et autres formes de soutien des ONG, il a pu consacrer cinq ans à ce projet, ce qui met en évidence le principal défi auquel sont confrontés les autres agriculteurs qui souhaitent abandonner l'utilisation d'engrais synthétiques et d'autres intrants agricoles.
- Aujourd'hui, Eku partage son expérience avec d'autres agriculteurs et les aide à obtenir un soutien similaire.
Emmanuel Eku s’est tourné vers les techniques agroécologiques afin de redonner vie au sol dégradé d’une parcelle de terrain dans sa ville natale, dans le sud-ouest du Cameroun. Pendant cinq longues années et avec le soutien d’une ONG, il a cherché à rétablir ses rendements. Aujourd’hui, il se consacre à la recherche de ressources pour aider d’autres agriculteurs de son entourage à faire de même.
En 2011, Eku a perdu son emploi de responsable des ventes dans un supermarché. Il a décidé de retourner chez lui, à Kupe-Muanenguba, pour essayer de gagner sa vie en tant qu’agriculteur. La ville se trouve à proximité de trois parcs : le parc national de Bakossi, le sanctuaire de faune sauvage de Banyang-Mbo et les réserves écologiques de Kupe et Muanenguba. Ces zones protégées ainsi que d’autres forêts encore existantes abritent des espèces menacées telles que les chimpanzés du Nigeria-Cameroun (Pan troglodytes ellioti) et les drills (Mandrillus leucophaeus).
Dans cette région du sud-ouest du Cameroun, la plupart des habitants vivent de l’agriculture. Ils cultivent le manioc, le plantain et le taro pour leur consommation et vendent les excédents. « Comme nous sommes à proximité de 3 parcs naturels, des zones protégées où il est interdit de brûler pour cultiver, j’ai décidé de m’intéresser à un système alternatif pour cultiver » explique Eku.
En 2012, Eku a obtenu une bourse de formation pour étudier l’agroécologie à l’Institut Africain pour le Développement économique et social (Inades), une ONG qui forme des agriculteurs dans plusieurs pays d’Afrique. « Grâce à cette formation j’ai compris que l’agroécologie est très proche de notre façon traditionnelle de cultiver, celle qu’on pratique en famille, sans utiliser de produits chimiques. J’ai continué à faire de l’agriculture itinérante mais maintenant je ne brûle plus la terre et j’utilise plusieurs variétés de cultures ».
Il a mis sa nouvelle formation au service d’une parcelle abandonnée. « Elle a été cultivée pendant 10 ans par les femmes du village. Au début, elles cultivaient naturellement le manioc, le plantain et le taro, mais après quelques récoltes, la productivité a chuté et elles ont commencé à utiliser des engrais chimiques », explique-t-il.
L’engrais a permis d’augmenter les rendements, mais les animaux sauvages ont détruit les récoltes. Les femmes se sont donc retrouvées sans argent pour payer le loyer de la terre au chef du village. Lorsqu’Eku a repris la parcelle, il l’a clôturée et s’est mis à cultiver toute une gamme de produits, conformément à sa formation en agroécologie. « La terre n’était plus habituée à ne pas recevoir d’engrais chimiques. Le sol était pauvre », explique-t-il. « Il m’a fallu un certain temps pour rétablir les nutriments et la rendre à nouveau productive ».
Eku a choisi avec soin ses premières cultures. « Les oignons, c’est parfait pour lutter contre certaines maladies qu’ont parfois les racines, c’est pourquoi on les intercale. Le moringa et le curcuma sont des insecticides naturels. La diversité des cultures et le fait de les disposer d’une certaine manière nous permettent de nous passer d’intrants chimiques et de restaurer nos sols ».
Pour trouver la gamme de semences dont il avait besoin, il s’est tourné vers une banque de graines gérée par ECHO, une ONG qui soutient les agriculteurs sur tout le continent. « Ils m’ont fourni les premières semences pour que je puisse exploiter mon terrain. Aujourd’hui, je peux produire mes propres semences, voire même en donner à d’autres agriculteurs », déclare Eku.
Il rencontrait des difficultés au début, mais il a eu la chance d’avoir été soutenu par l’organisation qui l’a formé. « Après la formation, j’ai continué à recevoir les fonds de l’Inades. Mes dépenses quotidiennes étaient couvertes, ce qui m’a permis de commencer à cultiver sans me préoccuper de la récolte. Sans cet argent, je n’aurais pas pu poursuivre ce projet » confie-t-il.
« L’agroécologie ne produit pas autant que l’agriculture traditionnelle donc il y aura des pertes pendant la transition », explique Bertin Mbuya Kilabi, écologiste et représentant de la société civile. « Ceux qui s’engagent dans cette voie devraient avoir accès facilement à des subventions et, en même temps, faire de l’élevage et de la pisciculture ».
Mbuya Kilabi s’est entretenu avec Mongabay en marge d’une récente conférence organisée par l’Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique (AFSA) afin de promouvoir l’agroécologie. Eku et lui-même figuraient parmi les plus de 200 participants réunis à Kinshasa, en République démocratique du Congo, pour plaider en faveur d’une réorientation des systèmes de production alimentaire et de la politique agricole. Ils ont rejoint d’autres petits agriculteurs et pêcheurs, des consommateurs et des groupes de la société civile de toute l’Afrique pour plaider la cause de l’agroécologie auprès des responsables politiques également présents.
« Je viens à ce type de conférences pour essayer d’obtenir des fonds mais aussi pour parler de ma situation » explique Eku. « Ma situation n’est pas stable. Je loue cette terre, ce qui veut dire que le jour où le chef traditionnel veut récupérer la terre, il le fera et je perdrai mon champ. J’ai besoin de cultiver sur ma propre terre ».
Au Cameroun, les petits exploitants agricoles sont le pilier de la production alimentaire, mais ils ne parviennent pas à cultiver suffisamment pour répondre à la demande alimentaire du pays. « Au Cameroun on dépend beaucoup des importations pour se nourrir », explique Rodrigue Kouang, qui fait du lobbying pour le Service d’appui aux initiatives locales de développement (SAILD), une ONG camerounaise qui encourage les pratiques agroécologiques.
Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, un quart de la population camerounaise souffre d’une importante insécurité alimentaire. Cette situation est due à la fois aux faibles précipitations dans le sud du pays ces dernières années et à la forte augmentation du coût des engrais, dont le prix a plus que doublé entre 2021 et 2022.
L’augmentation du coût des engrais montre à quel point l’approvisionnement alimentaire du Cameroun est vulnérable à des facteurs qui échappent au contrôle du pays. « L’agroécologie peut vraiment changer les choses, mais on a besoin de sensibiliser les producteurs locaux et les politiques. Mais on n’y est pas encore » explique Kouang.
« Les gouvernements subventionnent l’agro-industrie et la monoculture mais pas les projets liés à l’agroécologie. En fait, pour eux, le concept d’agroécologie est toujours un peu vague et ils ont du mal à imaginer que ça puisse nourrir l’Afrique, donc il n’y a aucune initiative en place dans ce sens-là ».
De son côté, Eku tente de sensibiliser les agriculteurs de Kupe-Muanenguba. Sa parcelle agroécologique est devenue un terrain de référence pour le programme CAEP (Communicating for Agriculture Exchange Program) du département d’État américain, et il a depuis mis en place un réseau composé de 150 agriculteurs locaux avec lesquels il partage ses expériences ainsi que les fonds qu’il reçoit de différentes organisations, dont le Fonds agroécologique ainsi que le Global Greengrants fund.
« J’essaie de convaincre d’autres agriculteurs de revenir à une forme d’agriculture naturelle, à ne pas défricher la forêt et polluer les sols, mais sans financements, nous ne pouvons rien faire. Il m’a fallu 5 ans pour que mon champ devienne rentable, comment aurais-je pu vivre entre-temps sans cet argent ? Nous ne recevons pas de financement du gouvernement. Alors oui, je fais de la sensibilisation, mais je partage aussi les fonds que je reçois », explique-t-il.
Le cas d’Eku illustre à la fois les promesses de l’agroécologie et montre le type de soutien dont elle a besoin pour être adoptée avec succès par les petits exploitants agricoles. Mbuya Kilabi a été confronté à des enjeux similaires lorsqu’il a mis en place des projets d’aquaculture. « Nous avons besoin de fonds et de visibilité pour pouvoir glisser vers un système alimentaire plus durable», déclare-t-il.
Image de bannière : Dorothee Mbogo travaille dans sa ferme où elle cultive du manioc. Batchenga, Cameroun. Image de Ryan Brown/UNWomen via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0)
Article original : https://news-mongabay-com.mongabay.com/2023/09/agroecology-holds-promise-in-congo-basin-if-funding-woes-can-be-overcome/