Nouvelles de l'environnement

Madagascar : Qu’advient-il des villageois quand un exploitant de graphite vient frapper à leur porte ?

  • Lorsque les représentants d’une société minière australienne sont arrivés au village d’Ambohitsy Haut, dans le sud de Madagascar, ils ont rencontré ses habitants et leur ont fait part de leur projet de forage visant à rechercher des gisements de graphite dans leur village. Les villageois ont accepté, mais sont restés très clairs : « Vous pouvez forer, à condition que vous restiez éloignés des tombes de nos ancêtres. »
  • En novembre 2022, la société BlackEarth Minerals (BEM) a annoncé à ses investisseurs qu’elle était prête à passer à l’étape suivante, la phase d’exploitation, et qu’elle prévoyait de commencer la construction d’une mine cette année, ce qui pourrait impliquer le déplacement des résidents et de leurs tombes. Cependant, les villageois soutiennent qu’ils n’ont jamais donné leur feu vert à BEM pour ces déplacements.
  • Pour BEM, connue aujourd’hui sous le nom d’Evion Group, Madagascar pourrait se présenter comme une option alternative à la Chine, actuellement premier fournisseur mondial de graphite. Toutefois, les experts et les militants mettent en garde : la ruée vers le graphite est en train de s’abattre sur un pays et des communautés mal préparés, avec des législations minières obsolètes, un régime de droits fonciers fragile et des protections sociales et environnementales boiteuses.
  • Un cadre supérieur d’Evion a déclaré à Mongabay que les populations locales n’avaient pas de droits privés légaux sur les terres, mais que l’entreprise respecterait leurs droits traditionnels.

AMBOHITSY HAUT, Madagascar – Etsizakay, 40 ans, debout au beau milieu des collines arides et accidentées de son village d’Ambohitsy Haut déclare en indiquant du doigt : « C’est là que mon frère est enterré. Et un peu plus loin là-bas, ce sont les tombes de mes grands-parents. » Puis, il nous indique un simple monticule de pierres : « Et mon fils de 4 ans, juste là. »

Ce qui est également enterré dans ce même terrain, c’est le graphite, ou manjarano, en malgache. Des éclats du minerai grisâtre brillent sous le soleil de décembre, laissant entrevoir les vastes gisements qui s’étendent sous terre. C’est ce qui a attiré l’entreprise minière australienne BlackEarth Minerals (BEM) dans ce village reculé de Madagascar.

En novembre 2022, après quatre ans et demi de forage d’exploration, l’entreprise BEM, aujourd’hui connue sous le nom d’Evion Group, a déclaré que ses études de faisabilité étaient terminées, que les résultats étaient satisfaisants et que l’exploitation minière de la commune de Maniry, où est situé Ambohitsy Haut, pourrait s’avérer très lucrative pour les investisseurs. Le projet Maniry de la société risque d’engloutir les tombes, le village et les hameaux environnants, mais Etsizakay et les autres villageois en savent très peu sur le projet.

Etsizakay from Ambohitsy Haut.
Etsizakay du village d’Ambohitsy Haut. Image de Malavika Vyawahare/Mongabay.

Les changements sismiques, qui guettent des endroits comme Ambohitsy Haut, sont favorisés par l’abandon des combustibles fossiles qui ont alimenté l’industrialisation dans de nombreuses régions du monde, mais qui en ont contourné certaines comme Maniry. Ici, dans l’extrême sud de l’île, les routes non goudronnées rendent l’approvisionnement de l’aide alimentaire difficile dans les contextes de grandes sécheresses.

Le graphite est le composant principal des batteries lithium-ion, qui sont essentielles pour assurer la transition vers les énergies renouvelables, en particulier pour les véhicules électriques. La demande pour cette forme cristalline du carbone pourrait être multipliée par 25 d’ici à 2040.

Les sociétés minières parcourent le monde à la recherche de ces « minéraux de la transition énergétique », dont certains ont été identifiés dans des régions qui subissent déjà les pires effets du changement climatique. D’ici à 2026, l’Afrique pourrait devenir le plus grand producteur de graphite naturel pour la fabrication de batteries lithium-ion, avec une extraction qui serait concentrée au Mozambique et à Madagascar, une nation insulaire située au large de la côte sud-est de l’Afrique. Madagascar risque d’endurer des sécheresses plus fréquentes et des cyclones plus destructeurs.

Le groupe Evion voit Madagascar comme une option alternative à la Chine, actuellement premier fournisseur mondial de graphite. Et il n’est pas le seul. Tirupati Graphite, entreprise britannique cotée en bourse qui opère à Madagascar, a augmenté sa capacité de production annuelle de 3 000 à 30 000 tonnes en trois ans.

Toutefois, les experts et les militants mettent en garde : la ruée vers le graphite est en train de s’abattre sur un pays et des communautés mal préparés, avec des législations minières obsolètes, un régime de droits fonciers fragile et des protections sociales et environnementales boiteuses.

Huts in Ambohitsy Haut.
Petites huttes dans le village d’Ambohitsy Haut. Image de Malavika Vyawahare/Mongabay.

« Les tombes de nos ancêtres sont bien la preuve que ces terres nous appartiennent »

La ville de Maniry se situe à 180 kilomètres (112 miles) de Toliara, une ville portuaire de la côte sud-ouest de Madagascar. La route goudronnée se termine environ 45 kilomètres (km) après Toliara, laissant place à un chemin de terre. Les derniers kilomètres qui mènent à Ambohitsy Haut, hameau composé d’environ deux douzaines de huttes en terre et aux toits de chaume installées ici et là, se font sur une piste rocailleuse bordée de cactus.

Les fruits des figuiers de Barbarie (Opuntia spp.) aident les habitants d’Ampanihy et de ses environs (haut lieu du projet Maniry) à survivre. Ampanihy est l’une des zones les plus touchées par la sécheresse qui a frappé le sud de l’île de Madagascar : la moitié de sa population souffre de famine. Les familles survivent grâce à ce qui arrive à pousser sur les terres arides, à savoir les fruits des cactus et les plantes sauvages.

Mais la vaste région d’Atsimo-Andrefana est riche en gisements de graphite lamellaire. L’entreprise australienne Evion est présente sur deux sites de la région : à Maniry, et plus au nord dans la commune de Lanapera. Dans la région d’Atsimo-Andrefana, une entreprise canadienne, Nextsource, travaille sur un autre projet, le Molo, qui pourrait devenir la plus grande mine de graphite de Madagascar.

Ambohitsy Haut, également connu sous le nom de Reambohitsy Ambony, est l’un des villages (ou fokontany en malgache) de Maniry avec lequel Evion a signé des contrats d’exploration. Des plaques de béton enfoncées dans le sol marquent les endroits où l’entreprise a foré pour tenter de trouver du graphite. Plusieurs impacts se situent à quelques pas des tombes des ancêtres des villageois.

Les tombes des ancêtres des villageois dans la commune de Maniry (Madagascar). Image de Malavika Vyawahare/Mongabay.

Les villageois d’Ambohitsy Haut avec lesquels Mongabay a pu s’entretenir en décembre dernier, notamment le chef du village Mandrohivelo, ont déclaré que le seul accord signé à l’époque concernait les travaux d’exploration. La question du déplacement des habitants pour faire place à une exploitation minière qui pourrait engloutir leur village reste en suspens selon eux. Ce qui pèse le plus sur les villageois, c’est le problème du déplacement des tombes.

« Il n’y a aucune raison pour que les tombes ne soient pas déplacées, car elles sont construites à la surface du sol », a indiqué Tom Revy, directeur général d’Evion, lors d’une interview sur Zoom accordée à Mongabay depuis l’Australie. « Il faudra bien que nous obtenions un jour ou l’autre l’accord des habitants locaux pour les déplacer. »

Quand les représentants d’Evion sont venus demander l’autorisation de mener des travaux de forage d’exploration en 2021, les villageois se sont montrés fermes : ils ne voulaient pas que l’entreprise dérange leurs morts. Evion s’est donc engagée à ne pas forer à moins de 7 mètres (23 pieds) des tombes.

En novembre dernier, Evion a publié une étude de faisabilité finale pour le projet de Maniry, afin de lever des fonds pour développer la mine. En 2022, elle détenait des droits d’exploitation pour une concession ainsi que des droits d’exploration pour cinq autres concessions situées à proximité. Les six concessions réunies couvrent une superficie de 14 375 hectares (35 521 acres), soit environ un cinquième de la taille de New York.

L’entreprise a déposé une demande de permis d’exploitation pour deux autres concessions en juin 2022. Selon une étude de Mongabay, le permis d’exploitation déjà détenu par Evion pour la concession 5394 englobe le hameau d’Ambohitsy Haut.

Emplacement d’Ambohitsy Haut sur le site minier du projet Maniry. Carte créée par Andrés Alegría/ Mongabay.

En fait, d’après l’étude de Mongabay, le hameau se situe exactement là où Evion entend mener ses principales opérations. L’entreprise prévoit de creuser une mine à ciel ouvert pour extraire le graphite, qui se présente sous forme de couches pouvant atteindre des dizaines de mètres en profondeur et des centaines de mètres en longueur. Deux décharges massives se trouveront de chaque côté de la mine. L’entreprise envisage de construire une usine de traitement des déchets juste à côté de la mine et, un peu plus au nord, un centre de stockage de ces déchets. Elle prévoit également d’ouvrir trois mines de plus petite taille et d’installer une autre décharge à proximité.

« Personne ne détient de titres de propriété privés là-bas. Tout repose sur le principe de la propriété traditionnelle », a indiqué Tom Revy. « Nous respecterons le droit de propriété comme s’il était juridiquement contraignant. » Il a ajouté que l’entreprise consulterait les habitants et les indemniserait en conséquence.

L’État malgache détient les droits sur les ressources minérales souterraines. Cependant, pour ce qui se produit en surface, la situation est beaucoup plus complexe. Selon une étude menée en 2022, en Afrique, plus de 75 % des projets d’extraction de minéraux essentiels à la transition vers les énergies renouvelables se situent en orbite des terres autochtones et paysannes qui abritent les populations vivant des produits de la terre.

Pikasy collecting bea.
Pisaky cueillant la bea, un genre de plante sauvage qui pousse autour de sa hutte en terre et en bois. Image de Malavika Vyawahare/Mongabay.

La législation malgache offre peu de protection aux citoyens qui n’ont pas de droits légaux sur les terres quand une société minière vient frapper à leur porte. En outre, la plupart des Malgaches n’ont pas de droits formels sur leurs terres, comme l’a souligné Mamy Rakotondrainibe, présidente du Collectif pour la défense des terres malgaches, une organisation non gouvernementale basée à Paris qui travaille sur les questions des droits fonciers à Madagascar. Elle a précisé que 80 % des habitants pourraient être concernés, car l’enregistrement des revendications territoriales est ardu et les résidents ruraux n’ont pas le temps ni les moyens de s’en occuper.

L’enregistrement des droits traditionnels à la terre ne garantit pas non plus que les communautés auront leur mot à dire sur l’avenir de ces terres.

Mamy Rakotondrainibe a ajouté que le principe de « consentement préalable, libre et éclairé » n’avait pas de valeur juridique à Madagascar. Il ne fait pas partie du code minier. Les législations minières malgaches n’obligent pas non plus les entreprises à mener une évaluation des impacts environnementaux et sociaux (EIES) avant de demander ou d’obtenir un permis d’exploitation.

Les entreprises doivent seulement « s’engager » à réaliser l’évaluation et à obtenir un permis environnemental avant de commencer la construction. Notons qu’Evion n’a pas encore terminé son EIES, bien qu’elle ait l’intention de commencer la construction au cours du troisième trimestre de 2023 pour être pleinement opérationnelle en 2024.

Capture d’écran du site Web de BlackEarth répertoriant les principaux projets miniers à Madagascar (2022).

 

Carte détaillant la sécurité alimentaire par district dans le sud de Madagascar, publiée par le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires en janvier 2023.

Brian Ikaika Klein, expert en écologie politique à l’Université du Michigan d’Ann Arbor, a étudié la gouvernance foncière à Madagascar et, dans le cadre de ses recherches, s’est intéressé aux interactions des représentants d’entreprises minières avec les membres des communautés locales. « La population locale n’a de droit de véto à aucun stade du projet », a-t-il déclaré à Mongabay lors d’un entretien vidéo sur Zoom.

« La discussion ne porte jamais sur le fait de savoir si le projet sera réalisé ou pas », a-t-il poursuivi. « Ce sont essentiellement des consultants qui assurent la liaison avec les communautés locales et leur font part des projets de l’entreprise. »

Au moment où les discussions ont lieu, et si jamais elles ont lieu, les promoteurs des projets ont déjà reçu l’aval du gouvernement sous la forme d’un permis d’extraction. Brian Ikaika Klein a ajouté que les communautés ne sont en général consultées que pour savoir ce qu’elles veulent en retour.

Selon Mamy Rakotondrainibe, si les villageois s’opposent à un projet ou refusent de donner leur consentement, le gouvernement peut toujours s’approprier la terre à des fins d’utilité publique.

Valéry Ramaherison, qui dirige l’initiative minière pour Transparency International Initiative Madagascar (antenne malgache de Transparency International qui lutte contre la corruption), a décrit que des problèmes similaires avaient été observés pour le projet Tirupati. Là-bas, son organisation a découvert que les habitants et même les autorités locales en savaient très peu sur les projets d’expansion de l’entreprise.

Valéry Ramaherison a souligné que les faibles taux d’alphabétisation représentaient un obstacle de taille à la participation significative des résidents dans le processus de consultation. Moins d’un quart de la population active de la commune de Maniry sait lire et écrire.

Evion estime que 500 personnes environ vivent dans les cinq villages de la zone du projet Maniry, et Tom Revy a indiqué que son entreprise travaillait actuellement à la réinstallation de ces communautés. Or, aucune information sur ces projets de déplacement n’a été divulguée, que ce soit dans l’étude finale de faisabilité d’Evion ou auprès de la population locale.

« Il sera effectué après consultation des villageois », a-t-il indiqué à propos de leur déplacement. « Nous nous entretenons avec eux depuis suffisamment longtemps pour savoir ce qu’ils veulent. »

« Cela fait environ huit ans que notre chef de liaison communautaire est en contact avec les habitants du village. Ils le connaissent, le respectent, et ils l’écoutent », a-t-il ajouté.

Au mois de décembre dernier, quand Mongabay a demandé aux habitants s’ils voulaient déménager pour faire place à la mine, plusieurs résidents d’Ambohitsy Haut ont déclaré qu’ils y étaient clairement opposés. « Ce n’est pas un vaza qui va me dire où je peux vivre ou non », a répondu Etsizakay, en utilisant le terme malgache pour désigner un étranger. « Ce que nous voulons, c’est rester ici, aux côtés de nos ancêtres. » Pour Etsizakay, cela signifie aussi rester auprès de la tombe de son fils.

La tombe du fils d’Etsizakay au cimetière communal d’Ambohitsy Haut. Image de Malavika Vyawahare/Mongabay.

De nombreux résidents âgés partagent sa réticence. « Ils devront apporter à chacun d’entre nous une voiture remplie d’argent pour nous faire bouger », a déclaré Ankarantsoa, 62 ans, qui possède une grande parcelle de terre à Ambohitsy Haut.

La durée de vie prévue pour la mine de Maniry est de 21 ans. En vertu du droit malgache, les permis d’exploitation minière sont accordés pour une période de 40 ans, avec la possibilité de les renouveler deux fois, 20 ans chacun. Si Evion continue ses opérations pendant tout ce temps, Ankarantsoa sera probablement déjà dans sa tombe lorsque l’entreprise quittera les lieux. Le cimetière où reposent actuellement les morts de la communauté n’existera vraisemblablement plus.

Mais les habitants plus jeunes, comme Tahovelo, 32 ans, fils de Mandrohivelo, chef du village, et Soalahatse, 23 ans, fils d’Ankarantsoa, ont affirmé qu’ils envisageraient de déménager si ce déplacement pouvait leur ouvrir plus de portes. « Pourquoi pas ? », admet Tahovelo. Il pourrait travailler avec l’entreprise, les approvisionner en matériaux.

Pourtant, même Tahovelo s’est montré réticent à l’idée de voir l’entreprise revendiquer des droits sur les terres que sa famille et lui-même occupent et cultivent depuis des générations. C’est cette question de propriété qui irrite le jeune homme et les autres résidents qui se sont entretenus avec Mongabay, en partie parce qu’elle déterminera leur degré d’influence sur leur propre destin et le niveau des indemnisations que l’entreprise devra verser pour exploiter le minerai qui se trouve sous leurs pieds.

« BlackEarth Minerals est prête à respecter les coutumes traditionnelles là où elle opère », souligne l’accord signé entre les représentants de BEM et les villageois en 2021. Traditionnellement, les terres sont transmises de père en fils ici, a fait observer Tahovelo. « Nous n’avons peut-être pas de documents, mais le fait que les tombes de nos ancêtres sont ici est bien la preuve que ces terres nous appartiennent », a-t-il ajouté. « Un étranger ne peut pas venir ici et réclamer ces terres, car ses ancêtres ne sont pas enterrés ici. »

« Ces terres nous appartiennent, tout comme l’eau »

Pisaky.
Pisaky. Image de Malavika Vyawahare/Mongabay.

Un matin de décembre, Pisaky, une femme voutée septuagénaire, cueille la bea, une sorte de plante sauvage qui pousse autour de sa hutte en terre et en bois. « Elle ne fait pas bon ménage avec mon estomac, mais il est vide et a besoin d’être rempli » a-t-elle indiqué en préparant une bouillie avec les feuilles de bea.

Si la plante peu ragoûtante est abondante, l’autre ingrédient essentiel à la préparation du plat, à savoir l’eau, se fait très rare dans la région. Il y a un puits peu profond juste derrière la hutte de Pisaky. Il fournit à peine assez d’eau pour remplir deux seaux pendant la saison sèche. « Les pluies ont fait défaut pendant sept années consécutives ici », s’est lamenté le chef du village Mandrohivelo.

Presque tout le sud de l’île est en train de dépérir en raison des sécheresses extrêmes des deux dernières décennies. Selon le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires, les conditions de sécheresse qui s’acharnent sur la région depuis 2018 ont laissé 1,64 million de personnes en « situation de crise » ou d’« urgence » en matière de sécurité alimentaire en 2022.

Sur le chemin les menant à Maniry, les villageois ont recueilli de l’eau de pluie boueuse qui s’était accumulée sur le chemin de terre pour la boire et l’utiliser chez eux. Un homme a déclaré à Mongabay qu’après le passage de nombreux véhicules à travers ces petits bassins de récupération, l’eau devenait trop sale pour pouvoir être consommée.

L’étude de faisabilité de 114 pages d’Evion ne mentionne toutefois les problèmes de sécheresse qu’à un seul endroit : au sujet des dons de riz de l’entreprise « aux villages situés dans la zone du projet pour les aider à surmonter les effets négatifs des longues sécheresses. »

Tahavelo nous montre le puits creusé par Evion, auquel les villageois affirment ne pas avoir accès. Image de Malavika Vyawahare/Mongabay.

Certains villageois soutiennent également que les employés de l’entreprise ont utilisé l’eau des puits de leur village et du ruisseau qui coule à travers celui-ci pendant leurs travaux d’exploration.

Par ailleurs, Evion aurait creusé plusieurs trous de sonde autour du village. Tahovelo a fait observer que les engins utilisés par Evion servent à creuser des puits beaucoup plus profonds que ceux des habitants du village. Ils permettent à l’entreprise d’avoir de l’eau quand les propres puits des villageois sont à sec. Ces derniers ne peuvent par ailleurs pas les utiliser, car Evion leur bloque l’accès. Tom Revy a toutefois rejeté cette affirmation.

Il a déclaré qu’ils avaient recruté un expert basé à Toronto pour évaluer les besoins en eau du projet. « Il en est ressorti que dans la zone du site minier, que nous allons délimiter, nous serons autosuffisants grâce aux sources d’eau souterraines sans entraîner de retombées négatives pour la population locale », a-t-il rapporté. « Il n’y aura donc aucune conséquence pour les habitants à l’extérieur de la zone délimitée pendant 15 ans. »

Toutefois, les villageois voient le problème de façon différente. Selon eux, la question de savoir qui détient des droits sur l’eau est liée à celle des terres qu’Evion cherche à s’approprier.

« Ces terres nous appartiennent, tout comme l’eau », a déclaré Tahovelo. « Nous devrions être indemnisés pour son utilisation », a-t-il ajouté.

Food distribution organized by the World Food Programme at Maniry town in Ampanihy district in southern Madagascar.
Distribution alimentaire organisée par le Programme alimentaire mondial à Maniry dans le district d’Ampanihy (sud de Madagascar). Image de Malavika Vyawahare/Mongabay.
Komanga, 28, collecting water pooled on dirt road
Komanga, 28 ans, recueillant de l’eau stagnant sur un chemin en terre menant à Maniry. Image de Malavika Vyawahare/Mongabay.

Retours sur investissements

Malgré l’absence d’accès au réseau électrique et de routes praticables en toute saison pour le transport des matériaux, Evion affiche des retours sur investissements exceptionnels. D’après le dernier rapport de l’entreprise, Madagascar présente des avantages stratégiques, comme ses « législations minières et ses coûts de main d’œuvre très compétitifs ».

Les réformes du secteur minier ont en fait été suspendues depuis au moins quatre ans à Madagascar, essentiellement parce que le gouvernement malgache a engagé un bras de fer avec les principales multinationales qui exploitent les mines dans le pays au sujet des impôts et des redevances dus à l’État.

Les défenseurs des réformes du secteur minier indiquent qu’ils craignent que les nombreux projets en cours d’exécution dans le cadre de la législation actuelle ne fassent que multiplier les enjeux existants, allant des litiges relatifs aux droits fonciers aux dommages causés à l’environnement. Les conflits fonciers continuent à hanter même les mines établies de longue date, comme la mine d’ilménite appartenant au géant minier Rio Tinto dans la région d’Anosy, à la limite d’Atsimo-Andrefana. Le problème ne repose pas sur les permis et les licences délivrés par le gouvernement, mais sur le permis social d’exploitation.

Le projet Molo de Nextsource, pour lequel la phase construction a démarré cette année, a obtenu sa licence environnementale en 2019. Son rapport de faisabilité a identifié les préoccupations environnementales majeures liées à l’extraction du graphite, à savoir la contamination due à la mauvaise gestion des déchets et aux centres de stockage des résidus, le ruissellement entraînant la pollution du sol et de l’eau, la pollution par les fines particules due au trafic lié aux activités de la mine et les risques de fuites d’hydrocarbures. Le rapport présente également les dynamitages sur les sites miniers comme un danger pour les populations locales.

A stream in Ambohitsy Haut.
Un ruisseau à Ambohitsy Haut. Image de Malavika Vyawahare/Mongabay.

Au moment où les appels à la décarbonisation de l’économie mondiale se multiplient, certains défenseurs des énergies renouvelables affirment que l’assainissement doit s’étendre à l’extraction minière qui sous-tendra la transition.

Talga Group, qui exploite des gisements miniers dans le nord de la Suède, annonce qu’elle produira l’une des anodes de batterie en graphite les plus écologiques au monde. Pour son projet de graphite Vittangi, Talga a réalisé et soumis une étude finale de faisabilité trois ans avant la date de production prévue en 2024. La mine s’appuiera sur l’hydroélectricité pour répondre aux besoins énergétiques. Talga, entreprise australienne, prévoit également de suspendre ses opérations d’exploitation minière pendant une partie de l’année pour permettre la migration des rennes et respecter les droits des éleveurs de rennes autochtones samis, après consultation des groupes communautaires.

S’il est difficile de prédire dans quelle mesure cet accord fonctionnera à l’avenir, il offre, sur le papier, un contraste frappant avec les projets d’Evion. Le coût d’exploitation le plus important du projet Maniry provient d’une source improbable : le diesel. Aucun des villages situés sur le site minier proposé n’a accès au réseau électrique. Le diesel, dérivé du pétrole brut, sera utilisé pour alimenter la plupart des opérations minières. Des projets d’intégration de l’énergie solaire sont encore à l’étude.

Talga traitera également le concentré de graphite et produira des anodes pour batteries dans le pays. À l’instar des autres nations africaines, Madagascar devra expédier son concentré de graphite pour qu’il soit traité, ce qui lui fera perdre les gains économiques liés à la création de la valeur ajoutée. Mais Evion a sécurisé des accords pour l’approvisionnement d’usines en Inde et aux États-Unis et se positionne en tant que fournisseur clé pour les fabricants de batteries en Europe.

L’entreprise est optimiste quant à sa propre rentabilité, compte tenu de l’explosion de la demande de véhicules électriques et des efforts déployés par les États-Unis et l’Europe pour garantir des sources d’approvisionnement en graphite non chinoises.

Evion prévoit de vendre du concentré de graphite à 1 448 USD la tonne en moyenne, ce qui lui permettra de générer des recettes à hauteur de 1,64 milliard USD pendant la durée de vie de la mine. L’entreprise prévoit un taux de rendement après taxes du projet Maniry de 29 %.

The school built by Evion in Ambohitsy Haut.
L’école construite par Evion à Ambohitsy Haut. Image de Malavika Vyawahare/Mongabay.

Etsizakay a lui aussi fait ses calculs. Il possède un champ où il plante du maïs, du manioc et des arachides, mais l’absence de précipitations ces dernières années l’a rendu dépendant des aides alimentaires, tout comme plus d’1,5 million de personnes vivant dans le sud de l’île ravagé par la sécheresse. Pour augmenter ses revenus, il a raccordé des tuyaux pour Evion durant les opérations de forage d’exploration. Pour ce travail, il a touché 50 000 ariary (soit environ 12 USD) par mois.

Actuellement, le bénéfice le plus tangible de la présence d’Evion à Ambohitsy Haut reste ce genre de travail non-contractuel pour les populations locales durant la phase de forage d’exploration. Lorsqu’ils ont appris que l’entreprise voulait faire de la prospection, les villageois ont demandé tout ce qui leur manquait, à savoir une école, un hôpital, des pompes à eau adéquates et des emplois. Evion a fait construire une école en béton à la fin de l’année dernière. Toutefois, sans pupitres et sans livres, au grand désarroi des villageois.

« Ce sont nos terres, le graphite est notre héritage », a déclaré Tahovelo en parlant de son village. Mais quel sera le prix à payer pour hériter de cette terre si riche en minerais ?

Image de bannière : Etsizakay montre des résidus de graphite provenant d’un affleurement de graphite à Ambohitsy Haut. Image de Malavika Vyawahare/Mongabay.

 

Citations:

Klein, B. I. (2022). Mineral commons: Collective claims to territory in the goldfields of Madagascar. Political Geography99, 102783. doi:10.1016/j.polgeo.2022.102783

Owen, J. R., Kemp, D., Lechner, A. M., Harris, J., Zhang, R., & Lèbre, É. (2023). Energy transition minerals and their intersection with land-connected peoples. Nature Sustainability6(2), 203-211. doi:10.1038/s41893-022-00994-6

 

Article original: https://news.mongabay.com/2023/04/madagascar-what-happens-to-villagers-when-a-graphite-mine-comes-knocking/

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