Nouvelles de l'environnement

Le tout premier forum des femmes autochtones met l’accent sur la conservation dans le bassin du Congo

  • Brazzaville, la capitale de la République du Congo, a accueilli un forum visant à renforcer le rôle des femmes autochtones dans la gestion et la conservation des terres du bassin du Congo. L’événement a réuni des dirigeantes d’associations de femmes autochtones, des groupes de gestion de l’environnement et des terres ainsi que des philanthropes.
  • Le forum a donné naissance à un mécanisme de financement pour les femmes autochtones d’Afrique centrale soutenant la biodiversité et la résilience climatique.
  • La recherche montre que 80 % de la biodiversité intacte dans le monde se trouve dans des territoires gérés par les populations autochtones. Pourtant, les pays du bassin du Congo reçoivent peu de financements pour la conservation.

Le premier forum dédié aux femmes autochtones et locales d’Afrique centrale et du bassin du Congo a eu lieu du 8 au 13 mai à Brazzaville, capitale de la République du Congo.

L’événement a réuni plus de 200 dirigeantes d’associations de femmes autochtones, des responsables de politiques environnementales et d’aménagement du territoire, ainsi que des philanthropes majeurs tels que le Bezos Earth Fund et le Christensen Fund. Il a été organisé par le Réseau des populations autochtones et locales pour la gestion durable des écosystèmes forestiers en Afrique centrale (REPALEAC) et l’ONG Initiative des droits et ressources (RRI).

Les participantes ont pu échanger entre elles puis directement avec les philanthropes sur les différents problèmes qu’elles rencontrent dans leurs pays respectifs et sur les initiatives qu’elles ont mis en place.

« Je suis contente, parce que d’habitude, ils parlent directement avec les grandes organisations internationales, ils ne nous écoutent pas. Maintenant, ils connaissent nos besoins, » explique Marleine Saïra Flora Nguie, une participante autochtone de la République du Congo et membre du REPALEAC.

Selon Omaira Bolaños, directrice des programmes Justice de genre de RRI, c’était l’occasion de démontrer le rôle et les expériences des femmes autochtones en matière de résilience et d’adaptation climatique afin qu’elles puissent accéder aux fonds.

« Nous, les femmes, sommes en première ligne de la biodiversité et de la résilience climatique. Il est important que nous soyons prises en compte, que nous soyons écoutées et que nous puissions agir », affirme Brunelle Ibula Bolondo, une autochtone mutwa de la République démocratique du Congo (RDC).

Des femmes autochtones plantent du manioc et ramassent du bois de chauffage dans le village pygmé de Lokolama/Penzele, district de Bikoro, République démocratique du Congo. Image © Daniel Beltrá pour Greenpeace.
Des femmes autochtones plantent du manioc et ramassent du bois de chauffage dans le village pygmé de Lokolama/Penzele, district de Bikoro, République démocratique du Congo. Image © Daniel Beltrá pour Greenpeace.

À l’issue du forum, les organisatrices ont décidé de rassembler toutes les demandes des femmes autochtones dans une feuille de route qui sera publiée dans les semaines à venir. Il a aussi été décidé de mettre en place un mécanisme de financement dirigé par les femmes autochtones afin d’aider les bailleurs à acheminer leurs fonds directement aux femmes de la région. Le directeur de la stratégie mondiale du Christensen Fund, Casey Box, ainsi que la coordinatrice du RRI, Solange Bandiaky-Badji, ont été chargés de s’assurer de sa bonne mise en œuvre.

Cependant, les bailleurs n’ont fait aucune promesse concrète de dons. « Pour moi, le plus important c’est qu’ils nous aient entendues. C’est déjà un premier pas», dit Marleine Nguie.

« En arrivant au sommet, j’espérais mobiliser plus de fonds de la part de la fondation Bezos. Mais, en discutant avec des bailleurs entre les sessions, je suis entrée en contact avec la FIMI [Foro internacional de Mujeres Indigenas, un réseau mondial de femmes autochtones] Il a un fond. Nous avons prévu de discuter la semaine prochaine. Peut-être que ce réseau pourra nous financer directement. J’imagine que c’est comme ça que les choses se font, grâce à ce type de rencontres. »

Lors de la conférence des Nations unies sur les changements climatiques de Glasgow, plusieurs pays occidentaux et grandes organisations s’étaient engagés à verser un total de 1,7 milliard de dollars entre 2021 et 2025 afin de promouvoir les droits à la terre des populations autochtones et des communautés locales. C’est une partie du financement dont espèrent bénéficier ces organisations dans le bassin du Congo.

La pénurie de fonds dédiés à la conservation dans les pays du bassin du Congo est sujette à débats depuis longtemps. En décembre, lors de la conférence des Nations unies sur la biodiversité, les pays en cours de développement ayant les forêts tropicales les plus vastes du monde, dont la RDC, le Brésil et l’Indonésie, avaient réclamé des financements directs plus importants de la part des pays développés, afin de soutenir la protection des forêts. Ils recevront cependant 70 milliards de dollars de moins annuellement que ce qu’ils espéraient. Il est donc important pour ces femmes du bassin du Congo de trouver d’autres sources de financement pour leurs projets.

Des femmes autochtones de la RDC partagent leur expérience pendant le forum. Image de Victoire Douniama, avec l'autorisation de RRI Communications
Des femmes autochtones de la RDC partagent leur expérience pendant le forum. Image de Victoire Douniama, avec l’autorisation de RRI Communications

D’après une estimation, 80 % de la biodiversité restante dans le monde se trouve dans des territoires gérés par les peuples autochtones, qui constituent seulement 5 % de la population mondiale. Des études récentes ont également montré que les objectifs globaux de biodiversité, tels que l’inversion de la perte de biodiversité et la restauration des terres dégradées, ne seront atteignables qu’avec l’inclusion des IPLC et de leurs savoirs écologiques traditionnels et de leurs principes de vie en harmonie avec la nature.

« Nous vivons de la pêche, de la chasse et de la cueillette. Nous pratiquons aussi l’agriculture, mais à petite échelle, afin de nous nourrir. Toutes nos ressources viennent de la forêt : nourriture, nos outils et aussi nos médicaments. Nous nous soignons avec les plantes que nous trouvons, nous avons de grandes connaissances botaniques », explique Brunelle Ibula Bolondo. Cette agricultrice vit dans une communauté à Kiri, dans la province de Mai-Ndombe, à l’ouest de la RDC. En 2019, elle a fondé l’AFAP, l’Association des femmes autochtones pygmées, pour la défense des droits des femmes pygmées [les Batwa sont des Pygmées].

« C’est aussi dans la forêt que nous pouvons trouver nos endroits sacrés, que nous pouvons communiquer avec nos ancêtres. À cause de la déforestation, nous perdons notre richesse. »

Une agricultrice à Luhonga, en RDC. Situé à quelques kilomètres seulement du parc national des Virunga, il est courant que les habitants pénètrent illégalement dans le parc pour ramasser du bois et fabriquer du charbon de bois. Image par CARPE Bassin du Congo via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).
Une agricultrice à Luhonga, en RDC. Situé à quelques kilomètres seulement du parc national des Virunga, il est courant que les habitants pénètrent illégalement dans le parc pour ramasser du bois et fabriquer du charbon de bois. Image par CARPE Bassin du Congo via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).

Le bassin du Congo compte la deuxième plus grande forêt tropicale du monde, s’étendant sur les territoires de la RDC, de la République du Congo, du Gabon, du Cameroun, de la Guinée Équatoriale et de la République centrafricaine (RCA). Puits de carbone majeur à l’échelle mondiale, cette région est aussi un énorme réservoir de biodiversité abritant les gorilles des plaines orientales (Gorilla beringei graueri), en danger critique d’extinction, et les seuls okapis (Okapia johnstoni) sauvages du monde.

Selon le rapport État des forêts 2021, publié en 2022 par la Commission des forêts d’Afrique centrale, « ce sont près de 9 % de la superficie des forêts tropicales humides d’Afrique centrale qui ont disparu depuis l’an 2000, c.-à-d. 18 millions ha » (soit plus ou moins la superficie du Cambodge). Le rapport identifie les activités responsables de la déforestation comme l’exploitation forestière, l’agriculture dont l’agriculture de subsistance, la petite production de charbon et le ramassage de bois de chauffe. La pauvreté dans le bassin du Congo pousse les communautés, dépendant souvent des forêts, à se tourner vers ces industries pour répondre à leurs besoins agricoles et énergétiques. En conséquence, les appels à de meilleurs financements dans la région pour encourager les modes de subsistance durables se multiplient.

L’accaparement des terres

Le régime foncier et la gouvernance des ressources naturelles étaient aussi au programme du forum de Brazzaville. Les populations autochtones de la région sont souvent confrontées à l’accaparement des terres par des projets de conservation visant à mettre en place des aires protégées, entraînant leur expulsion ou la restriction de leur accès aux ressources. En Afrique, les peuples autochtones et communautés locales ont longtemps été chassés de leurs terres coutumières afin de laisser place à des aires protégées comme la forêt impénétrable de Bwindi en Ouganda ou le parc national de la Kibira au Burundi. Les populations batwa ont été contraintes de quitter ces territoires, parfois de force, à cause de ce que certains appellent « l’idéal de conservation occidental » ou « le colonialisme vert ».

Liberate Nicayenzi, fondatrice d’Unissons-nous pour la promotion des Batwa, qui sensibilise les Batwas à l’éducation confirme : « Originellement, les forêts étaient notre territoire. C’est là que nous allons pour trouver de la nourriture, du bois, du bambou que nous pouvons vendre, mais avec les lois de protection de la biodiversité, les forêts sont devenues des zones protégées et nous n’y avons plus accès. Et personne ne nous a consultés. »

Un grand nombre de participantes au forum font partie de minorités qui souffrent elles aussi de discrimination dans leur pays. Par exemple, au Burundi d’où Liberate Nicayenzi est originaire, beaucoup de Batwa continuent de subir l’ubugererwa, une forme de servage qui leur interdit l’accès à la propriété foncière, alors même que la Constitution indique clairement que tous les Burundais sont égaux.

Femmes et enfants Batwa se reposant après une récolte dans la réserve forestière de Mututu, Burundi. Image par Intu Boedhihartono /IUCNweb via Flickr (CC BY-NC 2.0).
Femmes et enfants Batwa se reposant après une récolte dans la réserve forestière de Mututu, Burundi. Image par Intu Boedhihartono /IUCNweb via Flickr (CC BY-NC 2.0).

Un rapport publié en 2009 par l’ONG Forest Peoples Programme corrobore ce que Liberate observe dans son pays. Il affirme que la majorité des Batwa « vivent dans des zones rurales, sur des terres collectives sans titres de propriété ». Certains Batwa ayant reçu des terrains de la part des autorités administratives détiennent des documents attestant de la possession ou de l’octroi de terres collectives. Cependant, comme les Batwa sont souvent pauvres et que « le concept batwa de propriété collective n’est pas pris en compte, il n’y a pas d’enregistrement de titres fonciers pour les terres batwa ».

Toutefois, l’appareil législatif national est en constante évolution. Par exemple, au Burundi, depuis 2005, la Constitution réserve six sièges aux Batwa au Parlement, leur permettant enfin d’exprimer leurs difficultés et leurs préoccupations. En RDC, une loi a été promulguée en 2022 reconnaissant pour la première fois les populations autochtones comme distinctes et jouissant de droits et d’un accès au consentement libre, préalable et en connaissance de cause avant toute exploitation de leurs terres par les secteurs public et privé.

« Je suis très heureuse que cette loi existe. Mais, il faut qu’elle soit mieux connue afin que chaque personne autochtone puisse s’en servir pour se défendre. Mais aussi et surtout, pour que les autorités politiques et administratives [gouverneur, administrateur, etc.] puissent l’appliquer », déclare Brunelle Ibula Bolondo. « Dans notre pays, les femmes font également face à une double discrimination : nous sommes moins valorisées que les autres. Moins que les Bantous [l’ethnie majoritaire de RDC] et moins que les hommes. Une femme n’a pas le droit de gérer une forêt, de posséder des terres. »

Cette position de dépendance est liée à la loi coutumière au sein de sa communauté, à laquelle elle espère échapper. En effet, bien que traditionnellement les femmes ne puissent pas posséder de terres, elles peuvent tout de même en acheter auprès des autorités nationales. Mais pour cela, il faut qu’elles génèrent des revenus.

« Les femmes ont rarement eu accès à des financements, car on pense qu’elles ont des capacités limitées et qu’elles ne peuvent pas gérer de projets. Mais, même sans moyens financiers, elles gèrent leurs forêts. Si elles avaient plus de soutien, elles pourraient en faire plus », affirme Omaira Bolaños. « Les femmes autochtones participantes souhaitent que cela change. Elles veulent avoir un accès direct aux financements et ne pas être exclues de la finance climatique », dit-elle à Mongabay.

 
Image bannière : Une agricultrice à Yanonge, RDC. Image par Axel Fassio/CIFOR-ICRAF via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).

Référence : WWF, UNEP-WCMC, SGP/ICCA-GSI, LM, TNC, CI, WCS, EP, ILC-S, CM, IUCN (2021). L’état des terres et territoires des Peuples autochtones et des communautés locales : un examen technique de l’état des terres des Peuples autochtones et des Communautés locales, de leur contribution à la conservation de la biodiversité mondiale et aux services écosystémiques, des pressions qu’ils subissent et des recommandations d’actions. Consulté sur : https://wwfint.awsassets.panda.org/downloads/etat_des_terres_et_territoires_iplc.pdf

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