- Une équipe de chercheurs internationale a utilisé le recensement génétique (qui consiste à analyser de l’ADN provenant d’échantillons fécaux) afin de déterminer la taille d’une population de chimpanzés en danger critique d’extinction en Guinée.
- Ils ont ainsi identifié au moins 136 chimpanzés adultes répartis dans quatre communautés situées sur les flancs occidentaux de la chaîne du Nimba en Guinée, qui fait partie d’un site classé au patrimoine mondial de l’UNESCO.
- Cependant, un projet d’extraction de minerai de fer est prévu dans une section du nord des montagnes que les chimpanzés utilisent dans leurs déplacements entre les différentes communautés.
- Les chercheurs avertissent que les activités qui empiètent sur les territoires des chimpanzés ou empêchent leurs déplacements pourraient engendrer des affrontements meurtriers entre les communautés rivales, compromettrant leur diversité génétique.
Une équipe de chercheurs internationale a utilisé un nouvel outil génétique afin de mesurer la taille d’une population de chimpanzés pêcheurs de crabe vivant dans une chaîne de montagnes vierge de Guinée où l’extraction de minerai de fer est prévue.
Pendant 15 ans, près de 1 000 échantillons fécaux ont été analysés dans le cadre de ce « recensement génétique » mené dans la réserve naturelle intégrale du mont Nimba. Cette réserve inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO est située dans une chaîne de montagnes à la frontière de la Guinée, du Libéria et de la Côte d’Ivoire. L’étude a rapporté que la population de chimpanzés de l’Ouest (Pan troglodytes verus) de Guinée, connue pour son comportement unique de pêche au crabe d’eau douce dans les cours d’eau peu profonds, est viable et en bonne santé. Elle compte plus de 136 individus, avec des preuves de migration entre les communautés, une nécessité pour maintenir leur diversité génétique.
« C’est une population viable et saine, et [le nombre de chimpanzés] est en réalité une sous-estimation car les analyses génétiques basées sur des échantillons fécaux tendent à exclure les individus nouveau-nés et juvéniles », explique Kathelijne Koops, professeure d’anthropologie évolutionniste à l’université de Zurich et auteure principale de la récente étude qui décrit les résultats.
Grâce à l’analyse génétique en laboratoire, l’équipe de recherche a pu identifier l’ADN de 136 chimpanzés individuels. Armés de ces informations, ils ont suivi les déplacements de ces individus dans la partie occidentale de la chaîne du Nimba, dans un paysage à couper le souffle, fait de forêts tropicales, de savanes d’altitude et de rivières à fort débit.
Le recensement a également identifié quatre communautés distinctes de ces singes appartenant à une sous-espèce de chimpanzés en danger critique d’extinction. Il a parallèlement apporté la preuve de migrations entre elles.
Lorsqu’elles atteignent leur maturité sexuelle, les femelles chimpanzé tendent à quitter leur communauté de naissance. Cette « dispersion » est essentielle au maintien de la diversité génétique de la population dans son ensemble.
« Nous avons [la preuve de] flux génétiques entre les communautés », affirme Kathelijne Koops à Mongabay. « Grâce à une période d’échantillonnage prolongée, nous avons pu observer la migration intercommunautaire des individus. Par exemple, une femelle a été échantillonnée d’abord dans les montagnes, au nord, puis un an plus tard dans le sud. »
Les données collectées par l’étude pourront aider les chercheurs et les défenseurs de l’environnement à comprendre où se trouvent les chimpanzés par rapport au projet d’extraction de minerai de fer prévu dans les monts Nimba.
La Société des Mines de Fer de Guinée, qui est à l’origine du projet, indique sur son site web qu’elle prévoit d’extraire 450 millions de tonnes métriques de minerai sur 15 à 25 ans. Elle précise également que le projet sera adapté au paysage et à la biodiversité riche et que son impact sur les montagnes sera minime.
Néanmoins, le site assigné aux opérations minières, bien qu’en dehors de la réserve naturelle de Nimba, s’étend sur une zone que les chimpanzés utilisent régulièrement.
« Si [le projet minier] n’est pas altéré et que les chimpanzés ne peuvent pas traverser, alors la communauté du nord sera coupée de celles du sud », explique Kathelijne Koops.
« Cela souligne l’importance de veiller à ce qu’il y ait des corridors pour les chimpanzés afin de maintenir ce lien entre les communautés. »
Genevieve Campbell, primatologue et partenaire principale du groupe de protection de l’environnement Re:Wild, n’a pas participé à l’étude, mais note que les impacts des activités minières peuvent déborder bien au-delà de l’aire affectée au projet. En effet, des routes seront construites pour faciliter l’accès et la mine apportera un afflux de travailleurs, menant à une pression supplémentaire sur les ressources naturelles, explique-t-elle.
Les activités humaines restreignant les aires de répartition et les déplacements des chimpanzés, comme l’exploitation minière, l’agriculture ou la chasse, pourraient engendrer des affrontements meurtriers entre communautés rivales en raison de chevauchements de territoire, préviennent Kathelijne Koops et ses coauteurs dans leur étude.
« La présence d’humains dans des zones fréquentées par les chimpanzés présente également un risque de transmission des maladies, c’est-à-dire de zoonoses, qui peuvent mener à une mortalité élevée chez les chimpanzés », écrivent-ils.
L’épidémie d’Ebola de 2014 s’est déclarée non loin de la réserve de Nimba, rappelle Genevieve Campbell. « Il ne semble pas que ce soit une bonne idée d’empiéter sur un site à forte biodiversité, étant donné le lien connu avec les épidémies. Il y a du minerai de fer partout dans le monde, pourtant on insiste pour l’extraire dans un site du patrimoine mondial et pour impacter un site unique qui est également un important bassin versant de la région. »
Selon Annette Lanjouw, directrice du programme grands singes et gibbons de la Fondation Arcus, qui n’a pas participé à l’étude, celle-ci prouve que le recensement génétique améliore la précision et la fiabilité du comptage des chimpanzés.
« Cela nécessite toujours de récolter les échantillons [fécaux] de chaque individu, ce qu’il n’est pas toujours possible de garantir. Mais cette technique est tout de même plus fiable et plus précise que ses alternatives », affirme-t-elle. Les autres méthodes incluent le comptage des nids, que les chimpanzés du site d’étude guinéen construisent parfois à même le sol plutôt que dans les arbres, ainsi que des transects linéaires et des trajets de reconnaissance le long de sentiers à travers la forêt.
En outre, l’observation directe des chimpanzés dans la chaîne du Nimba est éprouvante. Tout d’abord, à cause de la nature du terrain : les chimpanzés peuvent aisément traverser des ravins profonds depuis la cime des arbres, au contraire de leurs observateurs humains qui se font donc distancer rapidement. Mais aussi parce que les grands singes se méfient encore beaucoup de l’homme. L’activité de pêche au crabe constatée par Kathelijne Koops et ses collègues, par exemple, a été documentée à distance grâce à des caméras à détection de mouvement.
« La population de Nimba est un foyer important de cette sous-espèce de chimpanzé », explique à Mongabay Annette Lanjouw, ajoutant que le travail de conservation doit prendre en compte l’entièreté de l’écosystème montagneux, dont sa fonction hydrologique.
« Si l’habitat est détruit et que les chimpanzés disparaissent, ils ne seront pas la seule espèce », dit-elle. « L’impact de l’homme dans la région et bien au-delà sera considérable. »
Image de bannière : Un chimpanzé de l’Ouest. Image de Kathelijne Koops.
Référence :
Koops, K., Humle, T., Frandsen, P., Fitzgerald, M., D’Auvergne, L., Jackson, H. A., … Hvilsom, C. (2023). Genetics as a novel tool in mining impact assessment and biomonitoring of critically endangered western chimpanzees in the Nimba Mountains, Guinea. Conservation Science and Practice. doi:10.1111/csp2.12898
Article original : https://news-mongabay-com.mongabay.com/2023/04/guineas-crab-fishing-chimps-are-in-good-health-study-shows-but-threats-loom/