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Le sauvetage d’un lac camerounais d’une plante envahissante redonne espoir pour le lamantin d’Afrique menacé d’extinction

Un lamantin d’Afrique. Image de Jakub Pabis/Unsplash.

Un lamantin d’Afrique. Image de Jakub Pabis/Unsplash.

  • L’eutrophisation du lac Ossa, envahi au cours des dix dernières années par la Salvinia molesta, une plante aquatique originaire du sud-est du Brésil, avait fait disparaitre ce mammifère aquatique déjà classé comme vulnérable, car enclin au braconnage excessif dans les eaux camerounaises.
  • Depuis fin 2022, le lamantin d’Afrique (Trichechus senegalensis) est réapparu dans le lac, grâce à une opération de lutte biologique, qui a consisté à éradiquer cette plante envahissante à l’aide des charançons (Cyrtobagous salviniae) importés des États-Unis.
  • Un rapport récent atteste d’une diminution de 60 % de la couverture de la Salvinia molesta à la surface du lac, un an après le début de la lutte biologique.
  • Ceci a favorisé un regain de l’activité de pêche dans la localité et l’extraction de la Salvinia molesta, cette plante invasive, a offert de nouvelles opportunités, avec à la clé sa transformation en charbon écologique commercialisé dans le village.

DIZANGUÉ, Cameroun – Au lac Ossa, la navigation est redevenue possible, et la pêche artisanale a repris de fort belle manière. Ceci grâce à la lutte biologique initiée en juillet 2021 par l’association camerounaise African Marine Mammal Conservation Organization (AMMCO), contre l’envahissement du lac par la Salvinia molesta ou fougère d’eau, une plante aquatique originaire du sud-est du Brésil. Leur assistant clé dans cette lutte : un charançon ravageur importé des États-Unis.

Les résultats viennent au grand bonheur de Fils Ernest Etondo, un pêcheur de la localité de Dizangué, située à près de 80 kilomètres de la capitale économique Douala:

« Il y avait certains poissons à l’instar du Mâchoiron africain (Arius africanus) et la carpe rouge qui avaient disparu pendant un certain temps, qui apparaissent de nouveau. Il y a longtemps on n’en trouvait plus dans le lac, sans doute à cause de la présence de la Salvinia molesta. Et depuis que la Salvinia disparait, on les aperçoit encore », se réjouit ce quadragénaire.

Fils Ernest dit apercevoir désormais le lamantin d’Afrique (Trichechus senegalensis), en moyenne deux fois par semaine lors de ses parties de pêche.

Retrait manuel de la Salvinia molesta dans le lac Ossa par les communautés du village Dizangué. Image de AMMCO.
Retrait manuel de la Salvinia molesta dans le lac Ossa par les communautés du village Dizangué. Image de AMMCO.

La présence de cette plante dans le lac avait non seulement entrainé l’obstruction des voies de navigation, la réduction des captures de poissons, la destruction des filets de pêche, mais surtout la disparition  de certaines espèces dont ce mammifère aquatique classé comme vulnérable sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), car enclin au braconnage excessif dans les eaux camerounaises. La Salvinia molesta a constitué un ombrage non négligeable à la croissance de l’Echinoclhoa pyramidalis, plante représentant la principale source de nutrition du lamantin.

AMMCO explique que la prolifération de la fougère d’eau dans le lac Ossa résulte de son enrichissement en azote et en phosphore. Ces nutriments émanent d’intenses activités anthropiques menées en amont du lac sur le fleuve Sanaga, où sont érigés de nombreux barrages hydroélectriques.

D’après l’écologiste Thierry Aviti, « des études menées montrent que les vannes du barrage de Lom Pangar s’ouvrent par le bas. Et lorsqu’elles sont ouvertes, toutes les matières organiques stockées en amont, qui sont très riches en Azote et Phosphore, ruissellent le long du fleuve Sanaga et se déversent dans le lac, qui est stagnant. Ce qui crée cette eutrophisation du lac par la Salvinia », explique-t-il.

Une vue aérienne du Lac Ossa, recouvert par la Salvinia molesta au mois de mars 2020. Image de AMMCO.
Une vue aérienne du Lac Ossa, recouvert par la Salvinia molesta au mois de mars 2020. Image de AMMCO.
Une vue du lac Ossa au mois d’avril 2023, après l’éradication réussie de la Salvinia molesta/Image de Yannick Kenné
Une vue du lac Ossa au mois d’avril 2023, après l’éradication réussie de la Salvinia molesta. Image de Yannick Kenné.

AMMCO, dont la mission est de contribuer à la protection de la mégafaune aquatique en Afrique centrale, indique dans un récent rapport que des lamantins sont réapparus dans le lac Ossa en fin d’année 2022. Alors qu’« [ils] n’avaient plus été directement observés depuis près de deux ans dans le lac du fait de la présence de la Salvinia. La seule détection possible était par des enregistreurs acoustiques (hydrophones) », lit-on dans le rapport.

Ceci résulte de cette lutte biologique qui a consisté à relâcher d’importantes quantités de charançons (Cyrtobagous salviniae) importés de l’Université de Louisiane aux États-Unis dans le lac, dont 50% de la superficie (4 507 hectares) était recouverte par la fougère d’eau en 2021. Ces insectes ravageurs ainsi déversés sur la Salvinia molesta, s’attaquent en priorité au bourgeon de la plante pour empêcher la multiplication de celle-ci. Les charançons procèdent ensuite à la ponte d’œufs sur la plante, et après éclosion, leurs larves se propagent davantage sur le feuillage et le consomment jusqu’au flétrissement.

Douze mois après cette expérimentation réussie, AMMCO et son partenaire américain ont réalisé des analyses satellitaires qui attestent d’une diminution de 60% de la couverture de la Salvinia molesta à la surface du lac.

Un charançon (Cyrtobagous salviniae) utilisé pour détruire la Salvinia molesta dans le lac Ossa. Image de AMMCO.
Un charançon (Cyrtobagous salviniae) utilisé pour détruire la Salvinia molesta dans le lac Ossa. Image de AMMCO.

Le recours à ces insectes conditionnés dans un centre de reproduction mis en place à cet effet ne présente aucune menace pour la faune aquatique, soutient Annick Zanga, responsable de l’organisation à Dizangué:

« Le charançon ne présente aucun effet secondaire sur la faune et la flore aquatique. Le charançon ne consomme que la Salvinia, et en absence de celle-ci, il meurt. Nous avons mené plusieurs expériences, et pour l’heure, il n’y a pas de risque pour l’environnement aquatique » assure-t-elle.

Le lancement de la lutte biologique a d’ailleurs obtenu l’accord préalable des autorités du ministère de l’Environnement et de nombreuses autres administrations camerounaises.

À côté de cette lutte biologique, AMMCO a également organisé un retrait manuel de 500 tonnes de cette plante invasive sur les berges et les voies navigables du lac, avec la participation active des communautés locales.

La biomasse issue de cette autre opération est transformée en charbon écologique par des volontaires de l’Association des jeunes dynamiques de Dizangué Beach (AJDDB), formés pour la circonstance. Le combustible obtenu par carbonisation d’une mixture de Salvinia molesta, de bambou de Chine, et bien d’autres composantes, est écoulé dans la localité auprès des vendeuses de poissons à la braise.

Du charbon écologique issu de la transformation de la Salvinia molesta par des jeunes de la localité de Dizangué. Image de Yannick Kenné.
Du charbon écologique issu de la transformation de la Salvinia molesta par des jeunes de la localité de Dizangué. Image de Yannick Kenné.

AMMCO a récemment entrepris de mener une campagne de prélèvement des échantillons d’eau sur le bassin versant du fleuve Sanaga où de nombreuses agro-industries mènent des activités, à l’effet d’identifier d’autres sources de son enrichissement en Azote et en Phosphore favorisant l’eutrophisation du lac. Les résultats de cette étude seront dévoilés dans les prochaines semaines.

Lutte contre le braconnage du lamantin d’Afrique

À Dizangué, le braconnage du lamantin d’Afrique a aussi considérablement baissé, grâce aux actions de sensibilisation menées sans relâche par AMMCO.

« Lors de notre implantation à Dizangué en 2012, le braconnage du lamantin était très fréquent. Il était commercialisé dans les marchés, et même consommé dans les restaurants. Mais grâce à la sensibilisation, le phénomène a presque disparu, et c’est devenu rare d’en trouver », confie Annick Zanga.

Néanmoins, il existe encore des pêcheurs qui passent entre les mailles du filet et se livrent en catimini à la chasse au lamantin, pour des fins commerciales, ensuite pour satisfaire certaines croyances superstitieuses.

L’un d’eux a confié à Mongabay sous couvert d’anonymat que « le lamantin, c’est de la bonne chair blanche qu’aiment manger les personnalités d’un certain rang dans le pays. Lorsqu’on attrape un, on dépèce et on les contacte. Ils achètent sans hésiter, même à 200 000 Francs CFA ($335). En plus, dans nos us et coutumes, lorsqu’on consomme de la viande du lamantin, on se voit prolonger sa vie sur terre. C’est un privilège », conjecture-t-il.

La carcasse d’un lamantin d’Afrique retrouvé mort aux larges du Lac Tissongo (Cameroun) en 2020/Image de « Visiter le Cameroun avec moi ». Image de Facebook.
La carcasse d’un lamantin d’Afrique (Trichechus senegalensis) retrouvé mort aux larges du Lac Tissongo (Cameroun) en 2020. Image de « Visiter le Cameroun avec moi » sur Facebook.

Au Cameroun, le lamantin d’Afrique fait partie des espèces en voie de disparition, interdites de capture ou d’abattage, selon un arrêté du ministère des Forêts et de la Faune. La législation camerounaise condamne d’une peine d’emprisonnement de 3 ans, assortie de sanctions pécuniaires, toute personne reconnue coupable de braconnage des espèces protégées.

Les données sur le nombre de lamantins tués au Cameroun sont aléatoires, et il est difficile d’en faire une évaluation précise. Selon AMMCO, des enquêtes menées en 2020 auprès des pêcheurs du fleuve Nkam toujours en zone littorale du pays, où le braconnage est plus accentué, ont révélé qu’un pêcheur tue en moyenne trois lamantins par an.


 

Image mise en avant : Un lamantin d’Afrique. Image de Jakub Pabis/Unsplash.

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