Nouvelles de l'environnement

Les éléphants favorisent le développement des arbres géants, augmentant ainsi les réserves de carbone dans les forêts d’Afrique

  • Les habitudes alimentaires des éléphants de forêt d'Afrique (Loxodonta cyclotis) favorisent la survie des arbres géants à forte densité de bois, plus aptes à stocker le carbone.
  • Une nouvelle étude révèle que les éléphants vivant dans les forêts se nourrissent d'arbres à faible densité de bois, faisant ainsi de la place à des arbres plus grands et plus lourds, riches en carbone.
  • Les éléphants jouent également le rôle de disperseurs de graines pour ces arbres géants.
  • Tout en précisant qu'il est difficile de déterminer le rôle exact joué par les extinctions d'éléphants de la région dans la modification de la composition des forêts, les chercheurs affirment que les éléphants pourraient augmenter de 6 à 9 % le stockage de carbone à la surface dans les forêts d'Afrique centrale.

Précédemment, des études ont montré que les forêts tropicales d’Afrique stockent plus de carbone par hectare que les forêts amazoniennes, mais la manière dont elles y parviennent reste un mystère. Il s’avère que les éléphants jouent un rôle considérable dans le maintien de la santé des forêts. De nouvelles recherches révèlent que sans ces jardiniers géants, les forêts d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale seraient moins riches en biodiversité et en carbone.

« Nous évoquons beaucoup les arbres et le sol, mais un écosystème efficace et ses fonctions dépendent également des animaux », a déclaré Fabio Berzaghi, auteur principal d’une étude publiée dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences. Selon ce nouvel article, la présence de grands herbivores, notamment d’éléphants, pourrait faire la différence.

Les éléphants de forêt sont plus petits que ceux de la savane, mais ils peuvent peser entre 2000 et 6000 kg. Leur appétit est sans fin ; un adulte peut manger entre 100 et 200 kg de nourriture par jour et au menu, on retrouve environ 350 espèces végétales.

Ces pachydermes vivent dans les forêts tropicales d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale, leurs derniers refuges se trouvant au Gabon et en République du Congo. Dans les cercles de conservation plus larges, les éléphants de forêt n’ont été reconnus comme une espèce distincte de leurs cousins de la savane (Loxodonta africana) qu’en 2021. Bien que les deux espèces soient menacées, le nombre d’éléphants de forêt a chuté de plus de 60 % au cours de la dernière décennie, principalement en raison du braconnage et de la destruction de leur habitat. Aujourd’hui, ils n’occupent plus qu’un quart de leur aire de répartition initiale.

« Les éléphants de forêt sont très peu étudiés par rapport à d’autres mégaherbivores, et cette étude contribue à une meilleure compréhension de leur grand impact sur les écosystèmes forestiers », a déclaré John Poulsen, écologiste à l’université Duke, qui n’a pas participé à l’étude.

Forest elephants, lowland bongos and forest buffalos in Central African Republic.
Éléphants de forêt, bongos de plaine et buffles de forêt en République centrafricaine. Les éléphants jouent un rôle considérable dans le maintien de la santé des forêts. De nouvelles recherches démontrent que sans ces jardiniers géants, les forêts d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale seraient plus pauvres en biodiversité et en carbone. Image de Grégoire Dubois via Flickr (CC BY-NC-SA 2.0).

Berzaghi et ses collègues ont analysé les habitudes alimentaires des éléphants dans le parc national de Nouabalé-Ndoki en République du Congo et ils ont compilé leurs résultats avec des données provenant de sept autres sites en Afrique. Ils ont constaté que, dans toute leur aire de répartition, les éléphants vivant dans les forêts se nourrissent des arbres à faible densité de bois et mangent les fruits des arbres à forte densité de bois.

Lorsqu’ils parcourent les forêts en quête de feuilles, de fruits et d’écorces d’arbres, les troupeaux d’éléphants permettent aux arbres plus grands de supplanter les autres espèces. Les arbres plus fins et plus petits sont à la portée des éléphants, et beaucoup d’entre eux produisent des feuilles facilement digestibles. Les zones d’alimentation des éléphants sont donc plus abondantes en arbres plus grands et plus lourds, qui stockent davantage de carbone.

Les chercheurs ont également examiné les tas d’excréments des éléphants collectés pendant trois ans à Nouabalé-Ndoki afin d’y trouver des indices. Ces recherches ont permis de découvrir une autre raison pour laquelle les éléphants sont importants pour le stockage du carbone. Leur grande taille et leur goût pour les fruits leur permettent de disperser les graines de certains des arbres les plus imposants.

Mukulungu (Autranella congolensis) est une espèce d’arbre de la forêt tropicale congolaise en danger critique d’extinction. Il peut atteindre 50 mètres de haut et son tronc peut mesurer jusqu’à 2 mètres de diamètre. Les scientifiques pensent que les éléphants sont les principaux disperseurs des graines de cet arbre. En effet, ils les mangent entières et les rejettent ensuite sous forme d’un tas d’excréments riches en nutriments.

Poulsen explique que « cette étude représente un travail considérable de compilation des caractéristiques des arbres, telles que la valeur nutritionnelle des feuilles ainsi que la densité du bois ». Il ajoute que les chercheurs ont été en mesure de relier ces caractéristiques aux données relatives à la façon dont les éléphants se déplacent et dispersent les graines dans plusieurs sites d’Afrique occidentale et centrale.

Selon Berzaghi, les excréments d’éléphants pourraient également servir d’engrais aux plantes car ils favoriseraient leur germination et leur croissance, mais on ignore encore dans quelle mesure ils contribuent au stockage du carbone.

An African forest elephant heading into a rain forest
Un éléphant de forêt d’Afrique se dirigeant vers une forêt tropicale au Gabon. Image de Rhett A. Butler/Mongabay.

L’extinction des éléphants signifierait la disparition de bien plus que ces mammifères majestueux ; elle transformerait la structure de la forêt. Si les éléphants de forêt disparaissent, les arbres à faible densité de bois proliféreront au détriment des espèces plus grandes. Les auteurs de l’étude prévoient que cela pourrait se traduire par une perte de 6 à 9 % du stockage de carbone à la surface.

Il est difficile de déterminer ou d’expliquer les fluctuations des réserves de carbone. La réaction probable des stocks de carbone à la disparition des éléphants serait que les arbres dont les graines sont dispersées par les éléphants disparaîtraient totalement en même temps que les animaux eux-mêmes.

En principe, les scientifiques peuvent mesurer l’évolution des stocks de carbone dans les zones où les éléphants de forêt ne vivent plus. Cependant, il est beaucoup plus difficile d’évaluer dans quelle mesure cette perte de stocks de carbone est due aux extinctions des éléphants de la région. Certains facteurs qui font disparaître les éléphants, comme l’exploitation forestière et la conversion des forêts, appauvrissent également les stocks de carbone de manière directe.

À Lui Kotale, en République démocratique du Congo, une équipe de chercheurs a constaté que plus de trois quarts des espèces d’arbres qui dépendent des éléphants pour la dispersion de leurs graines ne parvenaient pas à produire suffisamment de jeunes arbres en l’absence de ces animaux. Étant donné que les changements dans la structure de la forêt se produisent au fil des générations, les chercheurs n’ont pu fournir que des estimations de l’ampleur des modifications du stockage du carbone qui en résulteraient.

Malgré cela, les chercheurs affirment que si les éléphants de forêt d’Afrique retrouvent leur aire de répartition initiale, leur contribution à la réduction du carbone atmosphérique sera notable. « La protection des éléphants de forêt, y compris dans les concessions forestières et autres forêts exploitées, est une mesure d’atténuation du changement climatique d’une importance cruciale pour la faune sauvage », écrivent les auteurs de l’étude.

Poulsen, de l’université Duke, qui a étudié les effets de la disparition des éléphants sur les forêts d’Afrique centrale, a déclaré que les données recueillies par l’équipe de Berzaghi seraient « cruciales » pour évaluer l’impact réel des éléphants sur la composition des espèces forestières et les stocks de carbone.

Image de bannière : Les éléphants qui vivent dans les forêts se nourrissent des arbres à faible densité de bois, faisant ainsi de la place aux arbres plus gros et plus riches en carbone. Image de João Aguiar via Pexels(Public domain).

Références:

Cuni-Sanchez, A., Sullivan, M. J., Platts, P. J., Lewis, S. L., Marchant, R., Imani, G., … Zibera, E. (2021). High above-ground carbon stock of African tropical montane forests. Nature596(7873), 536-542. doi:10.1038/s41586-021-03728-4

Berzaghi, F., Bretagnolle, F., Durand-Bessart, C., & Blake, S. (2023). Megaherbivores modify forest structure and increase carbon stocks through multiple pathways. Proceedings of the National Academy of Sciences120(5). doi:10.1073/pnas.2201832120

Beaune, D., Fruth, B., Bollache, L., Hohmann, G., & Bretagnolle, F. (2013). Doom of the elephant-dependent trees in a Congo tropical forest. Forest Ecology and Management295, 109-117. doi:10.1016/j.foreco.2012.12.041

 
Article original: https://news.mongabay.com/2023/01/elephants-promote-jumbo-trees-boosting-the-carbon-stores-in-africas-forests/

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