Nouvelles de l'environnement

Étude : Des espèces d’arachnides menacées d’extinction par le commerce en ligne

  • Une récente étude révèle l’existence d’un commerce international d’invertébrés non réglementé, créant un risque de surexploitation de certaines espèces sauvages.
  • Une équipe de scientifiques a mené des recherches sur Internet et découvert un trafic en ligne touchant 1 264 espèces au total.
  • Les chercheurs ont noté une forte demande pour les mygales – 25 % des espèces décrites par la science depuis 2000 seraient particulièrement prisées par les collectionneurs.
  • L’Afrique joue le rôle de chef de file dans ce trafic, se positionnant comme zone d’approvisionnement et de transit pour les mygales et les scorpions.

Le jour où John Midgley a déterré une mygale d’une couleur brun doré d’un terrier dans les forêts reculées du sud-est de l’Angola, il a eu le sentiment d’être tombé sur « l’un des animaux les plus étonnants jamais découverts à ce jour ». De retour à son campement, l’entomologiste sud-africain a examiné l’araignée à l’aide de sa lampe frontale et a été stupéfait par l’étrange corne que l’espèce arbore sur son dos, plus longue que toutes celles découvertes à ce jour sur des espèces du même genre comme le Ceratogyrus, communément appelé « araignée babouin », et d’un aspect plus velu également.

Ce jour-là, le chercheur a également compris qu’avec cette étrange protubérance, l’espèce risquait d’attirer la convoitise des trafiquants et collectionneurs d’animaux de compagnie exotiques et d’être mise en péril. Le chercheur et son équipe ont tout fait pour atténuer ces risques. Par exemple, lors de la publication de leur article, ils ont délibérément omis de communiquer les coordonnées GPS du lieu de découverte de l’espèce.

Il a cependant reconnu qu’il était relativement simple de trouver les araignées dans la nature. « N’importe quel collectionneur expérimenté – que son activité soit légale ou non – serait capable d’en dénicher plusieurs par mission », a-t-il indiqué à Mongabay.

Aujourd’hui, plus de six ans après que sa découverte a été rendue publique, il semble que certaines de ces araignées connues des Angolais sous le nom de chandachuly et de John Midgley et de son équipe sous celui de Ceratogyrus attonitifer, ont déjà trouvé leur place sur des sites de commerce en ligne. C’est en tout cas ce que pense Alice Hughes, l’auteure principale d’une récente étude menée sur le vaste commerce international non réglementé des invertébrés.

« Nous ne voyons que le commerce [de chandachuly] discuté en ligne, alors il est vraisemblable que tout se passe à des niveaux très bas », a-t-elle rapporté à Mongabay. « Ils [les collectionneurs] sont avides de nouveautés. »

Ceratogyrus attonitifer and its habitat.
A) Vue aérienne de l’habitat du Ceratogyrus attonitifer – une zone marécageuse au milieu des forêts de miombo (Brachystegia). B) Un Ceratogyrus attonitifer avec une corne identifiée sur son dos. C) Un Ceratogyrus attonitifer, en position de défense, typique des araignées babouins. D) L’entrée du terrier de l’araignée au beau milieu d’une touffe d’herbe. Images de John M. Midgley et de Ian Engelbrecht pour Mongabay.

Le chandachuly n’est pas le seul arachnide menacé par ce danger. Selon l’étude menée par Alice Hughes, 25 % des nouvelles espèces de mygales décrites par les scientifiques depuis 2000 auraient déjà pénétré le marché international.

Alice Hughes, biologiste à l’Université de Hong Kong, et ses collègues ont recueilli leurs informations dans des bases de données en ligne et sur différents sites Web et ont recensé que 1 264 espèces d’arachnides, notamment des mygales, étaient commercialisées à l’échelle mondiale.

Nombre de mygales ont une longue durée de vie et des taux de reproduction lents en comparaison, ce qui les rend particulièrement vulnérables à la surexploitation. Il en va de même pour les scorpions. Alice Hughes et les coauteurs de l’étude avertissent que le manque de données disponibles pour lutter contre le commerce d’arachnides – légal ou illégal – augmente le risque d’extinction de nombreuses espèces d’araignées et de scorpions.

Comprendre comment ces animaux arrivent sur le marché international est l’un des éléments clés du sujet de recherche d’Alice Hughes. Elle indique que sur chacun des continents au moins un pays assure le rôle de « méga-plateforme » pour le reste de la région.

« Pour les pays ayant des contrôles rigoureux des bagages en place ou exigeant un permis pour l’exportation des animaux, il est plus facile de simplement faire passer [une expédition d’arachnides] par-delà leur frontière dans un pays voisin ayant un système de contrôle beaucoup plus laxiste dans ses aéroports. »

La Chine, le Chili et le Ghana ont été identifiés comme plateformes commerciales par l’équipe de scientifiques. « Le Ghana exporte de nombreuses espèces sauvages non natives du Ghana. Il y a des chances qu’elles arrivent dans le pays par les frontières terrestres pour être ensuite exportées vers d’autres pays », a indiqué la chercheuse.

Si capturer des centaines de milliers de spécimens d’une certaine espèce dans une partie du globe peut menacer cette dernière d’extinction au plan local, la transporter vers des plateformes commerciales à travers la région ou vers d’autres continents peut entraîner un autre danger : « l’invasion d’espèces non indigènes ».

Il s’agit d’une menace omniprésente en Afrique du Sud, qui a émergé comme destination et plateforme commerciale pour la plupart des mygales non indigènes. L’Afrique du Sud a un climat adapté à la prolifération de la plupart de ces espèces, quand elles parviennent à s’échapper ou sont remises en liberté.

Ceci pourrait entraîner des retombées négatives sur la faune et la flore au niveau local, a souligné Alice Hughes.

« En outre, nous savons que certains types d’acariens et de maladies vont se propager par le biais de ces animaux », a-t-elle mis en garde. « Ils possèdent une énorme capacité à transmettre maladies et agents pathogènes. »

Tinyiko Shivambu, zoologue basé à l’Université de Pretoria, est l’auteur principal d’une étude parallèle menée en 2020 qui s’est axée sur les mygales dans le commerce des animaux domestiques en Afrique du Sud.

Avec l’aide de son équipe, il a découvert que l’une des trois principales espèces disponibles, et la moins onéreuse, était la mygale à croupion rouge du Mexique (Brachypelma vagans). C’est une espèce qui a fait sa place dans la nature au Bélize (Amérique centrale) et en Floride (États-Unis). Elle a été introduite dans les deux pays par le commerce d’animaux de compagnie.

Certaines régions d’Afrique du Sud semblent tout aussi favorables à la prolifération de l’espèce, a fait observer l’auteur principal de l’étude.

A Mexican redrump.
Une mygale à croupion rouge du Mexique. L’espèce Brachypelma vagans a été introduite dans la nature au Bélize et aux États-Unis par le commerce d’animaux de compagnie. Image de Danny_de_Bruyne via Pixabay (Domaine public).

Le zoologue a expliqué à Mongabay que l’Afrique du Sud était à la fois considérée comme plateforme commerciale et destination pour les animaux de compagnie exotiques en raison de ses législations nationales qui restreignent le commerce des espèces indigènes locales.

« La législation sur la biodiversité en Afrique du Sud interdit le commerce de toute espèce indigène locale, c’est pourquoi les magasins d’animaux de compagnie et le commerce en ligne proposent essentiellement des espèces non indigènes. »

Dans le cadre de son doctorat, Tinyiko Shivambu a aidé sa femme et consœur Ndivhuwo Shivambu à mener ses travaux de recherches sur le commerce des petits animaux de compagnie exotiques en Afrique du Sud.

« Nous avons visité près de 122 magasins animaliers et constaté que les mygales étaient vendues dans chacune des provinces du pays et dans chacun des magasins », a-t-il indiqué.

Cela ne signifie pas que les arachnides d’Afrique du Sud ne sont pas exportés de manière illicite, en violation au règlement sur le commerce des espèces protégées ou menacées (Threatened or Protected Species, TOPS), qui s’inscrit dans la Convention sur la diversité biologique du pays.

L’entomologiste John Midgley, qui à l’instar de Tinyiko Shivambu n’a pas participé à l’étude d’Alice Hughes, se souvient que ses propres recherches en ligne menées en 2013 lui avaient permis d’identifier des spécimens adultes d’araignées babouins à pattes bleu doré (Harpactira pulchripes), inscrites dans le TOPS, en vente sur le marché international au prix de 3 000 euros l’unité (soit 4 000 dollars au taux de change en vigueur à cette date).

Trois ans plus tard, de jeunes araignées appartenant à la même espèce se vendaient pour seulement 150 euros (environ 165 dollars).

John Midgley a déclaré que de tels effondrements des prix étaient révélateurs et qu’ils permettaient de comprendre si une espèce était élevée en captivité de manière durable, ou si elle était exposée au risque de surexploitation dans la nature.

« Des prix de l’ordre de plusieurs milliers [d’euros ou de dollars] sous-entendent que seuls les spécimens prélevés dans la nature sont disponibles, alors que des prix de l’ordre de plusieurs centaines d’euros ou de dollars indiquent que les espèces sont élevées en captivité », a-t-il ajouté.

A brown Ceratogyrus attonitifer on a smooth white surface fills the frame. Known as chandachuly in its native Angola, this tarantula has a horn on its back longer than any found on similar species from the same genus. Image courtesy of John M. Midgley, Ian Engelbrecht
Le Ceratogyrus attonitifer arbore une corne sur son dos plus longue que toutes celles découvertes à ce jour sur des espèces du même genre. Images de John M. Midgley et de Ian Engelbrecht pour Mongabay.

Le commerce international d’un grand nombre d’espèces de mygales est régulé par la CITES, la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction. Toutefois, la plupart des autres invertébrés ne sont malheureusement pas protégés. D’après l’étude menée par Alice Hughes, 73 % des espèces d’arachnides en vente sur Internet n’étaient classées ni par la CITES ni par le système d’application des lois sur les espèces sauvages géré par le service américain de la pêche et de la faune (USFWS). Ce manque d’informations essentielles sur les différentes espèces commercialisées et sur la taille de leurs populations à l’état sauvage est ce qu’Alice Hughes appelle la « zone grise du commerce ».

« Pour la plupart de ces espèces, il n’existe aucune donnée, mais il faut dire que nous concentrons aussi tellement nos efforts sur des espèces comme les éléphants, que nous en sommes arrivés à oublier que 99,9 % des espèces [d’arachnides] n’obtiennent pas le niveau d’attention qu’elles méritent », a-t-elle déploré.

Certains groupes sont plus sévèrement touchés que d’autres. Prenons le cas des scorpions.

À la différence des mygales qui peuvent être facilement élevées en captivité, réduisant ainsi la menace sur les populations sauvages, les scorpions, eux, se prêtent mal à ce type d’élevage. Bon nombre ont des exigences écologiques spécifiques, et les espèces originaires des environnements arides sont particulièrement vulnérables à la surexploitation, selon Lorenzo Prendini, conservateur spécialiste des arachnides et myriapodes au Musée d’histoire naturelle américain de New York.

Il estime que ces espèces pourraient disparaître avant même d’avoir été décrites par la science.

« Je sais que certaines espèces [de scorpions] en Namibie et en Afrique du Sud n’existent qu’à certains endroits bien précis, sur une toute petite zone, alors je m’inquiète à l’idée de voir ces informations disponibles sur Internet », a-t-il indiqué à Mongabay.

« Comme cela s’est déjà produit avec de nombreuses plantes grasses, de telles espèces pourraient bien être pratiquement décimées par des collectionneurs peu scrupuleux lors d’un seul salon. »

Le conservateur, qui n’a pas participé à l’étude d’Alice Hughes, a fait savoir qu’il craignait que les médias sociaux et les sites Web de science citoyenne développés par des personnes bien intentionnées en vue de promouvoir la découverte et la compréhension de la biodiversité soient parcourus par des négociants à la recherche d’informations sur ce qu’il nomme le « crime contre la biodiversité ».

La nature changeante de la taxonomie du scorpion se présente comme un enjeu supplémentaire pour les spécialistes de la conservation, et comme une opportunité pour les négociants sans scrupules.

Lorenzo Prendini a affirmé être régulièrement contacté par l’USFWS et des agences analogues en Allemagne, en Israël, en Afrique du Sud et ailleurs pour vérifier les identifications qui, souvent, se révèlent fausses.

« Il est courant de voir les négociants faire passer les espèces de la CITES pour des espèces voisines non réglementées », a-t-il rapporté.

Non seulement les espèces sont falsifiées, mais leur pays d’origine l’est également. Les invertébrés officiellement importés du Mozambique et de Tanzanie, où ils ne bénéficient d’aucune protection officielle, ont été identifiés par Lorenzo Prendini et ses collègues comme étant en fait originaires du Kenya, de la Namibie et d’Afrique du Sud.

Il a recommandé une protection élargie par la CITES. Au lieu de réguler le commerce d’une espèce particulière, telle que le scorpion empereur (Pandinus imperator) qui est très prisé aux États-Unis et essentiellement capturé à l’état sauvage, les autorités pourraient réguler le commerce de la famille du scorpion dans son ensemble, un vaste groupe qui couvre des centaines d’espèces connues.

« C’est peut-être la seule et unique façon de protéger les invertébrés », a déclaré Lorenzo Prendini, « car vous ne pouvez tout simplement pas les traiter de la même manière que les vertébrés. »

 
Image de bannière : Une araignée babouin aux pattes bleu doré (Harpactira pulchripes). Image de The LionHeart Experience via Wikimedia Commons (CC BY 4.0).

Citations : 

Marshall, B. M., Strine, C. T., Fukushima, C. S., Cardoso, P., Orr, M. C., & Hughes, A. C. (2022). Searching the web builds fuller picture of arachnid trade. Communications Biology, 5(1), 448. doi:10.1038/s42003-022-03374-0

Midgley, J. M., & Engelbrecht, I. (2019). New collection records for Theraphosidae (Araneae, Mygalomorphae) in Angola, with the description of a remarkable new species of Ceratogyrus. African Invertebrates, 60(1), 1-13. doi:10.3897/afrinvertebr.60.32141

Shivambu, T. C., Shivambu, N., Lyle, R., Jacobs, A., Kumschick, S., Foord, S. H., & Robertson, M. P. (2020). Tarantulas (Araneae: Theraphosidae) in the pet trade in South Africa. African Zoology55(4), 323-336. doi:10.1080/15627020.2020.1823879

 
Article original: https://news.mongabay.com/2023/03/study-online-trade-in-arachnids-threatens-some-species-with-extinction/

Quitter la version mobile