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Côte d’Ivoire : Un éleveur atypique veut sauver l’aulacode

Un éleveur qui sauve les animaux en cote d'ivoire

Un éleveur qui sauve les animaux en cote d'ivoire

  • Si la chasse et la consommation de viande et de tout produit de la faune sauvage issus du braconnage sont interdites en Côte d’Ivoire, la réalité du terrain est tout autre. L’engouement de plus en plus prononcé des populations ivoiriennes pour la viande d’aulacode, risque de mettre en péril la survie de cette espèce.
  • Un jeune ivoirien a trouvé le moyen de sauver cet animal par un aulacodiculture professionnalisé et détient aujourd’hui trois sites d’élevage avec un cheptel de plus de trois mille têtes d’aulacodes.
  • L’aulacodiculture améliore, non seulement, les revenus de l’agro-éleveur et satisfait les besoins alimentaires en protéines animales, elle assure également la protection de la faune sauvage et de l’environnement.
  • Les chercheurs reconnaissent que l’aulacodiculture faite dans les normes sanitaires réduit également le risque de transmission des maladies entre animaux sauvages et les hommes.

La principale cause de la raréfaction de l’aulacode en Côte d’Ivoire est la chasse de subsistance et commerciale.

Selon les textes regissant la protection de la faune et l’exercice de la chasse dans ce pays, l’aulacode est classé parmi les espèces qui participent à l’équilibre biologique dans les zones affectées à la faune.

Malgré sa fermeture depuis 1974, la chasse illégale de la faune existe toujours et se pratique souvent avec des moyens et techniques qui ne favorisent pas le bien être de la faune. Et l’aulacode, communément appelé « agouti » représenterait à lui seul, 60% des gibiers abattus qui fait partie de la catégorie des « viandes de brousse ».

Avec l’épidémie du virus Ebola entre 2014 à 2016 et l’arrivée de la Covid-19, l’Etat de la Côte d’Ivoire a interdit encore une fois la chasse, la consommation et la commercialisation de la viande de brousse qui était soupçonnée d’être le vecteur de ces virus. Pourtant, le commerce de cette viande n’a jamais été aussi florissant.

Une répression indulgente

La viande d’aulacode est très appréciée des consommateurs pour sa saveur et sa tendreté. Elle est consommée localement en sauces, accompagné de riz ou de foutou (patte de banane plantain).

Rebeca Kuouadio, qui détient un restaurant spécialisé en viande de brousse, confirme cette appréciation en disant qu’ : «avec cet animal tout est consommable, même les excréments prélevés de ses intestins servent d’assaisonnement de sauces ».

Rebeca Kuouadio habite dans une des communes périphériques d’Abidjan. Elle révèle que la demande en viande de brousse est très forte.

«Je peux me faire facilement un chiffre de 850.000 FCFA en deux semaines et je n’ai jamais eu de problème avec les agents de police ou des Eaux et Foret » dixit Kuouadio.

Un paysan d’un certain village du centre de la Côte d’Ivoire, enquêté par Mongabay, qui a voulu garder son anonymat, nous raconte que c’est cette demande croissante en viande d’aulacode qui fait exploser le braconnage.

Gordon est chasseur depuis 20 ans et avoue que malgré que ce gibier se fasse de plus en plus rare, il utilise tous les moyens possibles pour l’attraper.

« Si la chance me sourit, je peux tuer jusqu’à six bêtes par jour et me faire un revenu mensuel d’une moyenne de 200.000 FCFA » se réjouit-il.

Quant à la répression des agents des Eaux et Forêts, Gordon la qualifie « de répression bienveillante » qu’il arrive d’ailleurs à contourner grâce à des astuces secrètement gardées.

Un aulacodiculteur dévoué 

L’aulacode est en effet une source de choix en protéines animales. Il faudra alors une solution de rechange à l’interdiction de la chasse à cette espèce.

Selon Emmanuel Kablan, la maîtrise de l’élevage de cet animal serait une solution incontournable pour le futur.

Pratiqué de façon rudimentaire dans les villages, ce jeune ivoirien d’une trentaine révolue se consacre à professionnaliser cette activité.

Durant ces études universitaires, Kablan cherche une activité parallèle pour se faire de l’argent de poche. En se documentant sur internet, il découvre l’aulacodiculture par pur hasard.

Ce passionné prend le temps de faire des recherches approfondies tout en continuant ses études. Il se forme sur les techniques de cet élevage non conventionnel, avant de s’y lancer en 2016.

Avec seulement un capital de 170.000 FCFA, Kablan a commencé son élevage d’aulacode avec 4 têtes d’aulacodes femelles et un mâle. Il les a commandés au Bénin, pays pionnier de l’aulacodiculture dans la sous-région ouest africaine. Après quelques années, son troupeau se multiplie abondamment.

Avec d’autres associés, Kablan fonda l’« Aulacode de Côte d’Ivoire», première structure formelle dédiée à l’élevage de cette espèce animale dans le pays.

Cette entreprise détient aujourd’hui, à Grand Bassam (à 43 kilomètres à l’Est de la ville d’Abidjan), trois sites d’élevage avec un cheptel de plus de trois mille têtes d’aulacodes.

Toutefois, Emmanuel Kablan n’est toujours pas entré dans le marché de la consommation.

Enquêté par Mongabay, Kablan avoue que l’élevage d’aulacode est moins complexe car ce rongeur mange essentiellement, à 70%, des herbes disponibles gratuitement dans la nature.

Toutefois, un bâtiment bien aménagé dans un environnement calme est nécessaire pour la conduite de l’élevage, afin d’éviter que les aulacodes entendent des bruits provenant de l’extérieur. Dans le cas contraire, ils sont stressés : ils s’agitent et se cognent contre les parois des cages, au risque de se blesser ou de se tuer. Kablan donne l’exemple d’un de ses bâtiments d’élevage qui lui a couté environ 30 million de FCFA.

«L’aulacodiculture est également une activité qui demande beaucoup de patience» instruit-il.

Il explique qu’en général, la durée de gestation de l’aulacodine est de 5 mois environ avec une portée de 1 à 10 petits. Et pour que ces petits aient l’âge propice pour la première mise en reproduction, il faut encore attendre cinq à six mois pour la femelle et sept à huit mois pour le mâle.

C’est en 2021, cinq ans après le début de son entreprise que ce jeune aulacodiculteur fournit 1500 têtes d’aulacodes de reproduction à d’autres éleveurs, à raison de 35.000 FCFA l’unité.

Kablan apporte également un accompagnement et un appui technique aux autres éleveurs.

« Mes principaux clients, sont les participants à ces formations. Et j’en ai déjà formé des milliers, parmi eux, des braconniers en quête d’activité de reconversion » confie fièrement Kablan à Mongabay.

« Les braconniers sont obligés de se convertir à l’élevage parce qu’il y a des zones où on ne trouve plus d’aulacode dans la brousse notamment dans certaines régions de l’ouest de la Côte d’Ivoire ».

Une fois formé, ces nouveaux éleveurs font malheureusement face à un défi de financement. Car en aulacodiculture, la rentabilité est un bon moyen de mesurer l’efficacité de l’investissement.

Faire d’une pierre deux coups

Au fil du temps, le jeune aulacodiculteur découvrira les enjeux environnementaux liés à son activité prospère.

Kablan estime que si l’aulacodiculture arrive à réduire la pression du braconnage sur cet animal de 30%, ce sera déjà bon.

« Le braconnier lui, tue même les femelles gestantes et c’est toute une génération de l’espèce qui est exterminée » déplore-t-il.

« Parfois pour attraper facilement cet animal, les chasseurs sont obligés de mettre du feu, ce qui occasionne souvent des feux de brousse » poursuit-il.

Pour Kablan, l’aulacodiculture améliore, non seulement, les revenus de l’agro-éleveur et satisfait les besoins alimentaires en protéines animales, elle assure également la protection de la faune sauvage tout en luttant contre le braconnage, les feux de brousse et par conséquent, favorisant la protection de l’environnement.

Auracode (Thryonomys) dans sa cage dans un endroit où ils sont nourris et gardés
Auracode (Thryonomys) dans sa cage dans un endroit où ils sont nourris et gardés/Photo de Emmanuel Kablan

Risques de zoonoses, toujours d’actualité

Diafuka Saila-Ngita, Professeur agrégé de recherche en santé mondiale de l’école de médecine vétérinaire de Massachussetts aux Etats Unis, rappelle que «75% des maladies qui menacent l’espèce humaine proviennent de la faune sauvage. Tels sont les cas de l’ébola et de la grippe aviaire en Afrique de l’ouest ».

Toutefois, en mission de travail en Côte d’Ivoire, le chercheur pré-cité reconnait que l’élevage de ses espèces peut réduire le risque de contamination à condition qu’il soit accompagné d’un appui sanitaire et d’une recherche vétérinaire.

Cela permettra d’identifier leurs principales pathologies infectieuses représentant un risque sanitaire pour les éleveurs ou les consommateurs et de les traiter par la suite.

Pour assurer la bonne santé de son troupeau, Emmanuel Kablan mise sur les bonnes pratiques d’hygiène et d’assainissement.

« Je veille à ce que mes aulacodes aient une habitation et alimentation saines et j’évite qu’ils aient de troubles liées au stress » rassure Kablan, lors de son interview par Mongabay.

« J’ai également un médecin vétérinaire, ancien agent de la Société Ivoirienne de Production Animale (SIPRA) qui intervient chaque trimestre pour faire un diagnostic et prescrire un traitement approprié » ajoute-t-il.

Kablan indique à Mongabay : « j’attends l’inspection de la direction vétérinaire du ministère des ressources animales, afin d’avoir un agrément pour pouvoir vendre mes animaux sur le marché extérieur ».

 

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